samedi 27 août 2022

L'abandon du chasseur Canadien Avro CF 105 Arrow (révisé le 29 V 2023 ***)

{Les données dont je suis parti proviennent essentiellement de l'article Wikipedia de langue Anglaise tel qu'il était le 21 Août 2022. }


Point de départ


En 1953, la RCAF (Royal Canadian Air Force) sortait de 3 ans de guerre de Corée. 

La Guerre Froide était donc à son maximum et, pire encore, on venait de découvrir que l'URSS venait de mettre au point deux excellents bombardiers stratégiques capables de délivrer à ses ennemis de vraies bombes nucléaires.

Le premier fut le Tupolev 16 à réaction, le second fut le Tupolev 95 à hélices. 
A l'époque, ces deux bombardiers, tous les deux subsoniques, étaient remarquables (le Tupolev 95 vole toujours, provoquant des sorties de chasseurs OTAN partout où ses pilotes le mènent), dépréciant définitivement le Convair B 36 Peacemaker du Strategic Air Command,  incapable de résister aux chasseurs Mig 15.

Avro-Canada avait créé le CF 100, qui, depuis peu, protégeait efficacement les immenses étendues Canadiennes. Mais ses performances n'excédaient pas vraiment celles des bombardiers soviétiques. 

A la même période, on pensait déjà à des avions plus rapides, largement supersoniques. Chez nous, par exemple, en 1951, l'ingénieur Lucien Servanty commençait la conception d'un intercepteur propulsé par fusée, le SO 9000 Trident., qui démontra sa capacité de voler aisément à près de Mach 2. Marcel Dassault lance l'étude d'un avion à aile delta, le Mirage MD 550, à propulsion comparable à celle du Trident.
Les USA rêvaient au Lockheed F 104, de sombre mémoire. 

La RCAF demanda donc à Avro-Canada de sortir un chasseur bien plus rapide que le CF 100. 



Ainsi commença l'épopée du CF 105 Arrow, meilleur chasseur Mach 2 de toute l'Amérique du Nord jusqu'à la sortie du F 15 puis du F 16, 20 ans plus tard. 

Au départ, tout se passa très bien. Les responsables du bureau d'étude d'Avro choisirent une voilure delta pour assurer une traînée minimale, en particulier aux très hautes vitesses. 

Ce type de voilure offre aussi un volume interne plus grand (carburant, armes, etc) que celui des autres solutions. 

Les Anglo-Saxons attribuent l'aile delta à l'Allemand A. Lippisch, mais il suffit de regarder son projet P.13a de 1944 pour voir tout ce qu'il avait reçu du projet du Français Nicolas Rolland Payen 22 conçu pour la coupe Deutsch de la Meurthe de 1939 (avec son delta à 67° et un plan canard antérieur).

Certes, on pensait alors que ce type de voilure pouvait être inadapté aux combats à la Japonaise, par rapport à d'autres configurations. 

Mais l'appareil devait être un intercepteur, donc la maniabilité devenait moins essentielle.

Pour des raison de rapidité de ravitaillement au sol (carburant + munitions), la voilure fut choisie haute.

En Avril 1953, le constructeur se faisait fort d'obtenir les performances suivantes :
  • l'avion aurait un équipage de 2 hommes et serait bimoteur ;
  • il pourrait décoller d'une piste de 1 800 m ;
  • Le rayon d'action de combat irait de 550 km à 370 km suivant la vitesse choisie ;
  • La vitesse de pointe serait de Mach 1.9 à 15 000 m d'altitude ;
  • La montée à 15 000 m prendrait un peu plus de 4 minutes
  • A cette même altitude, l'avion pouvait réaliser des virages sous 2 g sans perdre d'altitude.
Tout cela était plus qu'inhabituel. La concurrence US ne tenait pas du tout la comparaison.



En 1955, la RAF évalua le Arrow en tant que chasseur tous-temps. Les performances du futur chasseur étaient confirmées, voire améliorées. 

Le rayon d'action de combat était de 750 km à grande vitesse et de 1170 km à basse vitesse. En vol de transfert, l'autonomie approchait les 2 800 km.

Les moteurs choisis pour les essais furent des P&W J 75 de 78 kN au décollage.
La méthode de création de la production en série partait, ici, de la construction de 5 avions de présérie qui allaient faire tous les essais. 

Tout problème entrainant des modifications structurales était clairement répertorié et documenté mais les modifications n'entreraient que dans la structure des futures avions de série, pour gagner du temps et de l'argent.

L'essentiel des modèles aérodynamiques furent essayés en collaboration avec les USA, y compris en travaillant avec le NACA (et non la NASA, qui n'a repris les activités du NACA  que le 1er Octobre 1958).

L'avion intégrait de nombreuses nouveautés (loi des aires, servocommandes, système de stabilité augmentée, etc).


En Vol

L'avion commença ses essais le 4 Octobre 1957.


4ème prototype du CF 105 Arrow - Hiver 1958-1959 - 
La configuration générale préfigure celle du MIG 31 tri-sonique



Il avait une longueur de 23.70 m, sa masse passait de 22 250 kg à vide à 25 800 kg au décollage et elle passait à 31 tonnes au maximum.

La voilure, de 114 m², lui assurait une charge alaire modeste de 227 kg/m². 

Les deux réacteurs P&W J75-P-3 délivraient 7300 kg de poussée à sec et 10 500 kg de poussée avec post-combustion.

Il était prévu que ces réacteurs soient remplacé par de Orenda TR 13 Iroquois de 13 tonnes de poussée chaque.

Le premier vol stricto sensu fut réalisé le 25 Mars 1958. 

Aucun problème sérieux ne fut découvert.

Au contraire, l'Arrow  démontra rapidement d'excellente propriétés de vol. il fut supersonique à son 3ème vol. 

Quatre vols plus tard, il démontrait 1 600 km/h à 15 000 m alors qu'il volait encore en montée.

Un rapport d'Avro publié en 2015 confirma que le CF 105 avait bien passé Mach 1.90 en vol horizontal.

La vitesse atteinte à cette occasion fut de 2104 km/h.

En croisière, il volait à 980 km/h. 

Le plafond pratique atteignait 16 000 m.

Le rapport poussée poids atteignait 0.825, ce qui était bien plus fort que ceux de ses rivaux contemporains.

Certes, on trouva bien de problèmes mineurs dans le train d'atterrissage comme dans d'autres systèmes mais l'Arrow était vraiment sur le point d'être commandé en série.

Autrement dit, cet avion qui impressionnait tous les spécialistes contemporains était une grande réussite. 

C'était d'autant plus remarquable que ce chasseur était un avion stratégique (puisque réellement capable d'éliminer des bombardiers nucléaires soviétiques) qui était né dans un pays peu considéré au sein des nations Anglo-Saxonnes.

Néanmoins, cet avion disposait uniquement de missiles Hughes AIM-4 Falcon dont on sait parfaitement qu'ils n'ont pratiquement jamais abattu d'avion, ce qui devint patent pendant la Guerre du Vietnam.
{Les USA ayant alors récusé les canons montés sur avion se trouvèrent assez démunis...}


La cabale anti-CF 105

Certaines caractéristiques des chefs militaires suprêmes, qu'ils soient civils (ministres) ou militaires (officiers généraux) résident dans leurs préoccupations politiques, ou plutôt politiciennes.
Nous, Français, avons lourdement payé ce genre de pratique par notre défaite du 24 Juin 1940.

La première préoccupation des personnes que je viens d'évoquer était que leur arme soit la mieux dotée possible. 
Ce fut le cas de notre Marine Nationale lorsque Georges Leygues était ministre de la Marine.. 

De même, dans le cas du CF 105 qui nous intéresse, les chefs d'état-major de la Marine et de l'Armée de Terre Canadienne, découvrant l'importance du financement du programme du chasseur Arrow, poussèrent de grands cris d'orfraie. 

Théoriquement, pourtant, si les bombardiers subsoniques soviétiques étaient arrivés au dessus du Canada, ni les bateaux ni les chars Canadiens n'auraient plus servis à rien. 

Seuls des avions de chasse rapides et bien pilotés pouvaient les empêcher de passer.

La seconde préoccupation est que ces personnages lorgnent souvent un rôle politique (le plus puissant possible). 
Pour eux, l'intérêt réel de la Nation devient alors secondaire, voire négligeable. 

Pour éviter de toujours critiquer nos décideurs Français, un bel exemple réside dans les grands chefs de l'Armée Impériale Japonaise de 1941-42, qui ne tinrent aucun compte de la vraie situation stratégique. 
En conséquence, leur entrée en guerre contre l'Amérique avait été pensée sans tenir aucun compte des réalités, mais en créant juste ce qu'il fallait de rage meurtrière aux USA pour que le Japon finisse par recevoir 2 bombes nucléaires. 
Ils n'avaient rien compris à l'intérêt réel du peuple Nippon.

On peut aussi compléter ce tableau en rappelant que certains militaires de haut rang peuvent, dans certaines circonstances, succomber à l'appât du gain pour favoriser un constructeur en particulier. 

Mais pour que des êtres humains soient corrompus, il faut qu'ils soient confrontés à un corrupteur.
Il se trouve, justement, que les USA avaient créé une structure de veille aérienne très sophistiquée (du moins, en apparence) avec une op room qui impressionnait beaucoup les âmes sensibles.

Une réunion commune des grands états-majors Canadiens et US se termina par la création du NORAD. 
Dans cette organisation, évidemment, les USA se taillaient la part du lion : Ils commandaient tout et disposaient d'un QG (base Ent) dans les Cheyenne mountains




Le lancement très réussi de plusieurs satellites soviétiques à partir de l'Automne 1957 (au moment même où les lanceurs US échouaient systématiquement) entraîna un changement de réflexion chez les décideurs Américains : Les Russes allaient très certainement préférer lancer des missiles balistiques ultra-rapides (Mach 15 à 20) plutôt que des bombardiers lents et lourds.
Mieux valaient donc tout miser sur des missiles.

Il fallut un certain temps pour que certains militaires soulignent aux gouvernants qu'une fois un missile lancé, il suit fidèlement sa route in extenso, sans aucun remords, tandis que l'équipage d'un avion peut recevoir l'ordre de revenir à la base avant de déclencher l'Apocalypse ! 
(C'est pourquoi la France dispose toujours d'une force de dissuasion pilotée en plus de sa Force Océanique Stratégique.)

Les USA avaient développé le projet SAGE pour donner une réponse entièrement automatisée à une agression aérienne soviétique. 
Les stations SAGE DC (Direction Center) comportaient le nec plus ultra des ordinateurs IBM FSQ-7, dont chacun s'étalait sur 2 000 m² et avait à peine la puissance d'un smartphone !




Cet ordinateur définissait (officiellement) la trajectoire à suivre pour déterminer qui allait répondre à la menace.

Bien sûr, cela pouvait impressionner les quidams de la période 1955-1964. 
{Personnellement, sachant que le tout était programmé (au mieux) en Fortran et que cela passait par des cartes perforées manuellement sur des télétypes, je suis vraiment très sceptique sur la rapidité de réaction de ce système.}

Il informait alors soit des intercepteurs (lesquels ?), soit des missiles Boeing IM-99A Bomarc.


Ce missile, long de 14.20 m, pesait 7 tonnes, dont la charge consistait soit en 454 kg d'explosifs, soit en une bombe nucléaire de 7 kilotonnes. 

Le missile décollait verticalement, une fois que la vitesse de l'air entrant dans ses statoréacteurs était suffisante (environ 400 km/h), ces réacteurs étaient allumés.
L'engin montait alors jusqu'à 20 000 m et accélérait jusqu'à Mach 2.8. 
Une fois arrivé à environ 16 km de sa cible, il devait foncer dessus. 

On prétendit alors que chaque Bomarc descendrait automatiquement son bombardier soviétique et que, en plus, les Bomarc pouvaient tout aussi bien détruire les missiles intercontinentaux rouges. 

On a alors mis en lumière le fait qu'un Bomarc coutait 2 millions de $ Canadiens alors qu'un seul Arrow coûtait plus de 12 millions de cette même devise. 

On oublia, alors et très opportunément, que les Arrow pouvaient répéter leurs actions de chasse au moins 2 fois par jour, de même que leur puissance et leur vitesse étaient destinées à progresser significativement, leur ouvrant de nouveaux rôles, tandis que chaque Bomarc disparaissait inexorablement dès son premier tir.


Les USA, même s'ils connaissaient évidemment la courbe du chien, n'avaient encore strictement rien compris à chacun des problèmes posés par l'interception des missiles.
Même s'ils ont nettement progressé sur ce plan en 2022, ils éprouvent encore quelques difficultés..

Leur publicité pour le Bomarc reposait donc sur un mensonge éhonté : L'ogive d'un missile intercontinental arrive à Mach 20 et parcourt, en gros, 6 kilomètres par seconde. 

Le Bomarc devait monter à 20 000 m pour commencer à agir. Mais il était incapable de monter plus haut. 
Il lui fallait scanner son environnement, identifier la cible et foncer vers elle...

En plus, aucun radar de l'époque ne pouvait suivre la trajectoire terminale d'un missile intercontinental, puisque leurs antennes tournaient majestueusement (donc lentement) sur elles-mêmes.. 



Un F 15 escorte un Tu 95 : Le CF105 Arrow eut fait aussi bien et dans l'indépendance de son pays




Le plus gros menteur (je pourrais écrire le traitre) de cette histoire fut le premier ministre Canadien John Diefenbaker, leader du parti Progressiste Conservateur (sacré oxymore, soit dit en passant !) 

Son parti paya très cher son abandon face aux sirènes US.

L'abandon du projet eut pour résultat la mise au chômage de 30 000 personnes dans l'industrie aéronautique Canadienne.

Le Canada dut, en plus, acheter aux USA, entre 1961 et 1962, 66 avions Voodoo bien moins performants et qui n'étaient pas évidemment gratuits.

Ces avions furent très actifs et rendus (très fatigués) aux USA entre 1970 et 1972. Des Voodoo modernisés les remplacèrent jusqu'à ce que des Northrop F 18 Hornet viennent reprendre leur fonction.

Quitte à utiliser un avion de chasse US, il est difficile de comprendre qu'ils n'aient pas choisi le Convair F 106 Delta Dart, qui pouvait tourner un virage sous 8 g, passait Mach 2.3 (2450 km/h à 12 000 m), montait à 16 000 m en 7 minutes et qui était aérodynamiquement supérieur au F 101 comme au McDonnell F4 Phantom II (celui-ci étant toutefois plus puissant et mieux armé). 


Un problème Britannique

A la fin des années 50, les militaires du Royaume Uni sentaient que que leurs bombardiers V allaient devenir moins performants. 

Ils décidèrent de créer un bombardier bi-sonique de 50 tonnes au décollage, le BAC TSR2.

En regardant cet avion, et en le comparant au CF 105, un de mes lecteurs (commentaire du 13 XI 2022) a mis en évidence la lourde faute des politiciens Britanniques : 
  • L'Avro Arrow aurait parfaitement pu jouer le rôle du TSR 2, moyennant une rallonge en carburant. 
Mais j'imagine que les services US doivent avoir livré à ces décideurs des matelas bourrés de billets verts. 


La volonté d'oublier

Après l'abandon du Arrow, le gouvernement Canadien et le Grand Etat-Major décidèrent la destruction (par la police montée) :
  • de tous les prototypes construits 
  • des cellules des chasseurs en cours d'achèvement 
  • de tous les documents 
  • et même des maquettes aérodynamiques.
Evidemment, on expliqua cette paranoïa par la crainte d'une fuite d'information vers l'Union Soviétique communiste.

Certes, les fuites existent toujours. Mais elles ne sont pas toujours créées par ceux que l'on croit. 

Mais, surtout, le Canada avait perdu le rôle de premier plan qui aurait été le sien. Ainsi, les USA apparaissait comme la superpuissance qu'ils voulaient et veulent toujours être.



Conclusion


J'insiste sur le schéma décisionnel :
  • le pays développe un engin efficace
  • l'avion vole bien,
  • il est efficace,
  • il intéresse des pays étrangers
  • il est supérieur à tous les avions US existants.
  • les élections mettent au pouvoir un personnage minable qui se moque des intérêts de son pays mais qui sait flatter ses électeurs. Son parti est en général celui qui est le plus démagogue.
  • les USA raflent la mise et vendent leur produit...
A peu près en même temps que les Canadiens avaient créé leur Arrow, Marcel Dassault avait sorti son Mirage IV. 

Initialement, cet avion devait, lui aussi, être un chasseur à très long rayon d'action. De ce fait, sa structure supportait d'importantes contraintes.

Cependant, notre pays n'avait pas les moyens pour un tel emploi. 

Notre avion fut donc employé comme vecteur nucléaire et avion espion et il le fit parfaitement. Quel chance nous avons !