mardi 3 septembre 2024

Les hydravions de patrouille Français de moyen tonnage des années 30



{Sources : En., De. et It. Wikipedia ; L'Aviation Française en 1939 du Cdt Pierre Barjot ; Docavia # 34, Les avions Latécoère de Jean Cuny}




L'Aéronavale Française, après avoir eu du mal à exister en tant que force maritime à part entière, s'est retrouvée, ensuite, à la merci de marins purs pour qui, probablement à cause des expériences de Doolittle, tout avion, même Français, était l'ennemi ! 

Le livre du comandant Vuilliez sur l'Aéronavale décrit les incroyables erreurs de certains officiers de marine qui, devant sauver un hydravion lourd, provoquèrent sa perte par leur  incompétence et provoquèrent ainsi la démission de l'officier Hurel qui devint le très brillant ingénieur que l'on sait (créateur des Avions CAMS puis, après la guerre, des avions Hurel-Dubois aux ailes "en coupe-papier").

Le choix des avions marins était forcément très compliqué, puisque les concepts aériens n'avaient alors aucune valeur aux yeux des décideurs marins.

Notre Marine Nationale tablait sur les navires les plus rapides possibles. Par contre, elle refusa de favoriser les avions les plus rapides (comprenne qui pourra). 

Le changement finit par arriver, mais très tard. 


Dans son livre sur L'Aviation Française en 1939, le commandant (et futur amiral) Pierre Barjot, nous décrivait, merveilleusement bien, il faut le dire, la vie à bord des grands hydravions de la Royale.

Je ne vais traiter que les avions de moyen tonnage (moins de 20 tonnes) ayant volé entre 1934 et par la suite


Le Loire 70 trimoteur, monoplan entièrement métallique, fut choisi pour assurer ce travail de patrouille.

Il était long de 19.50 m et l'envergure de ses ailes atteignait 30 m.

C'était un monoplan parasol de 6 500 kg à vide et de 11 500 kg au décollage.

La surface alaire comptait 136 m².



Loire 70 - Une mature impressionnante. Peut-être un peu trop ?



Ses moteurs 3 Gnome et Rhône 9 K de 740 Cv lui accordaient une vitesse de 235 km/h à la puissance maximale (et à 0 m).

La vitesse de croisière ne dépassait pas 165 km/h.

Le plafond était à 4000 m. 

La montée à 3 000 m prenait  26 minutes.

L'autonomie variait, suivant les sources, de 2 000 à 3 000 km.

Il portait 6 mitrailleuses de 7.5 mm et 600 kg de bombes (4 150 kg).

Il était servi par 8 hommes.


En 1940, les 4 derniers des 8 exemplaires construits se trouvaient à Bizerte-Karouba (Tunisie), constituant alors l'escadrille E 7.

Le 12 Juin, 3 d'entre eux furent détruits ou rendus irréparables par un brillant bombardement Italien.

Cet avion n'a certainement pas laissé un souvenir impérissable dans les mémoires de la Royale !




L'avion préféré des marins fut le Bréguet Bizerte.

En 1924, Bréguet avait acheté un bateau-volant Britannique, le Short Calcutta.

Prenant connaissance du programme de 1932, Louis Bréguet dériva de cet avion un bateau-volant trimoteur considérablement amélioré qui fut baptisé Bréguet 521 Bizerte, du nom de la base de la Marine Française en Tunisie, alors protectorat Français.

C'était un biplan nettement plus imposant que le Loire 70.

Long de 20.5 m, il avait une masse de 9 470 kg à vide qui passait à 15 000 kg au décollage normal (16 600 kg maximale).

L'envergure maximale (aile supérieure) atteignait 35.15 m, l'autre aile se contentant de 18.90 m. La surface alaire valait 162.50 m².

La vitesse de pointe atteignait 245 km/h à 1 000 m (on trouve aussi 255 km/h).




Bréguet 521 Bizerte
sur le site : http://jnpassieux.fr/www/html/Breguet521.php



L'autonomie de cet appareil variait de 2 100 km (à la vitesse de croisière de 200 km/h) à 3 000 km (à la vitesse de croisière de 165 km/h).

Le plafond était de 6 000 m.

La montée à 5 000 m prenait 45 minutes, mais la montée à 2 000 m prenait un peu moins de 9 minutes.

On voit donc que cet avion était supérieur en performances par rapport aux Loire 70, pourtant plus légers et qui n'étaient pas encombrés d'une voilure supplémentaire.

Curieusement, son armement de 5 mitrailleuses de 7.5 mm  et ses 300 kg de bombes (et 0 torpille) ne semblent pas très impressionnant.

Cet avion, commandé par petites lots, se retrouva en 37 exemplaires dans l'inventaire de la Royale.




Point de vue opérationnel


Je n'ai pas de renseignement sur le comportement des Loire 70.

Par contre les Bréguet 521 Bizerte firent très bien leur travail de patrouille et jouèrent un grand rôle pour récupérer, en mer, des pilotes en perdition.

Dans son livre sur L'Aviation Française en 1939, le commandant (futur amiral) Pierre Barjot, nous décrivait (merveilleusement bien) la vie à bord des grands hydravions de la Royale (chacun d'entre eux ayant hérité d'un nom comme n'importe quel navire de guerre).

Les marins aviateurs y menaient une vie ressemblant tout à fait à celle menée dans les navires "de surface".

L'équipage de chaque avion était évidemment dirigé par un officier de Marine. 

Evidemment, l'escadrille était elle-même commandée par un officier de marine d'expérience supérieure.

Chaque matin avant de partir, l'équipage hissait le drapeau tricolore.

Le radio apportait au commandant de bord les ordres de l'amirauté et les renseignements indispensables à l'accomplissement de la mission du jour.



Après l'armistice de Juin 1940, les Allemands achetèrent des Bréguet Bizerte pour sauver leurs pilotes abattus en mer. 

Après le débarquement au Maroc et en Algérie (8 Novembre 1942), les Allemands se saisirent des exemplaires restés en zone libre pour s'en servir dans le même but. 

Après la Libération, l'un d'entre eux retrouva les marquages Français et servit encore un peu !
Ce fut donc un excellent appareil.





Cependant, je regrette profondément qu'à la place du Loire 70, les marins n'aient pas choisi le Latécoère 582.

Dans le livre du (futur) amiral Barjot, cité plus haut, cet avion est cité comme un grand espoir.

{L'essentiel des informations proviennent du livre de Jean Cuny : Latécoère, les avions et Hydravions, Docavia #34, 1992 } 

Le Latécoère 582 avait donc été conçu par l'ingénieur Moine.

C'était un hydravion 
trimoteur à coque aux ailes montée en parasol et de moyen tonnage qui répondait à un programme "d'hydravions de croisières" devant disposer d'une grande autonomie, d'une bonne vitesse, de bonnes qualités marines et de moteurs moteurs visitables en vol.


Laté 582 - La fragilité de la tourelle à l'extrême avant aurait dû être évidente.
Par contre, l'amélioration de la finesse par rapport à) ses concurrent est énorme



Les Ailes lui ont consacré une pleine page de présentation dans sa livraison du 2 Janvier 1936

Le premier vol avait eu lieu le 25 Juillet 1935. 

La position haute des trois moteurs entrainait une tendance à enfoncer le nez dans l'eau au décollage qui fut corrigée par un allongement du nez de 0.80 m. 

Ses essais avaient été marqués par une évolution considérable de la cellule et par de nombreux problèmes de propulsion affectant tant les moteurs que les hélices.

L'avion était long de 21.11 m et sa masse de 6 910 kg à vide passait à 11 300 kg au décollage (12 tonnes max).

La voilure avait une envergure de 28 m et totalisait 112 m² de surface, ce qui lui conférait une
 charge alaire encore très raisonnable de 102 kg/m².



Les 3 moteurs étaient des Gnome et Rhône 14 K de 880 Cv chacun
.

Ils conféraient à cet hydravion une vitesse de pointe très élevée pour la période :
  • 270 km/h à 1 500 m,
  • 280 km/h à 2 200 m,
  • 275 km/h à 4 000 m.
Contrairement à ce qu'avaient pensé les "experts", cet hydravion avait réussi à décoller par 1.40 m de creux et Pierre Barjot rapportait qu'il décollait en 6 secondes sur une mer formée avec des creux d'un mètre

Les qualités de vol de l'avion furent jugées ainsi : 
  • Hypersustentation remarquable, 
  • Bonnes qualités de vol même avec les 2 tourelles sorties,
  • Vitesse élevée,
  • Bonnes qualités de vol, même avec le braquage des ailerons comme volets, 
  • Bonnes stabilités,
  • Couple de lacet inverse nul.

Comme d'habitude, nos si brillants décideurs marins, répétant partout que les navires, 
eux, "naviguaient à 0 m d'altitude", n'avaient pas voulu bénéficier à plein de la suralimentation en augmentant l'altitude critique - ici de l'ordre de 1 500 m - pour la passer à 3 300 m.                                                                                                                                     

Une telle évolution aurait pourtant permis de consommer moins d'essence, de voler plus vite et plus haut (environ 300 km/h vers 4 000 m).

La vitesse minimale était de 98 km/h.

L'autonomie était d'au moins 1 800 km, et elle aurait pu être nettement augmentée.

Sous réserve d'augmenter la masse maximale admissible, le Laté 582 pouvait, en plus, emporter 2 torpilles aériennes, ce qu'aucun de ses concurrents Français ne pouvait réaliser.


Ainsi, dans certaines conditions de visibilité, cet hydravion aurait pu couler des navires de guerre, voire des navires de ligne, comme le Blackburn T4 Cubaroo de la RAF en 1924.

Le plafond pratique atteignait 5 600 m mais la perte d'un moteur n'empêchait pas l'avion de plafonner à 4 500 m. Il avait donc une capacité de surveillance considérable.

Du fait de compresseurs ne rétablissant qu'à basse altitude, les hydravions volaient de 30 à 50 km/h moins vite qu'ils auraient pu le faire, ils volaient souvent plus bas, donc étaient plus visibles et plus bruyants (en un mot, plus détectables), et ils perdaient alors beaucoup de leurs capacités d'attaque par surprise.


La seule erreur réellement commise par Latécoère fut d'avoir installé une tourelle de mitrailleuse en plexiglas (donc très fragile) à l'extrémité avant de l'avion. 

De ce fait, les entrées de paquets d'eau furent fréquentes, ce qui induisit de la corrosion.

Le Laté 582 fut donc abandonné. 




Grand regret : Le manque d'ambition tactique du patron de la Royale. 

Avec des moteurs plus puissants, cet hydravion pouvait explorer à 600 km du point de départ et, le cas échéant, attaquer, y compris des navires de ligne ou des croiseurs. 

Un hydravion rapide n'avait pas à se soucier de barrer le T d'une éventuelle ligne de file ennemie


Il aurait jouer un rôle analogue à celui des célèbres Consolidated PBY Catalina qui sont arrivés une année plus tard, qui étaient un peu plus rapides (314 km/h) mais qui bénéficiaient surtout de moteurs plus puissants (1 200 Cv) et parfaitement au point.


Plus tard, après remotorisation avec des moteurs de 2 000 Cv, il aurait peut-être pu initier le chemin vers la notion de bombardier d'eau.