mardi 24 avril 2012

L'entraînement des pilotes de chasse : De la réussite insolente aux pires incohérences (revu et explicité 04 / 07 / 2023 *** ***)


Dans mon article précédent sur l'apprenti pilote de chasse, j'espère avoir montré que, au moins dans l'escadre dirigée par le Colonel François d'Astier de la Vigerie (en 1933), les pilotes de chasse Français étaient vraiment bien préparés à leur rôle opérationnel.

Polémique sur une victoire aérienne hors du commun ? Non : Lucidité.

L'image de ces pilotes en Mai-Juin 1940 est bien plus complexe. 

Certains d'entre eux sont absolument remarquables et peuvent en remontrer aux meilleurs pilotes étrangers. 

L'auteur de l'ouvrage - excellent au demeurant - "les pertes de la chasse de jour Allemande en France", volume 1, Avions Hors-série, s'agaçait de voir les journaux Français d'Histoire de l'Aviation répéter à l'envie le fait que le Major Mölders ait été proprement descendu par le sous-lieutenant Pomier-Layrargue qui appartenait au Grp II/7. 



Situation stratégique au 5 juin 1940 :

Lancer des cocoricos ne sert effectivement à rien et ne changera jamais le constat que notre aviation a été battue, et qu'elle l'a été sévèrement.

Et pourtant, si une victoire de ce conflit est indicative de la qualité des aviateurs et des avions Français, c'est justement celle-là.

D'abord, parce qu'elle intervient le 5 Juin 1940, alors que la Luftwaffe détient la maîtrise du ciel de France, c'est en tout cas ce qu'elle clame haut et fort partout

Ensuite, c'est aussi une période où l'Armée de l'Air était seule au combat. 

Il n'y avait plus d'avions de chasse Britanniques en France (depuis au moins 8 jours), juste des bombardiers stratégiques qui partaient d'aérodromes situés au Sud de la Loire. 

Enfin, ce jour était celui-là même du déclenchement des deux opérations décidées dans le Fall rot Allemand, le plan qui va aboutir à l'occupation de la France. Toute la chasse Allemande était donc en l'Air.


situation tactique à l'entame du combat :

Le combat aérien qui mit en jeu les 2 protagonistes cités plus haut fut engagé par surprise par le groupe de Werner Mölders (qui était non seulement le plus grand as allemand, mais aussi le créateur  de la doctrine tactique de la Jagdwaffe). 

Je dirais même que son attaque est un parfait modèle du genre : La patrouille haute du II/7, celle qui doit couvrir l'ensemble du dispositif Français, a été éliminée quasi instantanément et sans appel. 

Elle n'avait rien vu venir et la stupidité du règlement Français sur l'emploi de la radio a joué dans cette affaire un rôle meurtrier, comme le raconta, trente ans plus tard, le colonel Boillot. 

{En effet, les postes Français étaient faits de 2 postes, un par famille de fréquences.

L'idée était de permettre au commandant de groupe, resté à la base donc à 150 ou 200 km de là, d'utiliser une fréquence A pour donner ses ordres aux combattants. Nous n'avions pas de radar, et surtouts, aucun système n'avait été pensée pour faire interagir nos chasseurs face à une attaque et les communications ne passaient pas par la radio !

Il aurait dû sauter aux yeux des auteurs de ce concept que le commandant de groupe resté au sol n'avait aucune chance de connaître la situation tactique instantanée à laquelle ses hommes étaient confrontés ! 

Les pilotes devaient employer une fréquence B pour informer leur commandant.

Les communications entre avions dépassaient rarement 60 km, mais c'était bien suffisant en combat pour une même escadrille.

Pour que les pilotes puissent communiquer entre eux à plus grande distance, il leur fallait passer par la voiture-radio du commandant, ce qui ne marchait évidement jamais. 


C'est un bel exemple de cette viscosité administrativo-technique qui a considérablement affaibli la capacité d'adaptation des militaires Français. }


Revenons à l'attaque
Le sergent Boillot avait parfaitement vu les Messerschmitt piquer sur ses camarades mais il lui était impossible de les prévenir. 

D'emblée, les Français dont je décrit l'action avaient déjà perdu 25% de leur effectif, sans que les Allemands aient encore subi le moindre dommage (ce que fera quelque jours plus tard le capitaine Williame et ses deux équipiers du Grp I/2  lorsqu'ils abattront par surprise 3 Bf 109 E). 


Abattre le meilleur des as Allemands du moment alors que l'on est à 1 contre 4 : Un exploit fabuleux !

Ensuite, tel que Mölders raconte l'histoire, il voit un Dewoitine D.520 (qu'il prend pour un Morane 406) qui se débat contre 3 Bf 109. Son pilote est le Lt Pomier-Layrargue. 

Je ai recopié cette histoire dans cet article sur le D.520.

Dans les conditions de ce combat, à 1 contre 4, le 4ème Messerschmitt 109 étant piloté par Werner Mölders et après que le dispositif Français ait été cueilli par surprise, je suis fondé à dire que Pomier-Layrargue ET sa monture ont démontré de manière éclatante leur supériorité sur tous leurs adversaires.

Pour moi, cette victoire est autrement plus impressionnante que celle du capitaine Williame contre 3 Bf 109 avec son Morane 406, citée plus haut, d'abord parce que ce dernier as Français bénéficiait de la surprise et d'un avantage d'altitude, ensuite, parce qu'il avait deux équipiers avec lui (ce qui n'enlève évidemment rien à ses victoires ni ses très bonnes qualités de pilote, car peu d'autres ont été capables de réaliser un aussi bon score. En outre, son groupe était escorté par des D 520 !). 

Mais le Lt Pomier-Layrargue, lui aussi, avait été remarquablement bien formé. 

Il a aussi démontré cette conscience tactique (situation awareness) chère à nos amis US qui a fait défaut à bien des pilotes Alliés de la Campagne de France. 

Il a réussi à faire suivre à son avion des trajectoires inédites pour ses adversaires et ses qualités de tireur étaient également très bonnes. 

Nulle doute que si, avant le 10 Mai, on lui avait donné un chasseur valable au lieu d'un Morane 406, son palmarès eut été très supérieur.


Première anomalie : Un entrainement lymphatique dans certains centres

Bien évidemment, pour disposer de pilotes de chasse, d'assaut, de reconnaissance ou de bombardement, il faut d'abord disposer de pilotes tout court. 

Le premier de mes contre-exemples concernent donc la formation initiale.

J'ai eu de longues heures de discussions avec un de ceux qui avaient souffert de ce problème : Joachim Litwa, mon propre instructeur de pilotage.

Avant la guerre, il était étudiant pour devenir professeur d'Allemand. 

Mais, une fois la mobilisation décrétée, il avait voulu devenir aviateur. Âgé de 20 ans, très doué, intellectuellement sans défaut et d'un parfait sang froid, il avait tout d'un futur pilote.

Il était affecté en Afrique du Nord, où les conditions climatiques sont nettement plus favorables au vol qu'en France métropolitaine (les journées de mauvais temps sont peu nombreuses, si les orages y existent, bien sûr, la présence de cumulonimbus se détecte visuellement bien assez tôt pour éviter de voler trop près d'eux). 

Il aurait été normal que nos jeunes gens aient été formés très vite, disons, en un mois, au plus.

En fait, notre apprenti pilote fut lâché dans des délais normaux en nombre d'heures, mais son instruction de base a traîné au point que le 25 Juin 1940, il n'avait qu'un bagage de 60 heures sur un Salmson CriCri - si mes souvenirs sont exacts - un avion très léger de 60 Cv peu éloigné, dans sa philosophie, des ULM modernes. 

Si un tel avion permettait de très bien comprendre, et à très faible coût, ce qu'est la base du vol, le passage d'un jeune pilote de cet avion très léger à un avion d'arme ne pouvait pas se faire sans un ré-entraînement très sérieux, les vitesses d'approches d'un avion de chasse ou de toute autre activité militaire étant supérieures à la vitesse de pointe de l'avion initial.

Ce qui me stupéfie le plus, c'est qu'en 9 mois, il n'ait pas bénéficié de plus de 60 heures de vol. 

Nous étions au début d'une guerre, période où la consommation de vies humaines est considérable par définition. 
Nous manquions beaucoup de pilotes et, dans certaines écoles de pilotage militaires, comme celle que je décris, on en sortait guère plus que nous le faisons actuellement à partir d'un petit aéro-club !? 

Lorsque l'on apprend à piloter en amateur, on exerce en même temps une activité ou un métier et, donc, un rythme de vol de cet ordre n'a rien d'anormal.

Mais dans une force aérienne en période de guerre, une instruction complète prend 3 mois au plus (pendant l'hiver écossais, par exemple, avec des froids polaires, de la glace, du brouillard et de la neige !).


Après l'Armistice, mon futur instructeur fut rendu à la vie civile, pour 2 ans. En Novembre 1942, les Alliés débarquèrent en Afrique du Nord. Il s'engagea aussitôt et fut envoyé aux USA où tout sera repris à la base. 

Les Américains en firent un instructeur, qui repartira en 1946 avec le titre d'aspirant et validé comme pilote de P 47 Thunderbolt. 

La France était de nouveau libre, il n'apprécia pas les propos de certains officiers - probablement Vichystes - au sujet des jeunes recrues formées aux USA et repartit dans la vie civile. 

Il fut épandeur de DDT au Maroc, ce qui lui permit de sauver, en 1949, une jeune actrice Française et son enfant menacés par la crue éclair (flah flood) d'un oued au cours très puissant, puis, quelques années plus tard, il ira poser son avion chez les Méos en Indochine avant de revenir en France pour devenir pilote de ligne, finissant sa carrière comme commandant de bord sur Boeing 747 à Air France.

Bien entendu, il va de soi que son cas ne fut pas isolé. 

Des centaines, voire des milliers, de pilotes supplémentaires auraient pu être formés. Ils auraient pu prendre la Luftwaffe à la gorge et conquérir la maîtrise de l'air. 

Mais les diverses viscosités administratives et militaires liées à diverses causes, mais en particulier aux lobbies très présents dans cette fin de IIIème République, ne l'ont pas permis.

Pilotes de chasse n'ayant jamais appris à tirer !

La seconde anomalie a été merveilleusement racontée dans un Icare sur la Chasse par le colonel Pierre Boillot (sergent à l'époque). 

Elle ne concerne pas son accession au titre de pilote de chasse, parce que là, effectivement, tout semble s'être très bien passé.

Il fut affecté à un groupe de plutôt bonne qualité, le II/7, équipé de Morane 406.

Les anomalies vont coïncider lors que la patrouille dans laquelle il est équipier - patrouille de trois chasseurs et non de deux comme c'était normal chez d'Astier de la Vigerie en 1933 - va se confronter à un Dornier 17. 

Bien que le chef de cette patrouille (si l'on peut dire) soit un lieutenant, ni lui ni aucun de ses deux équipiers ne savent tirer

De plus, leur vision tactique est inexistante.

Evidemment, confronté à un avion de fait presque aussi rapide que leurs Morane, ils ont tiré de trop loin, disons de 500 m environ, histoire, peut-être, d'éviter les tirs du mitrailleur. 

La doctrine officielle Française était de tirer dès 400 m de distance. Les Finlandais, qui avaient un taux de réussite au tir de l'ordre de 40 à 50%, avaient pour doctrine de ne pas tirer plus loin que 50 m.

Bien sûr, le Dornier ne demanda pas son reste et s'enfuit. Drôle de guerre, n'est-il pas ?

Quand ils revinrent au bercail, ils eurent droit à l'engueulade maison du patron et aux moqueries agressives de leurs camarades qui n'avaient pas souvent la chance de pouvoir s'offrir un si beau gibier.

Le chef d'escadrille comprit, quand même, que,
 quelque part, le travail de formation avait été mal fait.
Alors fit pratiquer à ces pilotes incomplets, un stage de tir, certains pilotes expérimentés vinrent même leur donner quelques conseils avisés.

Pierre Boillot, ayant parfaitement retenu la leçon, deviendra rapidement un as particulièrement mordant, et qui, par la suite, dirigera sérieusement l'entraînement au tir des jeunes pilotes.


Son cas n'était pas isolé, puisque lorsque le capitaine Coutaud, chef d'escadrille au groupe I/1, raconte sa campagne de France, il insiste sur sa surprise devant l'inaptitude au tir de ses hommes.
Il les fera s'exercer jusqu'à ce que chacun obtienne au moins 5% de coups au but lors de tir en déflexion (c'est à dire sur une cible qui se déplace d'un côté à l'autre). 
Il jouera un rôle identique pour leur enseigner l'usage de la radio.

C'était vraiment très bien, sauf qu'en réalité, cela aurait dû avoir été fait avant l'arrivé de ces jeunes pilotes en escadrille opérationnelle.

Le vrai rôle de ce capitaine aurait dû être de les former à développer leur sens tactique.

Ceci montre que nos décideurs de haut rang ne suivaient sûrement pas de près ce qui se passait.

J'ai déjà expliqué que la question du nombre répertorié de victoires aériennes de l'Aviation militaire Française pendant la bataille de France n'est pas ma priorité, ne serait-ce parce que je ne crois pas que les données Allemandes aient jamais été sincères et correctes pour des raisons de désinformation idéologique nazie.

Par contre, si tous nos pilotes avaient été aussi bons tireurs que les pilotes Finlandais ou Tchèques, leur palmarès eut été fortement augmenté (voir mon article sur le Morane 406 au combat).

















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