samedi 3 décembre 2022

Le Romano 130, chasseur biplan si vertueusement rejeté (révisé le 10 Décembre 2023)


Voici un chasseur dont nos experts patentés de 1936 ne voulurent strictement jamais rien savoir.  
{Ne vous trompez pas, le fait que je parle de ce chasseur n'implique pas que je pense que cet avion devait remplacer le Nieuport 161 : Non, il aurait pu s'agir, pour nos armées, de disposer d'un outil militaire supplémentaire pour améliorer encore leur rendement
C'était au même titre que, précédemment, j'ai parlé des hydravions de chasse et du chasseur bimoteur monoplace Whirlwind.}

C’est un avion de papier au même titre que de nombreux avions Germaniques décrits avec enthousiasme chez les Anglo-Saxons comme prêts à sortir en 1946.

Mais sa technologie était facile à intégrer.

De ce fait, cet avion n'a jamais pu être construit. Cette élimination a-t-elle été pertinente ? A vous d'en juger !

La querelle du biplan

C'était un projet de biplan et, déjà, en cela, il faisait revivre fâcheusement les terribles années de la Grande Guerre.
Indirectement, il rappelait aussi aux hommes de notre Service Technique Aéronautique qu'ils avaient interdit la fabrication de chasseurs monoplans après une série d'accidents qui avait endeuillé nos constructeurs d'avions de records : La liaison mécanique entre le plan inférieur et le plan supérieur induisait effectivement une solidité remarquable de l'ensemble
Etienne Romano, qui proposait ce nouveau chasseur, était, cependant un authentique spécialiste des biplans hyper maniables.
Sa production la plus connu était le Romano 80, remarquable avion d'entrainement à la voltige qui dut sa notoriété à la photographie (ci-dessous) d'un passage à 0.30 m du sol et à très faible distance des spectateurs.

Romano 80 : Un biplan exceptionnel par sa stabilité "inégalée" et son extrême facilité de pilotage.
Document modifié par moi à partir d'une publicité dans l'Aéronautique du 01 XI 1936


L'ingénieur Romano avait aussi créé l'hydravion de chasse Romano 90, biplan qui 
"bénéficiait" du même gros moteur que le Loire 210 (monoplan) mais qui était plus rapide de plus de 50 km/h (une paille !). 

Oui, j'ai écrit que les Loire 210 auraient dû se trouver sur leurs navires de ligne Français en 1940. 
Je ne renie pas mes écrits qui soulignent que même un matériel imparfait est bien préférable à l'absence totale de matériel.

Mais les Romano 90 et, surtout, le 92, auraient été bien plus efficaces que le Loire 210.

La version R 92 extrapolée du Romano 90, avait un avant-fuselage particulièrement bien profilé et son moteur Hispano 12 Y Crs lui permettait une vitesse de pointe de 420 km/h. 


Romano 92 : Grande vitesse, petit rayon d'action (600 km). L'état de surface semble remarquablement lisse.


Ce dernier avion avait une maniabilité d'exception, la vitesse et l'armement d'un Morane 406 malgré deux ailes de plus, deux flotteurs et de toute une série de mâts et de ficelles !  

{A titre de comparaison, l'hydravion de chasse Japonais Nakajima A6M2-N, tiré du chasseur Mitsubishi A6M2 Zéro avait une vitesse de pointe de 437 km/h. Il est vrai que son moteur en étoile ne l'aidait pas.}

Nulle doute qu'une douzaine de Romano 92 aurait été bien utile à notre flotte. 

Un dérivé de cet avion intéressa même la République Espagnole qui décida (mais bien trop tardivement) d'en faire construire une version purement terrestre à juste une trentaine d'exemplaires en Belgique (dont, à ma connaissance, 6 seulement furent livrés complets).  

Ces avions avaient été dédaignés par les services Français parce qu'ils étaient des biplans et, qu'en plus, ils avaient une aile supérieure de type Polonais que le CEMA avait condamnée parce que "très dangereuse" en combat (Docavia #3).

L'ingénieur Bonte condamnait sans appel tout nos biplans qu'il prétendait très mal réalisés. 

Pourtant, les avions Romano étaient très manœuvrants et bien plus rapides que certains engins étiquetés "excellents" par ses "experts".


Une proposition originale


Étienne Romano présenta un projet de chasseur Romano 130, chasseur en bois, biplan à aile supérieure affectant, lui aussi, une configuration Polonaise.
Qui plus est, cet avion était motorisé par un Renault R 12 - 01 de 450 Cv.

Face au nombre d'interdits que cet avion violait, je n'ai aucun mal à imaginer la vague de crises de nerfs ayant affecté les ingénieurs du STAé !

Pensez donc, ce futur avion allait peser au maximum 1 250 kg, il aurait une longueur de 7.5 m, une envergure de 6 m seulement et une surface alaire de 11.5 m. 

La charge alaire de 109 kg/m² lui assurerait une capacité de manœuvre époustouflante !

Comme le Caudron 710 volait à 455 km/h avec son train fixe et 380 kg de plus au décollage, comment imaginer que le minuscule Romano 130 n'aille pas nettement plus vite avec son train éclipsable ?

Il allait donc être considérablement plus performant que le Morane 405 et ce dernier n'aurait aucune supériorité manœuvrière sur lui, bien au contraire.


Photo modifiée par moi à partir des plans publiés par L'Aéronautique du 01 XI 1936 : Le Romano 130.


Certes, sa vitesse était annoncée seulement pour 460 km/h, mais Étienne Romano avait démontré précédemment qu'il n'exagérait pas sur les performance de ses avions. En général, il donnait même des valeurs un peu pessimistes.



De l'intérêt d'un très petit chasseur


Alors, que faire avec cet avion ? 

Cela dépendait de celles de ses qualités dont on voulait pouvoir profiter.

A - Nul besoin d'être grand clerc pour comprendre qu'un tel engin serait quasiment indétectable, que ce soit par la vue, par le son et même par ondes hertziennes (avion majoritairement construit en bois). 

Ses 6 m d'envergure le rendaient facile à cacher au sol, sauf dans un grand champ. 

La faible voie de son train de roulement  lui permettait de décoller d'un chemin de terre propre ou d'une prairie à moutons (donc, au sol bien ferme). 

En conséquence, il pouvait décoller à moins de 20 km du front pour attaquer des avions ennemis participant à des opérations de mitraillage de nos troupe à basse altitude, ou encore pour abattre un Henschel 126 d'observation à 1 500 m d'altitude (AGL) et revenir au sol incognito. 

Cela lui conférait, à peu de chose près, les caractéristiques de nos actuels missiles anti-aériens et, en conséquence, pour cette tâche, il lui fallait appartenir à l'Armée de Terre.



B - Autre emploi, également fondé sur sa taille très réduite, mais peu imaginé au milieu des années 30 : Sa capacité de transfert à très longue distance (maintenant, on dirait sa capacité de projection). 

Un Farman 222 ou 224 bien escorté (donc désarmé) pouvait emporter deux R 130 en même temps à son bord.

Un petit cargo déplaçant 2 500 tonnes pouvait en emmener un groupe entier (12+12+6).

Cela ouvrait des perspectives dans des îles comme nos Antilles, notre Polynésie ou notre Guyane, etc. 

On pouvait tout aussi bien proposer une association défensive commune à la Norvège ou au Danemark, ces deux nations quasiment vide d'aviation de combat et n'ayant jamais imaginé que Hitler les attaquerait. 

En cas d'accord avec le Danemark, cela pouvait induire la création d'une ou plusieurs bases en Islande qui eussent obligé les navires Germaniques à se rapprocher des côtes Britanniques.



C - Pour les mêmes raisons, le petit Romano aurait été capable d'actions de reconnaissance ou d'observations très rapides (la  notion de police du ciel n'existait pas encore en France, faute d'un déploiement adéquate de la radiophonie aérienne, mais le Romano 130 y aurait excellé).



D - Avec l'Armée de Terre, à nouveau, il eut été possible d'employer cet avion pour mitrailler à très basse altitude les postes de Flak et les batteries antichar, y compris en enfilant les rues de certains villages.

L'irruption d'un tel avion à des vitesses comprises entre 250 et 350 km/h à 3 m du sol dans des grandes rues de village tout en "vidant ses chargeurs" aurait très certainement posé de gros problèmes aux servants des armes anti-chars ou anti-aériennes de l'Allemand.



Exemple d'une rue de Sedans, enfilable par un très petit avion de chasse
(sur le site de la Mairie de Sedan) - La carte postale date de la Belle Époque.


Pour réaliser un tel programme, il eut été évidemment indispensable de créer un entraînement spécifique, probablement risqué et coûteux.


Conclusion

Puisque nos décideurs refusèrent de se poser aucune question sur ce que pouvait apporter les armes aériennes les moins traditionnelles, ils ne comprirent aucune des actions de l'ennemi. 

Ils ne surent donc jamais adapter chacune de leurs armes à leur métier de destruction de l'ennemi. 

Evidemment, ils se montrèrent incapables de comprendre ce qui différenciait opérationnellement les avions concurrents les uns des autres. 

Cela ne concerna pas seulement l'Aviation.

Ainsi, nos très médiocres chars légers Hotchkiss H 35 devaient servir à seconder les Somua S 35 dans les DLM. Leur faible maniabilité et leurs ridicules canon de 37 mm trop court (21 calibres) en firent d'innocentes victimes face aux Panzer III et IV.

Ces chars eussent été bien plus utiles comme plateformes de DCA portant un canon de 25 mm, qui, le cas échéant, pouvait aussi servir contre des chars.

Notre Armée de Terre avait renvoyé à la Royale les bombardiers en piqué Nieuport 411 qu'elle-même avait commandée. Elle n'avait même pas essayé de voir comment cela marchait, à une seule exception près.

Ces officiers - dits supérieurs - n'avaient jamais imaginé que les chasseurs et les bombardiers pouvaient être employés dans des voies très différentes de celles décrites dans leurs manuels militaires

On comprend leur effroi devant la seule idée que des avions de chasse puissent peser 1 250 kg en ordre de marche (au lieu de 2 500) et voler à 480 km/h au lieu de 435 km/h ! 
"Mais enfin, arrêtez de perdre votre temps avec ces jouets" auraient-ils pensé. 

Ils répétaient alors la décision déjà prise face au Mureaux 190 (lui ridiculisait totalement le MS 406).

En 1945 le Bachem Natter Allemand s'apprêtait à attaquer les B 17 et le Yokosuka MXY_7 Okha attaquait les navires US.
Ces très petits avions ont pourtant eu une longue descendance !

Par contre, nos décideurs avaient scrupuleusement respecté la guerre de position et la standardisation.

On a vu le résultat.

PS : Un avion, partageant sa petitesse, ses performances et sa capacité de manœuvres hors paire pourrait, jouer un rôle dans la fameuse chasse aux drones dont tout le monde parle. Mais, dans ce cas, les pilotes devraient être particulièrement jeunes (pour une question de réflexes)





mercredi 14 septembre 2022

V comme Vulcan (révisé le 14 Septembre 2023 * ***)

 


Contexte extérieur et technologique

En 1946, l'Etat-Major de la RAF déposa un programme opérationnel (OR 1001) exigeant la création de bombardiers à réaction aptes à porter une bombe nucléaire.

Une recherche sur la réalisation d'une bombe A (donc à fission nucléaire) fut lancée peu après.

En Janvier 1947, un concours fut lancé entre les divers constructeurs Britanniques pour réaliser ces bombardiers.

On exigeait un rayon d'action de l'ordre de 2 800 km, soit 300 km de plus que la distance entre Londres et Ankara, à une vitesse de croisière de 915 km/h entre 11 000 et 15 000 m d'altitude.

Les bureaux d'étude étaient tous parfaitement conscients que les solutions mises en œuvre pour les bombardiers de la période 1936-1945 étaient irrémédiablement déclassées.

Pire encore, même les experts (RAE, NACA) semblaient ne rien savoir sur l'aérodynamique des vitesses subsoniques, voire, surtout, transsoniques (sachant que le supersonique n'était connu que par les artilleurs).

De son côté, le gouvernement US avait parié sur le gigantesque Convair B 36 (presqu'aussi gros qu'un Boeing 747 et qui emmenait presque 40 tonnes de bombes). 

Ce bombardier montrait certes un progrès sur le B 29.

Par  contre, il ne changeait absolument pas la problématique posée par la chasse soviétique, surtout depuis la sortie du Mig 15 en URSS, puisque sa vitesse de croisière n'était que de 370 km/h.

Le B 52 Américain - toujours en service en fin 2022 - vola pour la première fois le 15 avril 1952. Il pouvait alors porter 20 tonnes de bombes. L'évolution de l'avion lui permit d'en emmener 31 tonnes !

Pour mémoire, Tupolev lança son bombardier stratégique turbopropulsé Tu 95 - qui fit son premier vol à la mi-Novembre 1952, lui aussi toujours en service. Il peut porter 11 tonnes de bombes.

Ces deux avions peuvent parcourir nettement plus de 10 000 km sans ravitaillement, mais ils peuvent aussi être ravitaillés


Créer un bombardier

Le choix d'un bombardier doit prendre en compte tous les risques associés aux missions projetées. Le B, A, BA est d'avoir une vitesse de croisière suffisamment élevée pour réduire le plus possible la durée des missions. 

Il faut ensuite réduire la vulnérabilité des bombardiers aux systèmes que l'adversaire met en pratique contre eux :     

  • Radars,
  • Signature électromagnétique perçue de chaque bombardier,
  • DCA par artillerie classique ou par fusées Sol-Air,
  • Disposer de systèmes de navigation capables de contourner les zones dangereuses,
  • etc. 

Sur tous ces plans, les bombardiers V Anglais étaient nettement plus avancés que le B 36 Peacemaker. En outre, ils étaient d'emblée animés par 4 puissants réacteurs. 

Deux constructeurs furent choisis simultanément (Avro et Handley-Page). Mais Vickers ayant promis que son Valiant serait prêt une année avant ses concurrents, il fut aussi commandé en série.


Le plus efficace des 3 constructeurs Britanniques fut la firme Avro.

Ayant calculé qu'un bombardier doté d'ailes en flèche souffrirait d'un excès de masse considérable, les concepteurs d'Avro avaient opté d'emblée pour une voilure en Delta.

De ce fait, ils commencèrent par créer des maquettes volantes pilotées pour apprendre expérimentalement, donc sérieusement, le comportement d'une voilure Delta en vol. 



Avro Vulcan B2 : De très grandes entrées d'air et une dérive réduite


Ainsi naquit le bombardier Vulcan (de Vulcain, dieu des Enfers pour les Romains [Hephaistos pour les Grecs])

L'avion était long de 29.60 m et l'envergure passait les 30 m.

La forme des ailes, initialement parfaitement triangulaire, fut modifiée plusieurs fois, aboutissant à une surface totale de 330 m². Son épaisseur relative était de 10 % à l'emplanture et de 6% à l'apex.

Sa masse de 37 tonnes à vide passait les 77 tonnes au décollage, mais la charge alaire de seulement 233 kg/m² permettait des évolutions faciles et serrées.

Quatre réacteurs Bristol Olympus Mk. 10de 5 t de poussée l'animaient (une version très améliorée allait propulser le supersonique Concorde de 1969 à 2003).

La vitesse de pointe atteignait 1040 km/h en altitude (Mach 0.96).

La croisière était réalisée à 913 km/h et à 14 000 m. 

Le rayon d'action de combat était de 4 195 km et le plafond était, initialement, de 17 000 m.

L'avion pouvait passer des tonneaux barriqués.

Le Vulcan fut construit à 136 exemplaires.

Il fut décliné en deux variantes successives : 

  • Le Vulcan B 1 (les 45 premiers exemplaires) avait gardé la géométrie et la structure originale de l'aile Delta. Par contre, ces avions avaient reçu un système de contre-mesure électroniques leur permettant d'entrer dans des zones normalement interdites à leur pénétration. Ces bombardiers B1 ont été retirés entre 1966 et 1967.
  • Le  Vulcan B 2 (les 90 exemplaires restants), avait, en plus, reçu des moteurs de 30% plus puissants et une voilure de taille supérieure. Ces deux modifications assuraient un plafond nettement plus élevé (19 000 m). Par ailleurs, la nouvelle voilure, renforcée, permettait mieux le vol à basse altitude, réduisant la vulnérabilité aux SAM, une fois qu'il fut démontré que les soviétiques disposaient de missiles sol-air efficaces (1960, voir plus bas).


Vie opérationnelle


Comme les V Bombers Britanniques ont passé l'essentiel de leur vie active pendant la Guerre Froide, il est possible que ces bombardiers aient joué un rôle plus complexe que ce que l'on trouve dans la littérature.

Rapidement, il parut évident que l'autonomie des Vulcan était un peu insuffisante, ce qui entraîna de développer considérablement l'entraînement au ravitaillement entre avions en vol (1959).
Cela rendit possible un vol depuis la base RAF de Scampton (située à environ 50 km à l'Ouest de l'embouchure de la Humber en Angleterre) jusqu'à Sydney en Australie. 
La distance de 18 500 km fut couverte en juste 20 heures, grâce à 3 ravitaillements en vol.

Les premiers déploiements de Vulcan concernèrent la guerre entre l'Indonésie et la Malaisie (1963-1966), largement instrumentalisée comme guerre anti-communiste. 

Pour le coup, il s'agissait d'une guerre asymétrique. Ces avions ne risquaient pas grand chose face aux canons de DCA des communistes locaux. 

Les Vulcan sont réputés n'avoir joué, dans ce conflit, qu'un rôle dissuasif, mais ce conflit n'a pas été non plus été très documenté chez nous (au même moment, la presse Anglo-Saxonne fustigeait quotidiennement notre guerre d'Algérie). 
La guerre Indonésienne était, étonnamment, infiniment moins couverte par nos médias...


Dissuasion Nucléaire


Notons que les Vulcan furent amenés à jouer le rôle de bombardiers soviétiques dans des manœuvres du NORAD pendant les années 1960, 1961 et 1962.

Il semblerait que, à cette occasion, les Vulcan aient permis de mettre en évidences des failles de sécurité du NORAD.

Ils ont aussi été capables en 1974 après 18 années de service, de déjouer les chasseurs US qui leur étaient opposés (exercice Giant Voice).

La menace des missiles Sol-Air (SAM)

Après la victoire de 1945, on savait  que les Allemands avaient développé un certain nombre de missiles sol-air entre 1942 et 1945. Tous les puissances sorties victorieuses du conflit en étaient informées.

Mais les essais de ces armes par les Alliés avaient été probablement mal réalisés, réduisant peu à peu l'intérêt pour de tels engins. 

A ma connaissances, aucun missile de DCA n'avait émergé de la guerre de Corée.

Par contre, le 1er Mai 1960, l'intérêt allié pour les missiles sol-air fut porté à son plus haut niveau lorsque le pilote de la CIA, Gary Powers, qui pilotait un avion espion Lockheed U2 au-dessus de l'URSS, fut abattu par un missile soviétique S 75 Dvina. 

{Pendant les diverses crises de la guerre froide, plusieurs autres U2 furent abattus de la même façon : Cuba, Vietnam, Taiwan, Chine.}


Missile S-75 Dvina : capable de Mach 3.5, capable de voler à 25 000 m de haut et de détruire un avion à 40 km.
La charge explosive pèse presque 200 kg (létal à bien plus de 100 m).
Cet engin fut amélioré, en particulier au niveau de ses commandes électroniques.


Du coup, les USA  décrétèrent que tous les bombardiers volant à haute altitude étaient définitivement périmés. 

Ce genre de prise de position Américaine est très fréquent, mais, pour autant, sa crédibilité est très loin d'être prouvée. La raison repose sur des faits :

  1. Les USA ont toujours voulu être le seul pays doté de bombes nucléaires. Par la loi McMahon du 1er Août 1946, ils avaient déjà refusé que les USA transmettent, à quelque pays du monde que ce soit, la moindre donnée issue du projet Manhattan sur les bombes nucléaires à fission.
  2. Une énorme pression fut exercée par eux sur la France, heureusement sans succès. La pression fut exercée de nouveau sur le Général De Gaulle lorsqu'il exprima sa volonté de créer une force nucléaire de dissuasion pour sanctuariser la France. 
  3. Les USA réussirent à imposer le système de double clef aux Britanniques lorsqu'ils avaient besoin d'utiliser des armes nucléaires Américaines.
  4. Lorsque le Royaume Uni chercha à disposer d'un missile sol-sol à portée intermédiaire, le Blue-Streak, on présenta ce missile comme issu d'une licence américaine du missile IRBM Thor. Ce missile fut un échec y compris en tant que base du lanceur spatial Europa lancé de la base Australienne de Woomera.   
  5. Les pleurnicheries US face aux S-75 soviétiques étaient surprenantes parce que :
    1. Le Lockheed U2 était un grand avion-espion (20 m de long x 30 m d'envergure, 18 tonnes au décollage) qui volait entre 18 000 et 24 000 m et qui se déplaçait à moins de 700 km/h en croisière (= de 150 à 190 m/s).  Il était donc facile à détecter.
    2. Il n'était vraiment pas un modèle de performances
    3. Il n'était pas davantage un modèle de manœuvrabilité parce qu'il volait, en permanence, à la limite du décrochage
    4. Cela explique aussi son manque d'équilibre sur sa trajectoire
    5. La solidité de sa cellule était limitée,
    6. Pire encore, les USA continuèrent à employer des U2 !

    Les missiles S-75 Dvina, utilisés fréquemment par l'Inde lors de la guerre Inde-Pakistan de 1965 (contre des chasseurs subsoniques F 86  Sabre et des chasseurs Hawker Hunter, bien plus agiles qu'un U2), n'ont obtenu qu'une seule victoire. 

    Il était donc évident que des avions supersoniques Mirage III ou Mirage IV, bien plus rapides et manœuvrants, subiraient encore bien moins de pertes.

    Cela se vérifia pendant la guerre des six jours. Par contre, l'amélioration des systèmes électroniques soviétiques se fit sentir pendant la guerre du Kippour (1973).

    Il faut se souvenir aussi que les radars d'alerte de l'époque émettaient un signal électromagnétique par un émetteur ponctuel qui tournait inlassablement sur 360°. 

    Les éventuels échos de ce signal étaient récupérés par de grandes antennes qui tournaient de façon solidaire avec l'émetteur.

    L'excellent radar Américain Westinghouse AN-TPS-43 de 1963 (entré en service en 1966), illustré ci-dessous, avait une fréquence d'émission de l'ordre de 3 GHz, chaque signal émis durait (initialement) 6.5 µS, la largeur du faisceau était de 1°, l'antenne réalisait 10 tours par minute (vidéo d'un matériel fonctionnant de manière semblable).

    Comme le point représentant le bombardier ennemi n'était réellement visible sur l'écran-radar que pendant 10 % du temps de recherche, on inventa alors des écrans permettant de figer les pixels importants sur l'écran pendant quelques secondes.


     

    Radar AN-TPS-43E : Portée 360 km

     

    Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les belligérants avaient vite compris que le vol à basse altitude protégeait du radar.

    Seule une attaque à moins de 60 m d'altitude AGL était considérée comme donnant une chance de réussir une pénétration chez l'adversaire, parce qu'aucun de ses radars n'était capable de suivre les trajectoires d'engins dotés d'une grande vitesse angulaire.

    Ce type de vol est cependant très éprouvant à la fois pour les navigants et pour les avions, à cause de la violence des turbulences.

    Heureusement, l'aile Delta a de bonnes caractéristiques dans de telles conditions. 

    Mais, avant même ce changement de pratique, la RAF introduisit son volumineux missile de croisière Blue Steel (dont on parla beaucoup à l'époque) et qui prolongeait le vol de haute altitude d'environ 300 km (d'autres sources donnent de 333 à 240 km). A basse altitude, la distance passait à 160 km. 

    Il semble que la portée visée était de 900 km mais le système de maintien de cap (plateforme inertielle) du système de guidage pouvait se dérèglait au delà de 200 km.


    Missile Blue Steel - 


    Ce missile avait une longueur de 11 m, un diamètre de 1.22 m, une envergure de 4 m et une masse de près de 8 tonnes. 

    Suivant les sources, la vitesse passe de Mach 1.6 à Mach 3+. 

    En fait, cela correspondait à l'organisation du moteur fusée : 
    • La 1ère chambre de combustion était allumée et les 110 kN de poussée plaçaient l'engin sur la trajectoire désirée jusqu'à une vitesse de Mach 1.5.
    • Ensuite, la 2ème chambre de combustion (60 kN) menait le missile à Mach 3. 
    • Une fois sur l'objectif, le moteur fusée était éteint (s'il n'avait pas consommé tout son carburant) et la tête nucléaire "tombait" pour déclencher l'explosion nucléaire avant de toucher le sol.
    Une poignée d'années plus tard, le Blue Steel fut retiré (ce que je ne comprend pas vraiment).

    La Grande Bretagne s'était associée à l'US Air Force en 1960 pour obtenir des missiles GAM-87 Skybolt technologiquement plus évolués. 

    Mais, 2 ans plus tard, les USA arrêtaient ce projet qui "aurait pu entraîner les USA dans un conflit nucléaire déclenché par le Royaume Uni" dixit Mr. Robert McNamara, secrétaire à la défense. 
    Il comptait sur ses MSBS Lockheed UGM-27 Polaris A-I (environ 2 000 km de portée, 0.6 Mégatonne) lancées par des SNLE. 
    D'après les essais, ces missiles étaient très peu fiables (à peine plus de 10% de tirs réussis).

    Les Polaris A-II, très améliorées, emmenaient une charge mégatonnique à 2 800 km et les Polaris A- III avaient une portée de 4 500 km.

    Le missile Boeing  LGM-30 Minuteman fut un choc technologique avec une capacité intercontinentale (8 000 km).
    Cependant, le cercle d'erreur probable avait un rayon d'ordre kilométrique, ce qui semblait bien moins précis qu'un bombardement aérien.

    Reconnaissance maritime

    Fin 1973, du fait des fatigues structurelles ayant été décelées sur les bombardiers Victor, ces derniers virent leur structure réparée mais leur mission fut convertie en ravitaillement en vol. Certains de ces avions étaient alors spécialisés dans la reconnaissance radar de l'environnement maritime de l'archipel Britannique.

    Il était en particulier vital de surveiller le GIUK. Cette tâche revint alors à une escadrille de Vulcan


    Ce GIUK est le systèmes de verrous rocheux par lequel toute flotte issue d'un pays Nord Européen doit passer pour accéder à l'Atlantique. Le terme implique que la flotte Britannique s'attribue le pouvoir d'empêcher des navires indésirables de passer.

    Pour votre information, je me permets de recopier une phrase de l'article sur le GIUK dans en. Wikipedia. 
    Elle est assez caractéristique : "As the British also control the strategic port of Gibraltar at the entrance to the Mediterranean, this means Spain, France, and Portugal are the only Continental European countries that possess direct access to the Atlantic Ocean that cannot easily be blocked at a choke point by the Royal Navy."

    Cela signifie que toute tentative de passage doit être connue par la Home Fleet (ou son équivalent actuel). 
    Les patrouilles aériennes doivent donc être minutieuses, donc longues et usantes pour le matériel. 
    L'escadrille 27 reçut donc des avions modifiés pour ce rôle (MRR), en particulier en utilisant un système de navigation LORAN C. Fin 1982, ces avions furent relevés de cette fonction.

    Guerre des Malouines

    Le Vulcan joua le plus important de tous ses rôles opérationnels lors de la guerre contre l'Argentine (2 Avril 1982). Il s'agissait de bombardements conventionnels. 

    Décollant de l'île de l'Ascension, les Vulcan devaient bombarder Port Stanley, situé à 6 300 km de leur point de départ. 

    Evidemment, cela exigeait un ravitaillement en vol qui était apporté par des Victor, ex-concurrents du Vulcan, mais qui ne pouvaient pas être prépositionnés longtemps à l'avance. Car, difficulté considérable, les cibles n'étaient pas identifiées d'avance.


    l'opération Black Buck contre les Argentins aux Malouines (alias Falklands)

    Le ravitaillement aérien exigea 14 Victor. Chaque mission Back Buck consommait au total 5 000 m² de fuel.

    Les USA  envoyèrent du carburant aux Britanniques au moyen de Boeing KC 135.

    Chaque des 7 raids de bombardement fut codé Black Buck suivi de son numéro d'ordre.

    Les Black Buck de 1 à 3 attaquèrent l'aérodrome de Port-Stanley pour en détruire la piste. La première attaque fut suffisante pour empêcher les Argentins de placer des Mirage III sur la piste de Port Stanley.

    Chaque Vulcan bénéficiait d'une plateforme inertielle de navigation (Carousel), d'un système de contre-mesures sophistiqué AN/ALQ-101 (alias Dash 10). 

    Chacun emportait 21 bombes conventionnelles de 1 000 lb.

    Ceux numérotés de 4 à 6 se concentrèrent sur la destruction des radars, grâce à des missiles antiradar spécialisés Shrike. C'est ainsi que les troupes Britanniques purent reprendre les Malouines.

    Le nombre de Vulcan employés fut très restreint (6 pour 3 escadrilles - # 44, 50 et 101 - mais seulement 4 avions furent envoyés). Aucun ne fut perdu, mais un d'entre eux, n'ayant pas été correctement ravitaillé, dû se poser au Brésil ou il fut interné à Rio de Janeiro, comme son équipage.


    Les Vulcan terminèrent honorablement leur carrière en faisant des vols de démonstration, jusqu'en 1992. 

    Le Vulcan a été suffisamment important pour les Britannique pour être un important point de départ pour le film Opération Tonnerre (1965) où James Bond était incarné par Sir Sean Connery.


    Complément sur les avions concurrents du Vulcan


    Le Valiant imposé contre le choix du jury

    Le puissant trust de l'armement Anglais Vickers avait choisi de créer son Valiant avec une voilure en double flèche (37° à la racine puis 21° à l'apex). 

    Ses décideurs savaient que les Allemands avaient sérieusement défriché le sujet ! 


    Vickers Valiant


    Cet avion de 64 t en charge, vola plus d'un an avant ses concurrents (Mai 1951). 

    Il démontra une vitesse maximale de 912 km/h - à peine équivalente à la vitesse de croisière exigée - et démontra uplafond de 16 000. 

    Sa surface alaire de 219.4 m² lui conférait une charge alaire de 290 kg/m². 

    Il pouvait emporter 10 t de bombes et avait une autonomie de 7 000 km. Il servit uniquement dans l'affaire de Suez, de triste mémoire, en 1956...

    Il fut construit à 107 exemplaires. 

    On dut le retirer de la première ligne en 1965 car sa cellule était devenu trop fragile pour assurer des missions à basse altitude.

    On ne peut que s'étonner du choix de construire cet avion qui était un proie théoriquement très facile pour des Mig 15 soviétiques.



    Le Handley-Page Victor

    De son côté, Handley-Page préféra créer, pour son Victor, une voilure en croissant très sophistiquée qui se révéla plutôt bien adaptée aux vols transsoniques. 


    HP Victor K2



    Cet avion fut le dernier à prendre son envol, fin Décembre 1952. 

    Sa masse au décollage était de 93 tonnes. Sa voilure de 223 m² lui assurait une charge alaire de 415 kg/m².

    Avec quatre réacteurs Armstrong Siddeley Sa.7 Sapphire, donnant 5 tonnes de poussée chacun, il avait une vitesse maximale supérieure à 1 000 km/h et on s'aperçut qu'en léger piqué, il passait Mach 1. 

    Son autonomie atteignait 9 700 km.

    Son plafond était de 17 000 m. Enfin, il portait 16 tonnes de bombes.

     Le Victor fut construit en 86 exemplaires.

    Il se démontra très supérieur au Valiant.



    Questions fondamentales

    A ce stade, on a, peut être, le droit de se poser quelques questions. 

    D'abord, pourquoi avoir commandé 3 modèles différents de bombardiers ? Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour comprendre que le Valiant était médiocre et qu'il ne satisfaisait pas du tout à la clause de vitesse maximale (le réduisant à une sorte de MS 406 des bombardiers) ?

    Logiquement, le choix devait donc se faire uniquement entre le Victor et le Vulcan, et c'est bien ainsi que le choix avait été initialement fait. 

    La sortie des Mig 15, 17 et 19 rebattait les cartes et une capacité supersonique réelle était désormais indispensable.

    Il semble évident que le premier aurait pu être cantonné dans le rôle de bombardier conventionnel, tandis que le Vulcan devait être le bombardier nucléaire et qu'il aurait été intéressant de lui faire atteindre des vitesses dans le bas supersonique (M 1.2 à 1.4) probablement facile à obtenir (application de la loi des aires, réacteurs un peu plus puissants et, surtout, entrées d'air plus sophistiquées).


    Ensuite, nous savons que ces bombardiers étaient destinés à réaliser des bombardement nucléaires, voire thermonucléaires.

    Pourtant, nous savons que le Japon avait été mis à genoux par seulement deux B 29 nucléaires.

    On peut donc s'étonner de la mise en commande, par la Grande Bretagne, d'imposantes séries de bombardiers stratégiques nucléaires (environ 330 bombardiers) alors même que la Guerre de Corée venait de déclasser définitivement tous les avions Alliés issue de la Seconde Guerre Mondiale.

    Il est vrai, toutefois, que l'extension de la Guerre Froide en Europe, puis l'explosion de la première bombe A soviétique (29 Août 1949) favorisait l'accélération du réarmement.


    Cependant, cela démontre que pour les politiciens et militaires des années 50, la future guerre allait largement utiliser des bombes nucléaires. Les USA commandèrent 774 bombardiers B 52 dont 10% sont encore opérationnels.

    A l'évidence, l'analyse des conséquences médicales des explosions nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki étaient alors très peu connues et l'évolution des cancers était alors très mal comprise : Elle semblait aléatoire, donc imprévisible, donc on ne s'en occupait pas vraiment. 

    La communication sur les nombreux essais nucléaires US allait inventer l'expression bombe nucléaire propre (Américaine) opposée, bien sûr, à celle de bombe nucléaire sale évidemment soviétique. 


    Pourquoi Diable l'Angleterre a-t-elle commandé plus de 300 bombardiers nucléaires ? 

    Cela rappelle étrangement la volonté Britannique, au début du XXème siècle, de faire en sorte que sa flotte de super-dreadnoughts compte deux fois plus d'unités que la plus puissante des flottes concurrentes. 

    J'ai contesté que cela ait servi à grand chose et je persiste.

    Mais justement, l'arme nucléaire n'est pas une arme de joueur de poker. 

    Je n'ai pas d'avantage l'impression que ces bombardiers aient joué un rôle plus fondamental que nos Mirage IV.









    samedi 27 août 2022

    L'abandon du chasseur Canadien Avro CF 105 Arrow (révisé le 29 V 2023 ***)

    {Les données dont je suis parti proviennent essentiellement de l'article Wikipedia de langue Anglaise tel qu'il était le 21 Août 2022. }


    Point de départ


    En 1953, la RCAF (Royal Canadian Air Force) sortait de 3 ans de guerre de Corée. 

    La Guerre Froide était donc à son maximum et, pire encore, on venait de découvrir que l'URSS venait de mettre au point deux excellents bombardiers stratégiques capables de délivrer à ses ennemis de vraies bombes nucléaires.

    Le premier fut le Tupolev 16 à réaction, le second fut le Tupolev 95 à hélices. 
    A l'époque, ces deux bombardiers, tous les deux subsoniques, étaient remarquables (le Tupolev 95 vole toujours, provoquant des sorties de chasseurs OTAN partout où ses pilotes le mènent), dépréciant définitivement le Convair B 36 Peacemaker du Strategic Air Command,  incapable de résister aux chasseurs Mig 15.

    Avro-Canada avait créé le CF 100, qui, depuis peu, protégeait efficacement les immenses étendues Canadiennes. Mais ses performances n'excédaient pas vraiment celles des bombardiers soviétiques. 

    A la même période, on pensait déjà à des avions plus rapides, largement supersoniques. Chez nous, par exemple, en 1951, l'ingénieur Lucien Servanty commençait la conception d'un intercepteur propulsé par fusée, le SO 9000 Trident., qui démontra sa capacité de voler aisément à près de Mach 2. Marcel Dassault lance l'étude d'un avion à aile delta, le Mirage MD 550, à propulsion comparable à celle du Trident.
    Les USA rêvaient au Lockheed F 104, de sombre mémoire. 

    La RCAF demanda donc à Avro-Canada de sortir un chasseur bien plus rapide que le CF 100. 



    Ainsi commença l'épopée du CF 105 Arrow, meilleur chasseur Mach 2 de toute l'Amérique du Nord jusqu'à la sortie du F 15 puis du F 16, 20 ans plus tard. 

    Au départ, tout se passa très bien. Les responsables du bureau d'étude d'Avro choisirent une voilure delta pour assurer une traînée minimale, en particulier aux très hautes vitesses. 

    Ce type de voilure offre aussi un volume interne plus grand (carburant, armes, etc) que celui des autres solutions. 

    Les Anglo-Saxons attribuent l'aile delta à l'Allemand A. Lippisch, mais il suffit de regarder son projet P.13a de 1944 pour voir tout ce qu'il avait reçu du projet du Français Nicolas Rolland Payen 22 conçu pour la coupe Deutsch de la Meurthe de 1939 (avec son delta à 67° et un plan canard antérieur).

    Certes, on pensait alors que ce type de voilure pouvait être inadapté aux combats à la Japonaise, par rapport à d'autres configurations. 

    Mais l'appareil devait être un intercepteur, donc la maniabilité devenait moins essentielle.

    Pour des raison de rapidité de ravitaillement au sol (carburant + munitions), la voilure fut choisie haute.

    En Avril 1953, le constructeur se faisait fort d'obtenir les performances suivantes :
    • l'avion aurait un équipage de 2 hommes et serait bimoteur ;
    • il pourrait décoller d'une piste de 1 800 m ;
    • Le rayon d'action de combat irait de 550 km à 370 km suivant la vitesse choisie ;
    • La vitesse de pointe serait de Mach 1.9 à 15 000 m d'altitude ;
    • La montée à 15 000 m prendrait un peu plus de 4 minutes
    • A cette même altitude, l'avion pouvait réaliser des virages sous 2 g sans perdre d'altitude.
    Tout cela était plus qu'inhabituel. La concurrence US ne tenait pas du tout la comparaison.



    En 1955, la RAF évalua le Arrow en tant que chasseur tous-temps. Les performances du futur chasseur étaient confirmées, voire améliorées. 

    Le rayon d'action de combat était de 750 km à grande vitesse et de 1170 km à basse vitesse. En vol de transfert, l'autonomie approchait les 2 800 km.

    Les moteurs choisis pour les essais furent des P&W J 75 de 78 kN au décollage.
    La méthode de création de la production en série partait, ici, de la construction de 5 avions de présérie qui allaient faire tous les essais. 

    Tout problème entrainant des modifications structurales était clairement répertorié et documenté mais les modifications n'entreraient que dans la structure des futures avions de série, pour gagner du temps et de l'argent.

    L'essentiel des modèles aérodynamiques furent essayés en collaboration avec les USA, y compris en travaillant avec le NACA (et non la NASA, qui n'a repris les activités du NACA  que le 1er Octobre 1958).

    L'avion intégrait de nombreuses nouveautés (loi des aires, servocommandes, système de stabilité augmentée, etc).


    En Vol

    L'avion commença ses essais le 4 Octobre 1957.


    4ème prototype du CF 105 Arrow - Hiver 1958-1959 - 
    La configuration générale préfigure celle du MIG 31 tri-sonique



    Il avait une longueur de 23.70 m, sa masse passait de 22 250 kg à vide à 25 800 kg au décollage et elle passait à 31 tonnes au maximum.

    La voilure, de 114 m², lui assurait une charge alaire modeste de 227 kg/m². 

    Les deux réacteurs P&W J75-P-3 délivraient 7300 kg de poussée à sec et 10 500 kg de poussée avec post-combustion.

    Il était prévu que ces réacteurs soient remplacé par de Orenda TR 13 Iroquois de 13 tonnes de poussée chaque.

    Le premier vol stricto sensu fut réalisé le 25 Mars 1958. 

    Aucun problème sérieux ne fut découvert.

    Au contraire, l'Arrow  démontra rapidement d'excellente propriétés de vol. il fut supersonique à son 3ème vol. 

    Quatre vols plus tard, il démontrait 1 600 km/h à 15 000 m alors qu'il volait encore en montée.

    Un rapport d'Avro publié en 2015 confirma que le CF 105 avait bien passé Mach 1.90 en vol horizontal.

    La vitesse atteinte à cette occasion fut de 2104 km/h.

    En croisière, il volait à 980 km/h. 

    Le plafond pratique atteignait 16 000 m.

    Le rapport poussée poids atteignait 0.825, ce qui était bien plus fort que ceux de ses rivaux contemporains.

    Certes, on trouva bien de problèmes mineurs dans le train d'atterrissage comme dans d'autres systèmes mais l'Arrow était vraiment sur le point d'être commandé en série.

    Autrement dit, cet avion qui impressionnait tous les spécialistes contemporains était une grande réussite. 

    C'était d'autant plus remarquable que ce chasseur était un avion stratégique (puisque réellement capable d'éliminer des bombardiers nucléaires soviétiques) qui était né dans un pays peu considéré au sein des nations Anglo-Saxonnes.

    Néanmoins, cet avion disposait uniquement de missiles Hughes AIM-4 Falcon dont on sait parfaitement qu'ils n'ont pratiquement jamais abattu d'avion, ce qui devint patent pendant la Guerre du Vietnam.
    {Les USA ayant alors récusé les canons montés sur avion se trouvèrent assez démunis...}


    La cabale anti-CF 105

    Certaines caractéristiques des chefs militaires suprêmes, qu'ils soient civils (ministres) ou militaires (officiers généraux) résident dans leurs préoccupations politiques, ou plutôt politiciennes.
    Nous, Français, avons lourdement payé ce genre de pratique par notre défaite du 24 Juin 1940.

    La première préoccupation des personnes que je viens d'évoquer était que leur arme soit la mieux dotée possible. 
    Ce fut le cas de notre Marine Nationale lorsque Georges Leygues était ministre de la Marine.. 

    De même, dans le cas du CF 105 qui nous intéresse, les chefs d'état-major de la Marine et de l'Armée de Terre Canadienne, découvrant l'importance du financement du programme du chasseur Arrow, poussèrent de grands cris d'orfraie. 

    Théoriquement, pourtant, si les bombardiers subsoniques soviétiques étaient arrivés au dessus du Canada, ni les bateaux ni les chars Canadiens n'auraient plus servis à rien. 

    Seuls des avions de chasse rapides et bien pilotés pouvaient les empêcher de passer.

    La seconde préoccupation est que ces personnages lorgnent souvent un rôle politique (le plus puissant possible). 
    Pour eux, l'intérêt réel de la Nation devient alors secondaire, voire négligeable. 

    Pour éviter de toujours critiquer nos décideurs Français, un bel exemple réside dans les grands chefs de l'Armée Impériale Japonaise de 1941-42, qui ne tinrent aucun compte de la vraie situation stratégique. 
    En conséquence, leur entrée en guerre contre l'Amérique avait été pensée sans tenir aucun compte des réalités, mais en créant juste ce qu'il fallait de rage meurtrière aux USA pour que le Japon finisse par recevoir 2 bombes nucléaires. 
    Ils n'avaient rien compris à l'intérêt réel du peuple Nippon.

    On peut aussi compléter ce tableau en rappelant que certains militaires de haut rang peuvent, dans certaines circonstances, succomber à l'appât du gain pour favoriser un constructeur en particulier. 

    Mais pour que des êtres humains soient corrompus, il faut qu'ils soient confrontés à un corrupteur.
    Il se trouve, justement, que les USA avaient créé une structure de veille aérienne très sophistiquée (du moins, en apparence) avec une op room qui impressionnait beaucoup les âmes sensibles.

    Une réunion commune des grands états-majors Canadiens et US se termina par la création du NORAD. 
    Dans cette organisation, évidemment, les USA se taillaient la part du lion : Ils commandaient tout et disposaient d'un QG (base Ent) dans les Cheyenne mountains




    Le lancement très réussi de plusieurs satellites soviétiques à partir de l'Automne 1957 (au moment même où les lanceurs US échouaient systématiquement) entraîna un changement de réflexion chez les décideurs Américains : Les Russes allaient très certainement préférer lancer des missiles balistiques ultra-rapides (Mach 15 à 20) plutôt que des bombardiers lents et lourds.
    Mieux valaient donc tout miser sur des missiles.

    Il fallut un certain temps pour que certains militaires soulignent aux gouvernants qu'une fois un missile lancé, il suit fidèlement sa route in extenso, sans aucun remords, tandis que l'équipage d'un avion peut recevoir l'ordre de revenir à la base avant de déclencher l'Apocalypse ! 
    (C'est pourquoi la France dispose toujours d'une force de dissuasion pilotée en plus de sa Force Océanique Stratégique.)

    Les USA avaient développé le projet SAGE pour donner une réponse entièrement automatisée à une agression aérienne soviétique. 
    Les stations SAGE DC (Direction Center) comportaient le nec plus ultra des ordinateurs IBM FSQ-7, dont chacun s'étalait sur 2 000 m² et avait à peine la puissance d'un smartphone !




    Cet ordinateur définissait (officiellement) la trajectoire à suivre pour déterminer qui allait répondre à la menace.

    Bien sûr, cela pouvait impressionner les quidams de la période 1955-1964. 
    {Personnellement, sachant que le tout était programmé (au mieux) en Fortran et que cela passait par des cartes perforées manuellement sur des télétypes, je suis vraiment très sceptique sur la rapidité de réaction de ce système.}

    Il informait alors soit des intercepteurs (lesquels ?), soit des missiles Boeing IM-99A Bomarc.


    Ce missile, long de 14.20 m, pesait 7 tonnes, dont la charge consistait soit en 454 kg d'explosifs, soit en une bombe nucléaire de 7 kilotonnes. 

    Le missile décollait verticalement, une fois que la vitesse de l'air entrant dans ses statoréacteurs était suffisante (environ 400 km/h), ces réacteurs étaient allumés.
    L'engin montait alors jusqu'à 20 000 m et accélérait jusqu'à Mach 2.8. 
    Une fois arrivé à environ 16 km de sa cible, il devait foncer dessus. 

    On prétendit alors que chaque Bomarc descendrait automatiquement son bombardier soviétique et que, en plus, les Bomarc pouvaient tout aussi bien détruire les missiles intercontinentaux rouges. 

    On a alors mis en lumière le fait qu'un Bomarc coutait 2 millions de $ Canadiens alors qu'un seul Arrow coûtait plus de 12 millions de cette même devise. 

    On oublia, alors et très opportunément, que les Arrow pouvaient répéter leurs actions de chasse au moins 2 fois par jour, de même que leur puissance et leur vitesse étaient destinées à progresser significativement, leur ouvrant de nouveaux rôles, tandis que chaque Bomarc disparaissait inexorablement dès son premier tir.


    Les USA, même s'ils connaissaient évidemment la courbe du chien, n'avaient encore strictement rien compris à chacun des problèmes posés par l'interception des missiles.
    Même s'ils ont nettement progressé sur ce plan en 2022, ils éprouvent encore quelques difficultés..

    Leur publicité pour le Bomarc reposait donc sur un mensonge éhonté : L'ogive d'un missile intercontinental arrive à Mach 20 et parcourt, en gros, 6 kilomètres par seconde. 

    Le Bomarc devait monter à 20 000 m pour commencer à agir. Mais il était incapable de monter plus haut. 
    Il lui fallait scanner son environnement, identifier la cible et foncer vers elle...

    En plus, aucun radar de l'époque ne pouvait suivre la trajectoire terminale d'un missile intercontinental, puisque leurs antennes tournaient majestueusement (donc lentement) sur elles-mêmes.. 



    Un F 15 escorte un Tu 95 : Le CF105 Arrow eut fait aussi bien et dans l'indépendance de son pays




    Le plus gros menteur (je pourrais écrire le traitre) de cette histoire fut le premier ministre Canadien John Diefenbaker, leader du parti Progressiste Conservateur (sacré oxymore, soit dit en passant !) 

    Son parti paya très cher son abandon face aux sirènes US.

    L'abandon du projet eut pour résultat la mise au chômage de 30 000 personnes dans l'industrie aéronautique Canadienne.

    Le Canada dut, en plus, acheter aux USA, entre 1961 et 1962, 66 avions Voodoo bien moins performants et qui n'étaient pas évidemment gratuits.

    Ces avions furent très actifs et rendus (très fatigués) aux USA entre 1970 et 1972. Des Voodoo modernisés les remplacèrent jusqu'à ce que des Northrop F 18 Hornet viennent reprendre leur fonction.

    Quitte à utiliser un avion de chasse US, il est difficile de comprendre qu'ils n'aient pas choisi le Convair F 106 Delta Dart, qui pouvait tourner un virage sous 8 g, passait Mach 2.3 (2450 km/h à 12 000 m), montait à 16 000 m en 7 minutes et qui était aérodynamiquement supérieur au F 101 comme au McDonnell F4 Phantom II (celui-ci étant toutefois plus puissant et mieux armé). 


    Un problème Britannique

    A la fin des années 50, les militaires du Royaume Uni sentaient que que leurs bombardiers V allaient devenir moins performants. 

    Ils décidèrent de créer un bombardier bi-sonique de 50 tonnes au décollage, le BAC TSR2.

    En regardant cet avion, et en le comparant au CF 105, un de mes lecteurs (commentaire du 13 XI 2022) a mis en évidence la lourde faute des politiciens Britanniques : 
    • L'Avro Arrow aurait parfaitement pu jouer le rôle du TSR 2, moyennant une rallonge en carburant. 
    Mais j'imagine que les services US doivent avoir livré à ces décideurs des matelas bourrés de billets verts. 


    La volonté d'oublier

    Après l'abandon du Arrow, le gouvernement Canadien et le Grand Etat-Major décidèrent la destruction (par la police montée) :
    • de tous les prototypes construits 
    • des cellules des chasseurs en cours d'achèvement 
    • de tous les documents 
    • et même des maquettes aérodynamiques.
    Evidemment, on expliqua cette paranoïa par la crainte d'une fuite d'information vers l'Union Soviétique communiste.

    Certes, les fuites existent toujours. Mais elles ne sont pas toujours créées par ceux que l'on croit. 

    Mais, surtout, le Canada avait perdu le rôle de premier plan qui aurait été le sien. Ainsi, les USA apparaissait comme la superpuissance qu'ils voulaient et veulent toujours être.



    Conclusion


    J'insiste sur le schéma décisionnel :
    • le pays développe un engin efficace
    • l'avion vole bien,
    • il est efficace,
    • il intéresse des pays étrangers
    • il est supérieur à tous les avions US existants.
    • les élections mettent au pouvoir un personnage minable qui se moque des intérêts de son pays mais qui sait flatter ses électeurs. Son parti est en général celui qui est le plus démagogue.
    • les USA raflent la mise et vendent leur produit...
    A peu près en même temps que les Canadiens avaient créé leur Arrow, Marcel Dassault avait sorti son Mirage IV. 

    Initialement, cet avion devait, lui aussi, être un chasseur à très long rayon d'action. De ce fait, sa structure supportait d'importantes contraintes.

    Cependant, notre pays n'avait pas les moyens pour un tel emploi. 

    Notre avion fut donc employé comme vecteur nucléaire et avion espion et il le fit parfaitement. Quel chance nous avons !