Voici un chasseur dont nos experts patentés de 1936 ne voulurent strictement jamais rien savoir.
{Ne vous trompez pas, le fait que je parle de ce chasseur n'implique pas que je pense que cet avion devait remplacer le Nieuport 161 : Non, il aurait pu s'agir, pour nos armées, de disposer d'un outil militaire supplémentaire pour améliorer encore leur rendement.
C'était au même titre que, précédemment, j'ai parlé des hydravions de chasse et du chasseur bimoteur monoplace Whirlwind.}
C’est un avion de papier
au même titre que de nombreux avions Germaniques décrits avec enthousiasme par les Anglo-Saxons comme prêts à sortir
en 1946.
Mais sa
technologie était facile à intégrer.
De ce fait, cet avion n'a jamais pu être construit. Cette élimination a-t-elle été pertinente ? A vous d'en juger !
La querelle du biplan
C'était un projet de biplan et, déjà, en cela, il faisait revivre fâcheusement les terribles années de la Grande Guerre.
Indirectement, il rappelait aussi aux hommes de notre Service Technique Aéronautique qu'ils avaient interdit la fabrication de chasseurs monoplans après une série d'accidents qui avait endeuillé nos constructeurs d'avions de records : La liaison mécanique entre le plan inférieur et le plan supérieur induisait effectivement une solidité remarquable de l'ensemble.
Etienne Romano, qui proposait ce nouveau chasseur, était, cependant un authentique spécialiste des biplans hyper maniables.
Sa production la plus connu était le Romano 80, remarquable avion d'entrainement à la voltige qui dut sa notoriété à la photographie (ci-dessous) d'un passage à 0.30 m du sol et à très faible distance des spectateurs.
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Romano 80 : Un biplan exceptionnel par sa stabilité "inégalée" et son extrême facilité de pilotage. Document modifié par moi à partir d'une publicité dans l'Aéronautique du 01 XI 1936
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L'ingénieur Romano avait aussi créé l'hydravion de chasse Romano 90, biplan qui "bénéficiait" du même gros moteur que le Loire 210 (monoplan) mais qui était plus rapide de plus de 50 km/h (une paille !).
Oui, j'ai écrit que les Loire 210 auraient dû se trouver sur leurs navires de ligne Français en 1940.
Je ne renie pas mes écrits qui soulignent que même un matériel imparfait est bien préférable à l'absence totale de matériel.
Mais les Romano 90 et, surtout, le 92, auraient été bien plus efficaces que le Loire 210.
La version R 92 extrapolée du Romano 90, avait un avant-fuselage particulièrement bien profilé et son moteur Hispano 12 Y Crs lui permettait une vitesse de pointe de 420 km/h.
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Romano 92 : Grande vitesse, petit rayon d'action (600 km). L'état de surface semble remarquablement lisse. |
Ce dernier avion avait une maniabilité d'exception, la vitesse et l'armement d'un Morane 406 malgré deux ailes de plus, deux flotteurs et de toute une série de mâts et de ficelles !
{A titre de comparaison, l'hydravion de chasse Japonais Nakajima A6M2-N, tiré du chasseur Mitsubishi A6M2 Zéro avait une vitesse de pointe de 437 km/h. Il est vrai que son moteur en étoile ne l'aidait pas.}
Nulle doute qu'une douzaine de Romano 92 aurait été bien utile à notre flotte.
Un dérivé de cet avion intéressa même la République Espagnole qui décida (mais bien trop tardivement) d'en faire construire une version purement terrestre à juste une trentaine d'exemplaires en Belgique (dont, à ma connaissance, 6 seulement furent livrés complets).
Ces avions avaient été dédaignés par les services Français parce qu'ils étaient des biplans et, qu'en plus, ils avaient une aile supérieure de type Polonais que le CEMA avait condamnée parce que "très dangereuse" en combat (Docavia #3).
L'ingénieur Bonte condamnait sans appel tout nos biplans qu'il prétendait très mal réalisés.
Pourtant, les avions Romano étaient très manœuvrants et bien plus rapides que certains engins étiquetés "excellents" par ses "experts".
Une proposition originale
Étienne Romano présenta un projet de chasseur Romano 130, chasseur en bois, biplan à aile supérieure affectant, lui aussi, une configuration Polonaise.
Qui plus est, cet avion était motorisé par un Renault R 12 - 01 de 450 Cv.
Face au nombre d'interdits que cet avion violait, je n'ai aucun mal à imaginer la vague de crises de nerfs ayant affecté les ingénieurs du STAé !
Pensez donc, ce futur avion allait peser au maximum 1 250 kg, il aurait une longueur de 7.5 m, une envergure de 6 m seulement et une surface alaire de 11.5 m.
La charge alaire de 109 kg/m² lui assurerait une capacité de manœuvre époustouflante !
Comme le Caudron 710 volait à 455 km/h avec son train fixe et 380 kg de plus au décollage, comment imaginer que le minuscule Romano 130 n'aille pas nettement plus vite avec son train éclipsable ?
Il allait donc être considérablement bien plus performant que le Morane 405 et ce dernier n'aurait aucune supériorité manœuvrière sur lui, bien au contraire.
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Photo modifiée par moi à partir des plans publiés par L'Aéronautique du 01 XI 1936 : Le Romano 130. |
Certes, sa vitesse était annoncée seulement pour 460 km/h, mais Étienne Romano avait démontré précédemment qu'il n'exagérait pas sur les performance de ses avions. En général, il donnait même des valeurs un peu pessimistes.
De l'intérêt d'un très petit chasseur
Alors, que faire avec cet avion ?
Cela dépendait des qualités dont on voulait pouvoir profiter.
A - Nul besoin d'être grand clerc pour comprendre qu'un tel engin serait quasiment indétectable, que ce soit par la vue, par le son et même par ondes hertziennes (avion majoritairement construit en bois).
Ses 6 m d'envergure le rendaient facile à cacher au sol, sauf dans un grand champ.
La faible voie de son train de roulement lui permettait de décoller d'un chemin de terre (propre) ou d'une prairie à moutons (donc, au sol bien ferme).
En conséquence, il pouvait décoller à moins de 20 km du front pour attaquer des avions ennemis participant à des opérations de mitraillage de nos troupe à basse altitude, ou encore pour abattre un Henschel 126 d'observation à 1 500 m d'altitude (AGL) et revenir au sol incognito.
Cela lui conférait, à peu de chose près, les caractéristiques de nos actuels missiles anti-aériens et, en conséquence, pour cette tâche, il lui fallait appartenir à l'Armée de Terre.
B - Autre emploi, également fondé sur sa taille très réduite, mais peu imaginé au milieu des années 30 : Sa capacité de transfert à très longue distance (maintenant, on dirait sa capacité de projection).
Un Farman 222 ou 224 bien escorté (donc désarmé) pouvait emporter deux R 130 en même temps à son bord.
Un petit cargo déplaçant 2 500 tonnes pouvait en emmener un groupe entier (12+12+6).
Cela ouvrait des perspectives dans des îles comme nos Antilles, notre Polynésie ou notre Guyane, etc.
On pouvait tout aussi bien proposer une association défensive commune à la Norvège ou au Danemark, ces deux nations quasiment vide d'aviation de combat et n'ayant jamais imaginé que Hitler les attaquerait.
En cas d'accord avec le Danemark, cela pouvait induire la création d'une ou plusieurs bases en Islande qui eussent obligé les navires Germaniques à se rapprocher des côtes Britanniques.
C - Pour les mêmes raisons, le petit Romano aurait été capable d'actions de reconnaissance ou d'observations très rapides (la notion de police du ciel n'existait pas encore en France, faute d'un déploiement adéquate de la radiophonie aérienne, mais le Romano 130 y aurait excellé).
D - Avec l'Armée de Terre, à nouveau, il eut été possible d'employer cet avion pour mitrailler à très basse altitude les postes de Flak et les batteries antichar, y compris en enfilant les rues de certains villages.
L'irruption d'un tel avion à des vitesses comprises entre 250 et 350 km/h à 3 m du sol dans des grandes rues de village tout en "vidant ses chargeurs" aurait très certainement posé de gros problèmes aux servants des armes anti-chars ou anti-aériennes de l'Allemand.
Pour réaliser un tel programme, il eut été évidemment indispensable de créer un entraînement spécifique, probablement risqué et coûteux.
Conclusion
Puisque nos décideurs refusèrent de se poser aucune question sur ce que pouvait apporter les armes aériennes les moins traditionnelles, ils ne comprirent aucune des actions de l'ennemi.
Ils ne surent donc jamais adapter chacune de leurs armes à leur métier de destruction de l'ennemi.
Evidemment, ils se montrèrent incapables de comprendre ce qui différenciait opérationnellement les avions concurrents les uns des autres.
Cela ne concerna pas seulement l'Aviation.
Ainsi, nos très médiocres chars légers Hotchkiss H 35 devaient servir à seconder les Somua S 35 dans les DLM. Leur faible maniabilité et leurs ridicules canon de 37 mm trop court (21 calibres) en firent d'innocentes victimes face aux Panzer III et IV.
Ces chars eussent été bien plus utiles comme plateformes de DCA portant un canon de 25 mm, qui, le cas échéant, pouvait aussi servir contre des chars.
Notre Armée de Terre avait renvoyé à la Royale les bombardiers en piqué Nieuport 411 qu'elle-même avait commandée.
Elle n'avait même pas essayé de voir comment cela marchait, à une seule exception près.
Ces officiers - dits supérieurs - n'avaient jamais imaginé que les chasseurs et les bombardiers pouvaient être employés dans des voies très différentes de celles décrites dans leurs manuels militaires.
On comprend leur effroi devant la seule idée que des avions de chasse puissent peser 1 250 kg en ordre de marche (au lieu de 2 500) et voler à 480 km/h au lieu de 435 km/h !
"Mais enfin, arrêtez de perdre votre temps avec ces jouets" auraient-ils pensé.
Ils répétaient alors la décision déjà prise face au Mureaux 190 (parce que lui, il ridiculisait totalement le MS 406).
En 1945 le Bachem Natter Allemand s'apprêtait à attaquer les B 17 et le Yokosuka MXY_7 Okha attaquait les navires US.
Ces très petits avions ont pourtant eu une longue descendance !
Par contre, nos décideurs avaient scrupuleusement respecté la guerre de position et la standardisation.
On a vu le résultat.
PS : Un avion, partageant sa petitesse, ses performances et sa capacité de manœuvres hors paire, pourrait jouer un rôle dans la fameuse chasse aux drones dont tout le monde parle.
Mais, dans ce cas, les pilotes devraient être particulièrement jeunes (pour une question de réflexes)
bravo pour cet article sur un avionneur peu connu , qui réalisa aussi un bombardier original à cet époque ; pour le r 130 quel armement romano prévoyait il ?
RépondreSupprimerBonjour, Lapin,
RépondreSupprimeril était évident que cet avion ne pouvait pas bénéficier d'un canon, car il était trop léger pour cela. Il aurait donc porté 4 mitrailleuses de 7.5 mm, probablement des Browning qui pouvaient tirer à travers l'hélice puisque synchronisables (elles étaient montées sur le capot de nos Curtiss H 75).
pourtant le mureaux 190 avait un canon de 20 mm ( grace a son moteur salmson ), et il boxé dans la meme categorie.
RépondreSupprimerJe ne crois pas que le canon de 20 mm (75 kg avec le chargeur), effectivement prévu sur le moteur Salmson, y ait été essayé : La haine des constructeurs non conformistes n'a pas permis à cet avion ni à son moteur d'exister plus de 3 ou 4 mois en public.
SupprimerPar contre, je suis sûr que l'on pouvait y installer sans ennui une mitrailleuse tirant dans le moyeux de l'hélice. Une 13.2 mm (30 kg) où une 12.7 mm aurait fait parfaitement l'affaire par leur puissance d'impact.
Mais le moteur du Romano 130 est un Renault V 12 - R 01 qui ne permettait pas ce montage.
Romano n'a pas pu bénéficier du Salmson et les bureaucrates du Ministère de l'Air ont tué dans un même élan les moteurs Lorraine et le Potez 12 cylindre à plat qui pouvait aussi tirer par le moyeux de l'hélice.
La raison de mon "choix" réside dans l'immense difficulté de Supermarine à employer un HS 404 sur le Spitfire Mk I (l'aile bloquant l'alimentation du canon) comme la difficulté de Messerschmitt a faire tourner ses DB 601 avec des Oerlikon à canons long, ce qui l'a renvoyé sur des MG FF.
Complément de réponse : Le Spitfire Mk I de 1939 avait une masse au décollage de 2 650 kg, le Bf 109 E contemporain avait une masse au décollage de 2 520 kg.
SupprimerLes versions équipées de canons efficaces passaient les 3 tonnes et ne furent opérationnelles qu'à l'été 1941.
Le Nieuport 161 était à presque 2 300 kg et le D 520 était entre 2 650 et 2 700 kg.
Leurs structures ont démontrée leur résistance au martellement de leur unique canon.