lundi 14 septembre 2015

Solar Impulse II : Une extraordinaire réussite... et ensuite ? (actualisé le 15 / 06 / 2022)


Historique !


Lorsqu'il s'est posé le 3 Juillet 2015 à Hawaï, l'avion Suisse Solar Impulse II a ouvert brillamment et définitivement la voie d'une vie opérationnelle aux avions électriques.


Car l'entrée dans le monde pratique passe par les vols de grande durée au-dessus des grandes étendues marines, véritables juges de paix de l'utilité réelle d'un plus lourd que l'air (voir mon article à propos des premières traversées de l'Atlantique Nord et celui-ci, qui parle des avions de très grand raid, dont le Dewoitine 33 Trait d'Union).


Le fabuleux héritage des avions à moteurs thermiques


{Si l'immense Otto Lilienthal a bien inventé le vol au sens d'un déplacement contrôlé, ses planeurs ne volaient, au plus, que quelques dizaines secondes, ce qui ne permettait pas d'expérimenter beaucoup de manœuvres.}

Le vrai début de la conquête de l'Air est le fait d'avions mus par des moteurs thermiques utilisant des carburants fossiles. 

Pour ceux-là, les 3 grandes dates sont déjà très anciennes : 
  1. Traversée de la Manche (Louis Blériot, 25 Juillet 1909). Ce succès fut surtout important par le symbole qu'il représentait pour la vieille Angleterre, encore sous le coup de la terreur causée par le fantasme du risque de débarquement des armées de Napoléon sur les côtes Britanniques. Mais, en l'état, ce n'était pas encore un élément pouvant avoir des conséquences fondamentales.                                                                                          
  2. Traversée de la Méditerranée (Roland Garros, 23 Septembre 1913). On touchait du doigt la possibilité de faire, en quelques heures seulement, un trajet maritime qui, à l'époque et par bateau, demandait environ 2 jours à 10 kts de moyenne.                                                                                                
  3. Traversée de l'Atlantique (Lindberg, 21 Mai 1927). En moins de 3 demies-journées, Charles Lindberg avait traversé un espace qui demandait jusque-là près d'une semaine aux plus rapides des paquebots.

En une petite trentaine d'années, ces pionniers nous ont permis d'apprendre beaucoup sur la structure des avions, sur l'aérodynamisme des cellules et sur le pilotage. 

Nos avions ont ensuite considérablement progressé depuis, notamment en terme de puissance, de profilage, de structure et de fiabilité. 

Ce faisant, ils ont permis d'atteindre des vitesses encore plus grandes et d'acquérir une compréhension étendue de nombreux phénomènes aérologiques.

Donc, ils sont à la fois bien plus sûrs et bien plus rapides. 


Nos avions à réaction mettent un peu plus de 6 heures pour traverser l'Atlantique et 12 heures pour aller au Japon !

Malheureusement, leurs combustibles fossiles présentent trois défauts rédhibitoires : 
  • Ils sont nécessairement amenés à disparaître un jour parce que nous les consommons sans que leurs réserves se reconstituent.
  • Ils confèrent à leurs producteurs un pouvoir politique considérable, ce qui, de mon humble point de vue, est totalement inadmissible.
  • Ils ont aussi une influence sur le climat...
On peut aussi ajouter un autre défaut : Pendant le vol, la consommation de carburant modifie et la masse et la répartition des masses dans l'avion, ce qui pose de multiples problèmes aux concepteurs d'avions pour maintenir leurs qualités de vol. 




Les avions électriques à accumulateurs


{Précision : Nos chers amis journalistes aiment à manier la langue Française et y réussissent toujours avec dextérité. 

Parfois, malheureusement, ils gobent tous crus des termes étrangers - en général Anglais -et les recrachent dans leurs textes Français sans se poser de questions. 

Ainsi, ils emploient le terme de batterie indifféremment pour des accumulateurs d'électricité (comme ceux qui existent dans les téléphones portables) ou pour des générateurs de courant électrique (comme les panneaux photovoltaïques qu'ils appellent batteries solaires}


Le précurseur de l'emploi aérien des moteurs électriques fut Gaston Tissandier qui, le 8 Octobre 1883, fit voler un dirigeable mû par un moteur électrique alimenté par accumulateur. 

Depuis une trentaine d'années, outres les modèles réduits d'avion, des avions électriques aptes à porter un être humain volent depuis à peine moins longtemps. 

Initialement, on utilisa uniquement des moteurs alimentés par de l'électricité produite avant le vol et stockée dans des accus.

J'en citerais 2 qui sont tout à fait remarquables :
  • Le Cri-Cri MC 15 E, issu du génie de Michel Colomban, est un avion électrique à capacité de voltige qui a volé à 283 km/h !


Cri-Cri MC 15 E, un fabuleux avion électrique apte à toutes les manœuvres...

  • Le E-Fan d'Airbus, biplace, plus lourd, moins rapide mais plus endurant et probablement plus accessible à un débutant. 


Airbus E-Fan, presque une heure de vol !


Ces deux avions ont traversé la Manche sans histoire. A ma connaissance, ils n'ont pas d'autres limites à leurs capacités de vol que la quantité d'énergie contenue dans leurs accumulateurs électriques.





Révolution : Des avions produisant l'électricité qui les fait voler 



Depuis 1958, la conquête spatiale a introduit des générateurs électriques solaires de rendement sans cesse accru. Il était logique d'en introduire sur des avions électriques.

Le premier avion efficace en étant ainsi gréé fut le Gossamer Penguin de 1979 de Paul MacCready, qui employait les principaux concepts déjà développés pour obtenir un avion apte à voler à la seul force musculaire d'un être humain (le Gossamer Albatross).

De même que le fantôme d'un cheval continue de trotter devant chaque locomotive (ce qui explique l'écartement des voies de chemin de fer), les avions solaires actuels sont encore des descendants des avions à propulsion musculaire humaine :
  • Ainsi, ils disposent d'un très grand allongement qui leur assure un décollage facile et très rapide par effet de sol ;
  • La chasse au poids a été menée avec une rigueur implacable, en choisissant de limiter les facteurs de charge au maximum lors des manœuvres, ce qui signifie que ces avions ne peuvent voler que par très beau temps très calme.

La NASA avait poussé le concept très loin avec son aile volante Helios radio-commandée.




Le prototype de l'Helios (14 moteurs !) au décollage, au plus fort de l'effet de sol (actif, ici, jusqu'à 75 m du sol)


Cet avion, télé-piloté, avait une masse à vide d'environ 700 kg pour une masse en charge d'un peu plus d'une tonne.

Son aile, de 75 m d'envergure et de 184 m², avait un allongement de 30,9 pour une épaisseur relative de 12.

Avec ses 14 moteurs, le prototype avait volé à près de 30 000 m (13 Août 2001), au dessus de tous les records pour avions motorisés "thermodynamiquement". 

Le second exemplaire, optimisé pour les vols de longue durée, était probablement un peu plus rapide que son prédécesseur car il présentait moins d'aspérités.

Malheureusement, le 26 Juin 2003, ayant pris l'air dans des conditions météorologiques limites (pour lui), il entra dans un cycle d'oscillations qui fatiguèrent très rapidement la - trop - légère structure, entraînant sa désintégration en vol au large d'Hawaï. 





La fin d'un joli projet : Heureusement qu'il n'y avait pas de pilote à bord. Mais quel gâchis !




L'expérience de la NASA avec l'Helios est caractéristique de ce qui se passe lorsque l'on outrepasse les limites à ne pas franchir : 
  • La voilure très allongée était voulue très légère. Elle le fut trop !
  • Son épaisseur relative faible (12%), destinée à réduire la traînée, réduisait aussi sa solidité.
L'association de ces deux caractéristiques constituaient déjà un risque sérieux pour la résistance mécanique de l'ensemble, y compris dans des conditions de vol par temps calme.

En plus, le pilotage depuis le sol ne permettait pas au pilote de se rendre compte des micro-informations qui préviennent un pilote présent dans son poste de pilotage.

Comme en plus, les conditions aérologiques s'étaient modifiées très peu de temps avant le décollage, personne n'avait eu le courage d'annuler le vol (ce qui suggère un sérieux manque de rigueur au niveau des décideurs). 

L'entrée en résonance de cette voilure - dans un vol en conditions très dégradées (pour ce type d'appareil) - avait logiquement abouti à la désintégration de l'avion, heureusement dépourvu d'équipage... 



Solar Impulse 2


Cet avion Suisse (mais aussi, un petit peu Européen) est le produit de la volonté et du talent de Bertrand Piccard - héritier d'une famille de fameux pionniers - à relever les grands défis qui se posent à l'Être Humain (altitudes extrêmes - en ballons - et profondeurs sous-marines - Batyscaphes - entre autres). 

Tout grand défi technologique repose sur :
  • La constitution d'une équipe très compétente dans quantités de domaines très différents, 
  • L'obtention de crédits importants, 
  • Une rigueur totale dans la réalisation de toutes les étapes du projet,
  • Enfin, dans le cas présent, par la constitution d'un groupe de pilotes aux qualités aussi affûtées que celle des premiers astronautes.
Bertrand Piccard a d'abord réussi ce premier et authentique exploit.



Solar Impulse II en approche sur Hawaï : Une superbe photo qui dévoile à la fois la structure du fuselage et la finesse du carénage des moteurs !


Eviter de refaire les erreurs déjà commises



  • Un avion plus solide : 
    • Une seconde étape a consisté à prendre conscience des limites atteintes par l'ensemble des solutions déjà utilisée partout dans le monde. Ainsi, la disposition choisie par l'équipe Suisse a été celle d'un avion monoplace classique à aile haute et empennage horizontal dé-porteur Il a, de mon point de vue, une disposition assez semblable à celle du Pilatus PC 6 Turbo Porter mis à part que, sur le Solar Impulse, l'empennage horizontal précède entièrement la dérive.
    • La version définitive, le Solar impulse 2, a un fuselage long de 22.4 m, taille supérieure à celle d'un Douglas DC 3 de la Seconde Guerre Mondiale (qui transportait 33 passagers et leurs bagages à 300 km/h de croisière). 
      • Le fuselage est une poutre de section triangulaire entoilée, la pointe du triangle étant située ventralement.
      • La voilure a une envergure de 71.9 m et une surface de 269.5 m², donc un allongement de 19.2, bien inférieur à celui de l'Helios, ce qui lui permet une robustesse bien plus grande
      • Le train, monotrace et rétractable, est équilibré par 2 balancines rabattables, ce qui évite les cinq masses déportées de l'engin de la NASA et leur éventuelle couplage.
      • La totalité des surfaces dorsales sont recouvertes de 17 248 cellules photovoltaïques fournissant l'énergie nécessaire pour les 4 moteurs (de 17.5 Cv chacun, soit une puissance totale de 70 Cv) qui animent des hélices de 4 m de diamètre. L'électricité produite est stockée dans des accumulateurs Lithium-Polymère pouvant fournir une puissance cumulée de 164 kwh. 
      • La chasse au poids a été menée à un degré remarquable, aboutissant à une masse au décollage de 2 300 kg. La charge alaire atteint la valeur extrêmement faible de 8.5 kg/m² !
      • Du fait d'un poids minimal, la structure est plutôt fragile, rendant la capacité de manœuvre particulièrement faible. Ces sévères limitations des évolutions en vol sont imposées puisque l'avion ne peut pas prendre de virage à une inclinaison supérieure à 5°, ce qui représente une force centrifuge maximale de l'ordre de 1.1 g, donc très faible (les avions de tourisme sont tenus de résister à des contraintes 4 fois plus puissante).
    • Ce reste de fragilité a donc entraîné la constitution d'une équipe de routeurs météorologistes au moins aussi affûtés que ceux des skippers des grandes courses océaniques de voiliers pour éviter d'affronter tout phénomène atmosphérique dangereux pour l'avion et son pilote. Ils sont là pour leur éviter bien sûr toute forme d'orages, voire même le simple vol en régions turbulentes. 
    • Il va de soi que les pilotes choisis sont d'une exceptionnelle qualité (et d'une patience angélique).


Le voyage de 2015 : Inachevé, peut-être, mais très brillant


Le voyage réalisé jusqu'à Hawaï totalisait 17 407 km parcourus, arrêts déduits, en un peu moins de 18 jours (17 jours et 22 heures).

Cette distance équivaut à presque un demi tour du monde à l'équateur (43.5 %) et démontre pour la première fois la fiabilité d'un aéronef purement solaire.

La moyenne réalisée en vol est de 68.3 km/h (ou 36.86 kts pour les marins). 


Evidemment, si l'on intègre les arrêts, le voyage réel a duré 116 jours, définissant une moyenne de l'ordre de 150 km par jours.

Mais cela n'a guère d'importance. 



Le premier vol de ce long voyage, entre Abu Dabi et Mascate avait été prévu sur une courte distance (440 km), soit pour vérifier que tout fonctionnait normalement, soit pour une raison publicitaire, voire, pourquoi pas, pour ces deux raisons ensemble.

Par la suite, les choses ont vite évoluées et les étapes ont toujours largement dépassé les 1000 km par jour avec des vitesses moyennes pratiquement doubles.


Le temps "perdu" a été le fait d'attentes de bonnes conditions météorologiques, ce qui découlait logiquement des limitations de facteurs de charge imposée par la structure. 

C'est une solution de sagesse que les responsables du drone Helios auraient eu avantage à comprendre à temps...

La nouvelle attente, qui va durer près d'un an, est imposée :
  • Par la détérioration des accumulateurs électriques qui avaient surchauffées lors de son dernier vol ; 
  • Par la variation de la photopériode (rapport entre la durée du jour et celle de la nuit). En effet, la diminution de la durée du jour réduit la période de charge des accumulateurs.


Solar Impulse II : Le retour... au bercail  !


Le 17 Avril 2016, on apprenait que Solar Impulse II avait été réparé et qu'il allait bien. Alléluia !


Son retour ne dépendait que d'une météo favorable : Le feuilleton continuait.


Bertrand Picard a quitté Hawaï le 21 Avril 2016 pour atterrir à Mountain View, en Californie, le 24 Avril à 06:44 GMT après 62 heures de vol. 



Après une traversée des Etats Unis en petites étapes, Solar Impulse II a décollé le 20 Juin 2016 de New-York pour Séville avec Bertrand Piccard au commandes. 

C'est certainement la traversée la plus difficile que cet avion aura eu à accomplir dans son tour du monde, mais il l'aborde au moment le plus favorable de l'année, au moment où la durée du jour est la plus longue dans l'année. 

Il pourrait (peut-être) en profiter pour voler un peu plus haut et donc plus vite qu'il ne l'a fait jusqu'ici.

Il a atterri au matin du 23 Juin 2016 à Séville, après un vol d'à peine plus de 71 heures. La vitesse moyenne a été donnée comme 88 km/h, significativement plus vite que la traversée du Pacifique. 

C'est un très beau succès. 

Il va maintenant devoir rallier Abou Dhabi. 

Si il n'a aucun souci à se faire techniquement, j'imagine que le choix de sa trajectoire va demander beaucoup de finesse et de diplomatie dans le Moyen Orient en crise.


Bertrand Picard a finalement atterri à Abu Dhabi le 22 Juillet 2016, ayant franchi 42 000 km.

Bravo à cette extraordinaire équipe. 






L'avenir perceptible



Quelles améliorations pour les avions solaires ?


On peut très certainement améliorer les avions intégralement solaires pour leur permettre d'aller plus vite, mais, surtout, pour être à même d'encaisser des facteurs de charge de l'ordre de 3 à  4 g, histoire de pouvoir voler dans des conditions "normales".

Ainsi, les cellules photovoltaïques vont certainement progresser, permettant de fournir de 2 à 3 fois plus d'électricité, ce qui permettrait d'installer des moteurs au moins 2 fois plus puissants. 

Mais je ne suis pas persuadé que l'on pourra obtenir des puissances dix fois supérieures dans un avenir prévisible (sauf révolution conceptuelle).


D'un autre côté, je suis étonné que l'on ait fait l'impasse sur certaines capacités théoriquement induites par la finesse évidente d'un tel avion : Actuellement, Solar Impulse 2 monte de jour sur ses capacités photovoltaïques et redescend, sur sa finesse, pendant la nuit suivante. 

Autrement dit, il dépense l'essentiel de son énergie à monter et non à avancer. 
Or, tout le monde sait que l'essentiel de la consommation d'énergie d'un avion se fait pendant sa phase de montée.

Bien sûr, le Solar Impulse 2 peut difficilement gagner son altitude autrement que par beau temps stable. 

Par contre, lorsqu'il rencontre un ciel de traîne, il devrait être possible - moyennant un important renforcement de la structure -  de gagner de la hauteur en utilisant les ascendances comme le font les planeurs.


Mais, pour renforcer la résistance d'un tel avion, il faudra donc de nouvelles - et très importantes - percées dans les matériaux utilisés pour la structure. Sinon sa masse grimperait de façon rédhibitoire.


A terme prévisible, sur ce que l'on voit des technologies employées, il m'est difficile d'imaginer un avion solaire pur apte à voler à plus de 400 km/h.  

Alors, pour l'instant, le concept d'un avion de chasse photovoltaïque (qui serait obligatoirement armé, rapide ET maniable) paraît du domaine de l'utopie.


A fortiori, on ne voit pas davantage un avion de transport photovoltaïque capable de transporter des centaines de passagers, car le poids des êtres humains ne semble pas pouvoir être réduit ;-)...


Cependant, on peut dès maintenant fabriquer des drones photovoltaïques volant très haut (20 000 m), indéfiniment, pour servir de relais ou d'observatoire du sol.




Les solutions hybrides


Comme il restera toujours des productions d'alcools et autres liquides énergétiques issus de l'agriculture, on peut envisager d'équiper des avions de moindre surface avec des moteurs thermiques qui assureraient la prise d'altitude, les moteurs électriques prenant ensuite le relais.

Dans un tel cas, ces avions économiques à énergie renouvelable devraient pouvoir assurer une partie des fonctions de l'Aviation Civile.



Pour le transport de grandes quantités de passagers en se passant des combustibles fossiles, on peut envisager le retour des ballons dirigeables, sous des formes entièrement nouvelles. 

Le véritable avantage des ballons est une phase de montée énergétiquement gratuite. 

Les progrès aérodynamiques devraient permettre de tenir les mêmes vitesses que les Zeppelin (150 km/h) en alimentation photovoltaïque, sachant que la surface ne serait pas un problème.

Il faudra, auparavant, réussir à éviter l'accumulation d'électricité statique sur de tels aéronefs pendant les trajets, pour éviter les accidents type Hindenburg en 1937.