La difficile émergence d'un chasseur monoplan
Le 15 Novembre 1935, tenant compte de l'élévation du niveau technologique de l'ensemble des aviations militaires des autres pays, l'US Navy organisa un concours pour désigner son nouveau chasseur embarqué.
Une vitesse de 300 miles/heure était exigée, soit 483 km/h.
La firme Brewster produisit un appareil très original, le F2FA-1 Buffalo.
Ce chasseur était caractérisé par une faible longueur (7.90 m), une masse à vide de 1 720 kg, faible par rapport à ses concurrents, qui passait à 2 290 kg au décollage (valeurs proches des 1748 kg à vide et 2278 kg au décollage de notre Nieuport 161).
Les ailes avaient une envergure de 11.67 m et une surface totale de 19.41 m², conférant à cet appareil une charge alaire de 118 kg/m².
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Un F2F-2 Finlandais : Un appareil ventru. |
Le moteur utilisé était le Wright R 1820-G5 de 950 Cv dont le diamètre était de 137,8 cm (!), amenant le maître couple du fuselage à un peu plus de 1.4934 m².
Si ce moteur donnait des résultats proches de ceux obtenus avec le Pratt & Whitney 1830 Twin Wasp (monté sur le concurrent Grumman F4F Wildcat), ce dernier moteur avait un diamètre de 122 cm, donc un maître couple de fuselage un peu supérieur à 1.169 m².
{A noter que le Wildcat F4F3 opérationnel avait une masse de 2 226 kg à vide qui passait à 3 370 kg au décollage.}
Cela aurait permis une diminution de surface proche de 28%, favorable aux performances du Wildcat. Certes, le capot-moteur ne représentait pas la totalité du maître couple, mais il en représentait une bonne partie, surtout sur un avion à moteur en étoile (proche de 50 %).
On aurait pu en attendre une vitesse plus forte de 30 km/h.
On peut s'étonner du fait de l'étroitesse des pipes d'échappement, qui, de plus, étaient mal orientées (donc non propulsives), ce qui pénalisait ce chasseur d'environ 15 à 20 km/h.
Dans cette version initiale, l'appareil démontra cependant une vitesse très honorable, pour l'époque, de 490 km/h à 5 500 m d'altitude (satisfaisant ainsi aux exigences du concours), ainsi qu'une bonne vitesse ascensionnelle, proche de 800 m/minute.
Les temps de montée furent alors de :
- 4' 00" pour 3 000 m,
- 7' 00" pour 5 000 m.
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F2A-2 employé par le NACA en 1942 et 1943 |
Le plafond dépassait 10 000 m et l'autonomie était de 1 600 km (1 000 miles) à 270 km/h, assurant un rayon d'action de l'ordre de 500 km, histoire de pouvoir combattre environ 20 minutes.
Les pilotes d'essai étaient enchantés de la manœuvrabilité et de la puissance ascensionnelle de cet intercepteur.
Cependant, si ce chasseur était un bon avion de pilote, la firme Brewster n'avait pas suffisamment anticipé les problèmes de logistique qu'une fabrication de matériel de guerre exige nécessairement.
Il en résulta des retards de livraisons qui aboutirent à "décourager" l'US Navy, certainement bien aidée en cela par le lobbying actif de la firme Grumman (qui produisait le F4F Wildcat concurrent, initialement éliminé).
La remarquable défense de la Finlande
A l'Automne 1939, la Finlande fut confrontée à la volonté de Staline de renforcer son territoire au Nord de Saint-Pétersbourg.
Probablement à tord, elle refusa les propositions soviétiques qui contenaient des compensations non négligeables.
De ce fait, le 30 Novembre 1939, une puissante invasion soviétique commença la "Guerre d'Hiver".
L'armée soviétique était considérablement plus nombreuse et mieux armée que celle du pays attaqué.
Staline était sûr de sa victoire.
Donc, fin 1939, la Finlande acheta 44 Buffalo dont l'US Navy ne voulait pas (voir plus loin).
Après leur livraison, le dos du siège pilote reçu un blindage, des instruments gradués en système métrique et un collimateur Väisälä T.h.m.40 furent montés.
Ainsi modifié, le Buffalo pesait 2 640 kg et sa vitesse atteignait tout juste 480 km/h à 4 750 m d'altitude (soit, en gros, la vitesse de nos Curtiss H 75).
Le premier avion livré, victime d'un problème moteur, se vomit dans un champ de neige, ce qui ne fit pas une bonne impression.
Par contre, un pilote de la maison Brewster démontra que le B-239 tournait facilement plus court que le FIAT G 50.
Dès lors, cet avion, initialement destiné aux porte-avions USn fut bien accepté par les pilotes de chasse Finnois qui le trouvaient de pilotage facile et qui appréciaient son grand rayon d'action, très inhabituel en Europe.
Les mécaniciens Finlandais comprirent que les moteurs Curtis R 1820-40 étaient mal lubrifiés et, en inversant le montage d'un des segments sur chacun des piston du moteur, le rendirent enfin réellement fiable.
{Le Wikipedia attribue cette fiabilité au climat Scandinave, car il serait malséant d'imaginer que les techniciens et ouvriers US aient mal travaillé !}
Dès le début de la Guerre de Continuation, qui débuta opérationnellement le 25 Juin 1941 par un bombardement soviétique, la Finlande voulut reconquérir l'isthme de Carélie qui sépare la Baltique du lac Ladoga, au Nord de Saint-Petersbourg.
Les pilotes Finlandais volaient en formation par 4, qu'ils avaient inventée (depuis appelée finger four), les deux paires volant à des altitudes différentes, la plus haute couvrant efficacement la plus basse.
Confrontés aux Buffalo, les pilotes soviétiques, incapables de se dégager de leur emprise, subirent des pertes importante.
Les Finlandais furent tellement satisfait de leur appareil qu'ils le surnommèrent "la perle céleste".
Cet avion surclassait le I 16 en vitesse de monté et en virage. Par contre les I 15 et I 153 étaient plus manoeuvrants.
Les pilotes du groupe n°24 (équipé de 34 B 239) obtinrent 459 victoires en 3 ans, au prix de 15 Buffalo perdus, soit un ratio de 30.6 victoires pour chaque perte consenti.
{On trouve aussi le nombre de 477 victoires, qui additionne aux 459 victoires du groupe 24 les 18 victoires obtenues par les derniers pilotes qui utilisaient encore les B-239 encore en état de combattre.
Dans ce cas, on doit aussi rappeler que ces pilotes ont subi 4 pertes supplémentaires, ce qui fait tomber le ratio à 25.1 victoires par pertes, ce qui traduit l'entrée de meilleurs chasseurs et de pilotes mieux formés en URSS.}
Un autre pilotes, Hans Wind, fut le champion du B 239. Il a obtenu 39 victoires au moyen de B-239 et termina sa guerre avec 75 victoires.
Cet avion avait laissé un souvenir si remarquable (ayant contribué à la fabrication de 36 as !) que les Finlandais tentèrent d'en fabriquer une version locale.
Cet avion vola effectivement, mais très tard, et il souffrait de performances fortement dégradées.
L'étonnante perception Anglo-Saxonne
Autant la perception Finnoise du chasseur de Brewster fut brillante, autant la perception Anglo-Américaine semble avoir été désastreuse.
L'avion était considéré déjà considéré comme obsolète à l'Eté 1940, alors qu'il n'avait encore jamais combattu !
Cela semble résulter d'une campagne menée en particulier par un journaliste "influenceur" proche des cercles dirigeants US, Mr Ralph Ingersoll.
Il écrivit à l'Automne 1940 que "le Buffalo et les autres chasseurs Americains sont incapables de tenir la dragée haute aux chasseurs Britanniques ou aux chasseurs Allemands".
Qu'aurait-il écrit quand il a appris que le 5 Mars 1942, 8 Buffalo avaient escorté avec succès des Hurricane et des Blenheim pour attaquer une base Japonaise à Chiang Mai en Thailande ?
Mais Dame Fortune se rit toujours des influenceurs humains.
Lorsque le Japon lança son offensive contre les Alliés, le 7 Décembre 1941, les Anglais ne croyaient donc pas dans leurs Buffalo et les Américains pas davantage.
Il est tout à fait possible que ce manque de confiance ait joué un rôle dramatique le 10 Décembre 1941 en dissuadant l'amiral Philipps de prévenir le Squadron 453 de la RAAF dont les dix B-339E arrivèrent pourtant juste au moment où le Prince of Wales coulait, à 1318.
Cela suggère que si ces avions avaient été prévenus plus tôt par le commandant William Tennant, ils auraient pu détruire une bonne partie de la force d'attaque Japonaise, accordant un bon sursis à la force Z.
La campagne Néerlandaise en Indonésie fut menée avec des B-339 plus puissants (1 200 Cv) que les B-239 des Finlandais mais moins lourds que les avions B-339E Britanniques, ce qui leur permettaient de tirer leur épingle du jeu lorsqu'ils combattaient les chasseurs Nakajima Ki 43 (Oscar aux USA).
L'article Wikipedia sur le Buffalo attribue 55 victoires aux pilotes Néerlandais au prix de 30 avions abattus (soit un ratio de 1.8 victoire par perte) et de 17 pilotes tués.
Le gros engagement du 19 Février 1942 est mis en valeur : 35 bombardiers Japonais escortés par 20 Zéro furent attaqués par 8 Brewster B 339.
Onze avions Japonais furent descendus au prix de quatre Buffalo (2 pilotes Néerlandais étant tués).
Ces bilans sont d'autant plus corrects que le gouvernement Churchill avait trop tardé à envoyer des radars d'alerte avancée qui ne furent opérationnels qu'à la fin Février 1942, donc bien trop tard.
La Bataille de Midway (4-7 Juin 1942) est considérée par les Anglo-Saxons comme ayant démontré la nullité du Brewster Buffalo en tant que chasseur.
Dans ce cas précis, je ne partage pas la même logique que les historiens US.
Les 20 pilotes des Marines du VMF-221 étaient des bleus.
Ils attaquèrent environ 70 avions Japonais (dont 36 excellents chasseurs A6M2 Zéro) avec leurs .
C'était chasseurs courageux, certes, mais il eut été bien plus utile de scinder les chasseurs US en deux groupes inégaux, le plus petit attaquant les bombardiers Aichi D3A1 (Val).
Ils attaquèrent individuellement (= sans se couvrir mutuellement, donc dans le plus aimable désordre possible), ce qui, à ce moment de la guerre, est difficilement compréhensible.
Par ailleurs, certaines armes de capots semblent s'être enrayées.
Le bilan n'est pas précis sauf sur les pertes des Marines : Treize B 339 descendus, dont celui du major Floyd B. Parks qui commandait l'unité, aucun des pilotes abattus n'ayant, apparemment, survécu !
Cela signifie que 7 Buffalo s'en sortirent malgré la présence de 35 A6M2 !
Ce triste résultat donna un excellent prétexte à l'US Navy pour éliminer un avion qui ne lui avait jamais convenu probablement parce qu'il n'avait pas été fabriqué par un de ses fournisseurs habituels (comme Grumman ou Curtiss, par exemple).
L'examen des faits ne montre pourtant pas de faiblesse particulière de l'avion dans ce combat. Il met plutôt en évidence une formation très faible des pilotes et de leur chef.
Ce bilan aurait, au moins, dû condamner en même temps le rôle particulièrement néfaste des multiples alourdissements de l'avion, imposés sans raison par la Navy qui ne tenait aucun compte de ce que les Finlandais avaient tiré de leurs expériences opérationnelles (démontrées depuis déjà 5 mois lorsque l'attaque de Pearl Harbor fut lancée).
De la persistance dans l'erreur chez des décideurs dits bien formés
Si le Buffalo était capable de suivre les Nakajima Ki 43 (Oscar), il ne devait pas être si loin que cela d'en faire autant avec des chasseurs Zéro.
En tout cas, cet avion US était, au départ, bien plus manœuvrant et montait significativement plus rapidement en altitude que son successeur F4F-3 Wildcat, qui, en Novembre 1942 et malgré ses 1 200 Cv, fut surclassé par un Dewoitine 520 de l'Aéronavale, pourtant en état très moyen et disposant de 300 Cv de moins.
La préférence donnée par l'US Navy au Wildcat plutôt qu'au bien supérieur Buffalo peut aussi venir du fait que les fonctionnaires de la Navy avaient un meilleur contact avec les hommes de Grumman qu'ils connaissaient bien qu'avec ceux de Brewster, qu'ils devaient classer dans la catégorie des débutants.