lundi 1 juillet 2024

Le Messerschmitt 262, indispensable ? Sûrement pas ! (augmenté le 22 / 07 / 2024 ***)

Il est possible que des âmes sensibles soient choquées, toutes mes excuses ! 

La plus grande partie des nombreux textes que je lis sur l'Aviation de la Seconde Guerre Mondiale insistent sur le rôle majeur qu'aurait pu avoir le Me 262 au profit du IIIème Reich.

Pourtant, cet avion n'a jamais eu la capacité d'impact qui avait été attendue, loin de là.


Tout le monde peut légitimement admirer le Messerschmitt 262 parce que cet avion a ouvert un immense domaine nouveau dans la conquête de la vitesse.

Cet avion a ouvert de nouveaux champs de recherche, donc de découvertes. 

Ainsi, l'Allemagne a démontré, face à tous les autres pays, sa remarquable avance technologique dans le domaine de l'aviation à réaction. 

Comme elle a fini par perdre quand même la guerre, elle a été envahie et l'essentiel de ses percées technologiques ont été acquises par les ingénieurs alliés. 

Tous ont pu éviter la douloureuse marche qu'avaient dû subir les hommes de Messerschmitt.

Ainsi, lorsque vous montez dans un Airbus ou un Boeing de transport, vous témoignez votre confiance à un ensemble de personnels Allemands qui vont de l'ingénieur Messerschmitt  à ses très brillants collaborateurs et à tous les concepteurs des réacteurs crachotants de1944-1945. 



Me 262  désarmé, non peint, avec (apparemment) un état de surface pour le moins perfectible


Cependant, employer ce nouveau système de motorisation impliquait, en 1942, de repenser non seulement la structure des avions, mais, également, la totalité de la guerre aérienne du Reich !

Cela doit commencer par une révision de tout le système de fabrication de l'avion et toute la logistique des bases aériennes, mais aussi des méthodes de combats. 

Seule la couverture radar du Reich, à ma connaissance, ne nécessitait aucune remise à niveau.

Voyons cela :

  • Point 1, les réacteurs n'ont pas la moindre capacité de s'accrocher physiquement à l'air comme le font les hélices, d'une part parce que le rapport poussée poids est seulement de 0.280 (Dassault Mystère IV = 0.403 ; Mirage III : 0.63), mais aussi parce que la traînée du Me 262 est près de 3 fois supérieure à celle d'un Dassault Ouragan (3 "fuselages" contre 1 seul). En plus :
    • Ces avions doivent disposer de systèmes bien plus efficaces pour se freiner, non seulement en l'air, mais aussi à l'atterrissage (=> aérofreins, jusque là employés uniquement sur les bombardiers en piqué).

    • Point 2, la forme élégante du chasseur Messerschmitt 262 conserve, en gros, la conception du Bf 110 de 1937. 
      • Mais le fuselage prend trop de place, pèse trop et son inertie se traduit par une certaine paresse dans les manoeuvre rapides. 
      • La sur-largeur inférieure du plancher, illustrée ci-dessous, avait pour but d'amélirer l'interaction aile-fuselage (évitant ainsi un raccord Karmann).
      • Par ailleurs, le volume de ce fuselage, à lui seul, en fait une cible bien repérable de loin.


    La largeur du fuselage est "confortable", un peu trop !


    • Point 3, les réacteurs n'ont encore aucune fiabilité. Ils travaillent à des températures très élevées (pour la technologie du moment), entraînant l'obligation d'employer de métaux très spéciaux, donc très rares. 
      • Malheureusement, ces métaux ne sont pas encore produits en Allemagne. On doit s'en passer, et la durée de vie d'un moteur va de 10 heures à 25 heures, suivant l'expérience des pilotes, comme au début de 1916.



    Réacteur JUMO 004 - Image NACA permettant de voir les 8 étages coaxiaux de ce moteur.



    • Point 4, Les réacteurs rejettent des gaz extrêmement chauds. L'équipe Messerschmitt ne s'en est pas préoccupé d'emblée (tout comme aussi les ingénieurs Britanniques qui construisirent le Supermarine Attacker, premier chasseur embarqué à réaction).
      • Elle a eu tort, parce qu'elle a été obligée d'en venir au train d'atterrissage tricycle après un an d'expériences désagréables (en particulier, des déclenchements d'incendies, ce qui était hautement prévisible !). Il a donc fallu repenser la structure du Me 262, ce qui rajoute près d'un an de retard. 
      • A noter que ce fut aussi le cas, 55 années plus tard, avec le Lockheed F35 B.

    • Point 5, le carburant n'a rien à voir avec l'essence plus ou moins mâtinée de tetra-éthyle-plomb que, alors, tout le monde maîtrisait dans les armées aériennes du monde ! Il s'agit maintenant une huile très calorifique, probablement issue, au mieux, du charbon, voire du lignite. Dans ce dernier cas, je ne suis pas persuadé qu'il ait été produit avec toute la pureté nécessaire à la bonne sûreté des réacteurs.
      • D'après ce que l'on peut lire de nos jours, même à la fin de la guerre, en Avril 1945, la"simple" gestion de la manette des gaz était tellement compliquée que la vie du moteur pouvait se terminer instantanément en incendie à cause d'une manipulation un peu trop vive ! 
      • Il paraît surprenant que ce problème n'ait pas été résolu en 2 années d'essais en vol, alors même que l'avion était destiné à la chasse, discipline où la vivacité de réaction du pilote est strictement obligatoire.

    • Point 6introduire une arme révolutionnaire dans une quelconque armée peut se comprendre au tout début d'une guerre. Après une longue période de guerre, les soldats très expérimentés deviennent minoritaires (à cause de la sélection naturelle) et ils ont engrangé une énorme quantités de méthodes, mais la plupart sont  inadaptées à cette nouveauté.


    Le projet et ses étapes


    Les premiers travaux datent de l'Automne 1938. Le 1er vol (avec les réacteurs) du prototype fut réalisé le 18 Juillet 1942, 4  années plus tard. 

    Le premier vol d'un Me 262 de production eut lieu en Mars 1944.

    De la conception à l'entrée en fonction, près de six ans s'étaient écoulés. Cela signifie déjà que les solution aérodynamiques choisies n'étaient plus les meilleures.

    Bien sûr, le Me 262 est un avion fin mais, également, volumineux. 

    Il a une envergure de 12.60 m. Sa surface alaire est de 21.70 m².

    { Parenthèse : Tout le monde a trouvé bon de s'extasier sur son aile en flèche de 18.5°. 

    Curieusement, William Green n'en parle pas. Mais tout le monde sait que l'ingénieur Alexander Lippisch travaillait depuis plusieurs années sur des avions ou des planeurs disposant d'ailes en flèche à environ 20° et qu'il travaillait depuis 1939 à Augsbourg chez Messerschmitt (tout comme son pilote d'essai Heini Dittmar). 

    Leur but était de construire le chasseur fusée Me 163, qui présentait une flèche de 23.5°.

    D'après l'article de En. Wikipedia (de la fin Mai 2024), les ailes devaient être droites. 

    Mais la masse anormalement forte des réacteurs réels aurait amené à introduire la flèche de 18.5°.  

    Honnêtement, je crois d'avantage à l'influence de la compétence de l'ingénieur Lippisch qui avait réussi à faire voler son avion fusée à 1 003 km/h  à 4 000 m (Mach 0.84) le 2 octobre 1941. }

    Sa longueur est de 10.60 m et sa masse à vide est de 3 800 kg (faible). 

    Sa masse au décollage est de 6 475 kg (elle pouvait aller un peu au-delà de 7.150 kg).

    La charge alaire atteignait donc 298 kg. 

    L'avion décolle "normalement" en presque 1 300 m. 

    Il faut donc allonger toutes les pistes du Reich pour pouvoir décoller sans danger, cela signifiant de 1500 à 2000 m de piste (les autoroutes le permettent très bien).

    Le plafond pratique de 11 450 m était très faible en 1944.

    La montée à 9 000 m demandait un peu plus de 13 minutes, ce qui à quelque secondes près, est le temps du Nieuport 161 de 1938  (13'.48"), avec ses 860 Cv !!!, 

    Ce temps de montée souligne une fois de plus la faiblesse de son rapport poussée/poids.

    Donc, face à ses adversaires il n'était pas toujours le meilleur, loin de là.


    Voyez : Le Spitfire XIV Britannique vole à une Vmax 720 km/h à presque 8 000m.

    Sa masse à vide n'atteignait pas 3 000 kg puis passait à 3 600 kg au décollage, donnant une charge alaire de 160 kg/m² (la masse maximale absolue était 3 854 Kg). 

    Il décollait en 542 m à pleine charge. 

    Il montait à 9 000 m en environ 8 minutes.

    Sa course d'atterrissage était de 700 m.


    Le Bf 109 K, qui résultait d'une purification aérodynamique remarquable; pesait 200 kg de moins que le chasseur Britannique et était aussi rapide.

    Il s'envolait aussi bien

    Il montait à 10 000 m en 6' 42".


    Le chasseur Focke-Wulf TA-152 H, dernier chasseur à hélice du Reich, avait une surface alaire de 23.4 m².

    Il décollait en un peu plus de 400 m au poids de 4 600 kg, montait à 10 000 m en 13' 18" et son plafond était de 14 700 m

    Il démontrait une vitesse de 760 km/h à 12 000 m et un plafond d'environ 14 600 m. .. 

    C'était bien un chasseur de haute altitude mais pas véritablement un intercepteur.


    Le Messerschmitt 262 trahit son âge dès qu'il vole : Le premier de tous ses défaut  est l'énorme durée de son développement (à l'exact inverse du P 51 !). 


    Au combat

    Par contre, son armement déjà très puissant, va devenir encore plus puissant : Il est l'arme la plus efficace du moment pour détruire les bombardiers quadrimoteurs B 17  et B 24.

    Le canon MK 108 tirait avec une V0 trop faible (540 m/s) qui interdisait de tirer de loin. 

    Le MK 103, trois fois plus lourd, avait une V0 de 860 m/s qui lui aurait permis de tirer de plus loin.

    Le premier missile air-air fut le R4M non guidé, qui parcourait de 800 à 1500 m à 525 m/s.

    L'engin de 0.8 m de long et 55 mm de diamètre pesait un peu moins de 4 kg dont 0.52 kg de Torpex dans son ogive.


    Missile R4M



    Cette arme volait droit, personne ne pouvant alors guider un si petit missile.

    Le 18 Mars 1945 fut un grand jour pour la Jagdwaffe : 37 Me 262 attaquèrent un fleuve d'environ 1 200 forteresses volantes protégées par plus de 600 P 51. 

    Grâce à leurs 24 missiles air-air (R4M) par avion (soit 888 missiles au total), les Messerschmitt détruisirent 12 bombardiers au prix de 3 des leurs.

     Vu le nombre des chasseurs US, les 3 Messerschmitt abattus semblent de peu de poids !

    Cette action est retenue universellement comme la plus représentative des capacités hors du commun de ce chasseur.


    Galland, dans son livre (les premiers et les derniers, traduit par Yves Michelet), rapporte avoir attaqué avec 6  Me 262 une formation de 6 Martin Marauder qui furent tous descendus. (au prix de son propre avion, pendant l'atterrissage).


    Ce qui est particulièrement étonnant, c'est que de nombreux Me 262 ont été abattus à la suite de combats dont les récits se ressemblent tous et qui amènent le lecteur à penser que le chasseur Allemand manquait gravement de maniabilité, comme celui qui suit :



    J'ai copié cette photo sur le site, hélas non sécurisé,
    http://www.spitfireperformance.com/mustang/combat-reports/78-anderson-21march45.jpg

    Pourquoi ce manque de maniabilité ? j'ai trouvé plusieurs raisons évidentes :

    • Les commandes assistées n'équipent alors que le P 38, dans ses toutes dernières versions (elles multiplieront d'un facteur 4 ou 5 la rapidité de roulis de ce gros avion).
      • A 800 km/h, ces commandes auraient dû s'imposer !
    • L'empennage horizontal est de type classique (plan fixe + profondeur). Aux grandes vitesses, il eut été bien plus efficace d'avoir un système monobloc.

    Les grands pilotes d'Hitler se faisaient plus rares et ceux qui avaient survécu à de nombreux crashs n'avaient peut-être plus une capacité physique suffisante.

    Par contre, les pilotes Anglo-Saxons commençaient à bénéficier d'authentiques combinaison anti-G.

     

    Conclusion

    Employé en masse un an plus tôt, le Me 262 eut changé la donne contre la 8ème Air Force, avant que le général Doolittle les fasse escorter par des nuées de P 51 B puis D..

    La mise au point de ce Messerschmitt avait été trop difficile. 

    Toutes les gigantesques ressources consacrées à ce chasseur et à d'énormes canons de Flak auraient permis la sortie de milliers de TA 152 A puis C et finalement H, qui auraient pu casser tout aussi brillamment les gros bombardiers Alliés tout en ayant une bien meilleure capacité de combat contre les chasseurs US.

    C'est justement le faible nombre de chasseurs classiques qui à dévoré la Luftwaffe, Dieu soit loué !