dimanche 28 mars 2021

Le Brewster Buffalo, très bon chasseur US... si mal aimé par l'US Navy (Modifié le 10 07 2023 *)


La difficile émergence d'un chasseur monoplan


Le 15 Novembre 1935, tenant compte de l'élévation du niveau technologique de l'ensemble des aviations militaires des autres pays, l'US Navy organisa un concours pour désigner son nouveau chasseur embarqué.  

Une vitesse de 300 miles/heure était exigée, soit 483 km/h.

La firme Brewster produisit un appareil très original, le F2FA-1 Buffalo.

Ce chasseur était caractérisé par une faible longueur (7.90 m), une plutôt faible masse de 1 720 kg, à vide, qui passait à 2 290 kg au décollage (valeurs proches des 1748 kg à vide et 2278 kg au décollage de notre Nieuport 161).

Les ailes avaient une envergure de 11.67 m et une surface totale de 19.41 m², conférant à cet appareil une charge alaire de 118 kg/m².



Un F2F-2 Finlandais : Un appareil ventru. 


Le moteur utilisé était le Wright R 1820-G5 de 950 Cv dont le diamètre était de 137,8 cm (!), amenant un maître couple de fuselage d'un peu plus de 1.4934 m²

Si ce moteur donnait des résultats proches de ceux obtenus avec le Pratt & Whitney 1830 Twin Wasp (monté sur le concurrent Grumman F4F Wildcat), ce dernier moteur avait un diamètre de 122 cm, donc un maître couple de fuselage un peu supérieur à 1.169 m².

Cela aurait permis une diminution de surface proche de 28%, favorable aux performances du WildcatCertes, le capot-moteur ne représentait pas la totalité du maître couple, mais il en représentait une bonne partie, surtout sur un avion à moteur en étoile (proche de 50 %). 

On aurait pu en attendre une vitesse plus forte de 30 km/h.

On peut s'étonner du fait de l'étroitesse des pipes d'échappement, qui, de plus, étaient mal orientées (donc non propulsives), ce qui pénalisait ce chasseur d'environ 15 à 20 km/h.

Dans cette version initiale, l'appareil démontra cependant une vitesse très honorable, pour l'époque, de 490 km/h à 5 500 m d'altitude (satisfaisant ainsi aux exigences du concours), ainsi qu'une bonne vitesse ascensionnelle, proche de 800 m/minute. 

Les temps de montée furent alors de :

- 4' 00" pour 3 000 m, 

- 7' 00" pour 5 000 m.



 F2A-2 employé par le NACA en 1942 et 1943


Le plafond dépassait 10 000 m et l'autonomie était de 1 600 km (1 000 miles) à 270 km/h, assurant un rayon d'action de l'ordre de 500 km, histoire de pouvoir combattre environ 20 minutes.

Les pilotes d'essai étaient enchantés de la manœuvrabilité et de la puissance ascensionnelle de cet intercepteur.

Cependant, si ce chasseur était un avion de pilote, la firme Brewster n'avait pas suffisamment anticipé les problèmes de logistique qu'une fabrication de matériel de guerre exige nécessairement. 

Il en résulta des retards de livraisons qui aboutirent à "décourager" l'US Navy, certainement bien aidée en cela par le lobbying actif de la firme Grumman (qui produisait le F4F Wildcat concurrent, initialement éliminé).


La remarquable défense de la Finlande

La version F2A-2 (ou B-239E), armée de 4 mitrailleuses de 12,7 mm, entra la première fois au combat, loin des océans bordant sa mère patrie. 

A l'Automne 1939, la Finlande fut confrontée à la volonté de Staline de renforcer son territoire au Nord de Saint-Pétersbourg. 

Probablement à tord, elle refusa les propositions soviétiques qui contenaient des compensations non négligeables.

De ce fait, le 30 Novembre 1939, une puissante invasion soviétique commença la "Guerre d'Hiver"

L'armée soviétique était considérablement plus nombreuse et mieux armée que celle du pays attaqué.

Staline était sûr de sa victoire.

Donc, fin 1939, la Finlande acheta 44 Buffalo dont l'US Navy ne voulait pas (voir plus loin).

Après leur livraison, le dos du siège pilote reçu un blindage, des instruments gradués en système métrique et un collimateur Väisälä T.h.m.40 furent montés. 

Ainsi modifié, le Buffalo pesait 2 640 kg et sa vitesse atteignait tout juste 480 km/h à 4 750 m d'altitude (soit, en gros, la vitesse de nos Curtiss H 75).

Le premier avion livré, victime d'un problème moteur, se vomit dans un champ de neige, ce qui ne fit pas une bonne impression. 

Par contre, un pilote de la maison Brewster démontra que le B-239 tournait facilement plus court que le FIAT G 50.

Dès lors, cet avion, initialement destiné aux porte-avions USn fut bien accepté par les pilotes de chasse Finnois qui le trouvaient de pilotage facile et qui appréciaient son grand rayon d'action, très inhabituel en Europe. 

Les mécaniciens Finlandais comprirent que les moteurs Curtis R 1820-40 étaient mal lubrifiés et, en inversant le montage d'un des segments sur chacun des piston du moteur, le rendirent enfin réellement fiable. 

{Le Wikipedia attribue cette fiabilité au climat Scandinave, car il serait malséant d'imaginer que les techniciens et ouvriers US aient mal travaillé !}


Dès le début de la Guerre de Continuation, qui débuta opérationnellement le 25 Juin 1941 par un bombardement soviétique, la Finlande voulut reconquérir l'isthme de Carélie qui sépare la Baltique du lac Ladoga, au Nord de Saint-Petersbourg.

Les pilotes Finlandais volaient en formation par 4, qu'ils avaient inventée (depuis appelée finger four), les deux paires volant à des altitudes différentes, la plus haute couvrant efficacement la plus basse.

Confrontés aux Buffalo, les pilotes soviétiques, incapables de se dégager de leur emprise, subirent des pertes importante.

Les Finlandais furent tellement satisfait de leur appareil qu'ils le surnommèrent "la perle céleste". 

Cet avion surclassait le I 16 en vitesse de monté et en virage. Par contre les I 15 et I 153 étaient plus manoeuvrants.

Les pilotes du groupe n°24 (équipé de 34 B 239) obtinrent 459 victoires en 3 ans, au prix de 15 Buffalo perdus, soit un ratio de 30.6 victoires pour chaque perte consenti. 

{On trouve aussi le nombre de 477 victoires, qui additionne aux 459 victoires du groupe 24 les 18 victoires obtenues par les derniers pilotes qui utilisaient encore les B-239 encore en état de combattre. 

Dans ce cas, on doit aussi rappeler que ces pilotes ont subi 4 pertes supplémentaires, ce qui fait tomber le ratio à 25.1 victoires par pertes, ce qui traduit l'entrée de meilleurs chasseurs et de pilotes mieux formés en URSS.}

Le plus grand as Finlandais, Ilmari Juutilainen, déjà titulaire de 2,5 victoires pendant la guerre d'hiver avec un Fokker D 21, obtint 34 de ses 94 victoires en pilotant le petit chasseur de Brewster. Muté sur Messerschmitt 109 G2, il ajouta 58 victoires à son palmarès.
Ce pilote, semblable à notre René Fonck, ne fut jamais touché par les tirs ennemis...

L'individu-avion F2A-2 immatriculé BW-364 que Juutilainen employa le plus souvent lui permit de remporter 28 victoires, puis il passa à d'autres pilotes et termina sa carrière avec 42 victoires.

Un autre pilotes, Hans Wind, fut le champion du B 239. Il a obtenu 39 victoires au moyen de B-239 et termina sa guerre avec 75 victoires. 

Cet avion avait laissé un souvenir si remarquable (ayant contribué à la fabrication de 36 as !) que les Finlandais tentèrent d'en fabriquer une version locale. 

Cet avion vola effectivement, mais très tard, et il souffrait de performances fortement dégradées.


L'étonnante perception Anglo-Saxonne

Autant la perception Finnoise du chasseur de Brewster fut brillante, autant la perception Anglo-Américaine semble avoir été désastreuse.

L'avion était considéré déjà considéré comme obsolète à l'Eté 1940, alors qu'il n'avait encore jamais combattu !

Cela semble résulter d'une campagne menée en particulier par un journaliste "influenceur" proche des cercles dirigeants US, Mr Ralph Ingersoll. 

Il écrivit à l'Automne 1940 que "le Buffalo et les autres chasseurs Americains sont incapables de tenir la dragée haute aux chasseurs Britanniques ou aux chasseurs Allemands". 

Qu'aurait-il écrit quand il a appris que le 5 Mars 1942, 8 Buffalo avaient escorté avec succès des Hurricane et des Blenheim pour attaquer une base Japonaise à Chiang Mai en Thailande ?

Mais Dame Fortune se rit toujours des influenceurs humains

Lorsque le Japon lança son offensive contre les Alliés, le 7 Décembre 1941, les Anglais ne croyaient donc pas dans leurs Buffalo et les Américains pas davantage.

Il est tout à fait possible que ce manque de confiance ait joué un rôle-clé le 10 Décembre 1941 en dissuadant l'amiral Philipps de prévenir le Squadron 453 de la RAAF dont les dix B-339E arrivèrent pourtant  juste au moment où le Prince of Wales coulait - à 1318 - ce qui me suggère que si ces avions avaient été prévenus plus tôt par le commandant William Tennant, ils auraient pu détruire une bonne partie de la force d'attaque Japonaise, donnant un bon sursis à la force Z.


La campagne Néerlandaise en Indonésie fut menée avec des B-339 plus puissants (1 200 Cv) que les B-239 des Finlandais mais moins lourds que les avions B-339E Britanniques, ce qui leur permettaient de tirer leur épingle du jeu lorsqu'ils combattaient les chasseurs Nakajima Ki 43 (Oscar aux USA). 

L'article Wikipedia sur le Buffalo attribue 55 victoires aux pilotes Néerlandais au prix de 30 avions abattus (soit un ratio de 1.8 victoire par perte) et de 17 pilotes tués. 

Le gros engagement du 19 Février 1942 est mis en valeur : 35 bombardiers Japonais escortés par 20 Zéro furent attaqués par 8 Brewster B 339. 

Onze avions Japonais furent descendus au prix de quatre Buffalo (2 pilotes Néerlandais étant tués).

Ces bilans sont d'autant plus corrects que le gouvernement Churchill avait trop tardé à envoyer des radars d'alerte avancée qui ne furent opérationnels qu'à la fin Février 1942, donc bien trop tard. 


La Bataille de Midway (4-7 Juin 1942) est considérée par les Anglo-Saxons comme démontrant la nullité du Brewster Buffalo en tant que chasseur.

Dans ce cas précis, les historiens US ne partagent pas la même logique que votre serviteur.

Les 20 pilotes des Marines du VMF-221 impliqué étaient des bleus

Ils attaquèrent environ 70 avions Japonais (dont 36 excellents chasseurs A6M2 Zéro). 

C'était courageux, certes, mais il eut été bien plus utile de scinder les chasseurs US en deux groupes inégaux, le plus petit attaquant les bombardiers Aichi D3A1 (Val).

Ils attaquèrent individuellement (= sans se couvrir mutuellement, donc dans le plus aimable désordre possible) , ce qui, à cette période de la guerre, est difficilement compréhensible. 

Par ailleurs, certaines armes de capots semblent s'être enrayées.

Le bilan n'est pas précis sauf sur les pertes des Marines : Treize B 339 descendus, dont celui du major Floyd B. Parks qui commandait l'unité, aucun des pilotes abattus n'ayant, apparemment, survécu !

Ce triste résultat donna un excellent prétexte à l'US Navy pour éliminer un avion qui ne lui avait jamais convenu probablement parce qu'il n'avait pas été fabriqué par un de ses fournisseurs habituels (comme Grumman ou Curtiss, par exemple).

L'examen des faits ne montre pourtant pas de faiblesse particulière de l'avion dans ce combat. Il met plutôt en évidence une formation très insuffisante des pilotes et de leur chef.

Ce bilan aurait, au moins, dû condamner en même temps le rôle particulièrement néfaste des multiples alourdissements de l'avion, imposés sans raison par la Navy qui ne tenait aucun compte de ce que les Finlandais avaient tiré de leurs expériences opérationnelles (démontrées depuis déjà 5 mois lorsque l'attaque de Pearl Harbor fut lancée).


De la persistance dans l'erreur chez des décideurs dits bien formés

Aucun service technique au monde ne semble capable de reconnaître ses erreurs...

Si le Buffalo était capable de suivre les Nakajima Ki 43 (Oscar), il ne devait pas être si loin que cela d'en faire autant avec des chasseurs Zéro

En tout cas, cet avion US était, au départ, bien plus manœuvrant et montait significativement plus rapidement en altitude que son successeur F4F-3 Wildcat, qui, en Novembre 1942 et malgré ses 1 200 Cv, fut surclassé par un Dewoitine 520 de l'Aéronavale, pourtant en état très moyen et disposant de 300 Cv de moins.


La préférence donnée par l'US Navy au Wildcat plutôt qu'au bien supérieur Buffalo peut aussi venir du fait que les fonctionnaires de la Navy avaient un meilleur contact avec les hommes de Grumman qu'ils connaissaient bien qu'avec ceux de Brewster, qu'ils devaient classer dans la catégorie des débutants.

Cela rappelle qu'au même moment, l'USAF achetait en masse le P 40 E qui pesait 2 800 kg à vide, poids qui passait à près de 3 860 kg au décollage.  

Elle le préférait nettement au XP 51 A qui pesait environ 3 600 kg avec 4 mitrailleuses de 12.7 mm et volait à près de 620 km/h en altitude au lieu de 550 km/h !

Ce ne fut qu'en fin 1942 que le staff de Curtiss fini par comprendre que ses choix tuaient stupidement des pilotes US. 

Ce fut le début d'une reconception complète du P 40 à partir de ses propres pièces. Ce travail de remise en question très approfondie aboutit au P 40 Q.

Cet avion vola tardivement (mi-1943), ses qualités de vol étaient supérieures à celles de tous les autres P 40.

Ses performances étaient excellentes, avec en particulier en montée :

  • 6 000 m en 4' 54"    (P 51 B : 5' 54" --  P 40 E (1942) : 11' 50" -- P 40 N (1943) :   6' 53")
  • 9 000 m en 8' 54"    (P 51 B : 9' 48" --  P 40 E (1942) : 40' 06" - P 40 N (1943) : 14' 20"). 

 et en vitesse horizontale, avec 680 km/h.

Evidemment, cet excellent chasseur, rendu parfaitement au point en 1944, ne fut pas commandé, l'inertie antérieure de la société Curtiss l'ayant évidement desservie, comme également le fait que les premiers chasseurs à réaction volaient opérationnellement.

Inutile de dire que les mêmes études auraient pu être menées par Curtiss dès 1939, ce qui avait été justement le cas chez North American où elles débouchèrent sur le fantastique P 51 Mustang !