jeudi 4 avril 2024

Le SE 2010 Armagnac aurait pu être le Globmaster Français

 

L'Armagnac fut un avion étonnant : Grand et puissant, il était évidemment lourd.  

Il pouvait cependant emmener 160 passagers.


SE 2010 Armagnac des TAI (futur UTA): un avion plutôt fin

Long de 39.63 m, il avait une masse à vide de 30.4 à 46.5 tonnes (suivant la source). 

Sa masse maximale au décollage était de 77.5 tonnes.

La voilure avait une envergure de 48.95 m et une surface de 236 m².

La charge alaire atteignait 280 kg / m², ce qui restait faible pour l'époque (le C- 124 contemporain accusait, lui, 360 kg / m²) .

Son fuselage avait un diamètre de 4.70 m.

Voila qui était considérablement plus vaste que celui des "grands avions à réaction" qui allaient lui succéder.

Le Boeing 707 se "contentait" de 3.76 m (0.94 m de moins) pour pouvoir installer 6 sièges passagers par rangée. 

Le sommet de la dérive culminait à 13 m au dessus du tarmac, ce qui devait poser problème pour entrer dans la plupart des hangers.

La motorisation était assurée par 4 moteurs Pratt & Whitney R-4360-B13 Wasp Major de 28-cylindres qui donnaient chacun 3 500 Cv.

La vitesse de pointe varie entre 580 à plus de 7 500 m pour le Wikipedia en Anglais, et 525 km/h pour la même encyclopédie mais en langue Allemande.

La vitesse de croisière varie beaucoup suivant les sources, allant de 460 km/h (De. Wikipedia et Nl. Wikipedia), à 410 km/h (It.Wikipedia).

La vitesse ascensionnelle était de 4.80 m/s, du même ordre que celle d'un bombardier Boeing B 29..



Un (pas assez) long courrier ?

Pendant les essais, il apparut que l'Armagnac n'aurait pas l'autonomie nécessaire pour franchir d'un seul coup d'ailes le trajet Paris-New York. 

Toutes les sources convergent pour lui attribuer une autonomie de 5 150 km et non les 6 500 km nécessaires pour .éviter tout risque.

Etait-ce une catastrophe ?



Changer les moteurs ?


Une solution existait potentiellement : Monter des moteurs plus puissants. 

Après 1945, les moteurs à pistons étaient à bout de souffle. Leur rendement n'augmentaient plus, l'évacuation des calories excédentaires devenait très difficile, les métaux employés atteignaient leur limite de résistance. 

Nous savons, depuis 30 ans, que les moteurs à pistons du XXIème siècle sont bien plus brillants. 

On doit cela à la généralisation de l'injection (directe ou indirecte) associée à la gestion électronique (puis informatique) de la combustion.

Mais je ne suis pas sûr que de tels moteurs de 5 000 Cv soient actuellement réalisables.

Il aurait alors fallu monter :

  • Des réacteurs (ce qui nous était alors impossible financièrement), 
  • Ou acheter des turbopropulseurs de grande puissance. Mais ceux-ci n'avaient encore que peu de fiabilité.

Donc ces solutions ne pouvait pas être employée. Il fallait trouver une toute autre méthode.



Traverser l'Atlantique en plusieurs étapes


Pourtant, dans les faits réels, cela n'aurait entrainé aucune traduction ennuyeuse pour les passagers, parce que, dans les années 1950, le Lockheed Constellation, principal avion transatlantique (quelle que soit sa version), ne faisait quasiment jamais la traversée en un unique vol. 

Par exemple, à l'été 1956, allant au Mexique pour assister à un congrès scientifique international, mes parents firent la traversée de l'Atlantique en s'arrêtant successivement à Shannon (Eire), Reykjavik (Island), Gander (Canada), avant de se poser à New York (soit 4 étapes). 

Ce trajet comportait donc 4  étapes, dont la longueur moyenne ne dépassait pas 1625 km !

La vitesse moyenne d'un Constellation L-749  entre les vols Europe-USA poussés par le vent et ceux effectués contre le vent était de 420 km/h.

La durée des vols transatlantiques contre le vent était de l'ordre de 18 heures (voire plus). 

Les arrêts de ravitaillement étaient donc plutôt bienvenus pour détendre les muscle des passagers.


Par ailleurs, un certain nombre d'incidents et d'accidents de Constellation se sont produits à l'atterrissage ou au décollage de ces étapes intermédiaires. 
Ils confirment que la traversé en un seul vol n'était pas la règle.

Ainsi, la mort de la violoniste virtuose Ginette Neveu et du célèbre boxeur Marcel Cerdan, ainsi que d'autres célébrités, disparurent dans l'accident du Constellation F-BAZN d'Air France aux Açores, à la suite d'une grave erreur de navigation de l'équipage.


Jouer sur le grand nombre de places disponibles ?

Sachant cela, ma naïveté coutumière me pousse à penser que l'Armagnac aurait aussi pu sauver sa rentabilité en baissant nettement le prix du voyage et limitant le nombre d'étapes à seulement 2. 

Il aurait alors inventer la notion de vol charter, inexistant à l'époque.



Jouer du volume transportable

Par ailleurs, on voit bien qu'alors, personne n'a cherché à voir ce qu'aurait apporté ce large fuselage pour le transport rapide d'objets lourds et volumineux (dans ce dernier cas, en conservant le large fuselage de 4.70 m de diamètre). 

Si le Blocus de Berlin était presque terminé quand l'Armagnac a commencé sa trop courte carrière, nous, Français, nous étions confrontés à des "événements de décolonisation" qui auraient dû nous poser la question de nos moyens d'évacuation comme celle de nos transferts militaires.

Les USA avaient employé leur Douglas C 74 Globemaster pendant cette difficile période (qui vit un de ces avions, en 6 vols, transporter 113 tonnes de charbon (usage fort inattendu dans le transport aérien !). 

Cet avion avait, lui aussi, une autonomie insuffisante et sa vitesse de croisière était trè_s inférieures. 

Ils le transformèrent en très gros avion de transport (masse max : 88 tonnes) à tout faire dans la version C124 Globemaster II (dont le fuselage avait une largeur de l'ordre de 4.20 m

L'introduction d'un pont supplémentaire lui permettait d'emmener 200 passagers, la vitesse et l'autonomie augmentait. 

Cela ne donna aucune idée à nos gouvernants…



Regagner de la finesse

Toujours dans un autre esprit, on pouvait réduire le diamètre du fuselage d'un seul mètre. 

Le gain de surface aurait été de l'ordre de 60% de la surface initiale. 

On en serait arrivé à peu près au format d'un fuselage de Boeing 707, avion que j'ai jugé personnellement très confortable.

Dans ce cas, la traînée diminuait sans que l'habitabilité de l'avion devienne pénible. 

Cela aurait permis une augmentation de vitesse ou une amélioration sensible de l'autonomie, suivant la solution choisie. 


Attentat à la bombe 

L'Armagnac était doté d'une structure particulièrement bien pensée par Pierre Satre. 

Dans la courte carrière des seuls 9 exemplaires sortis, 3 ont connu des ennuis. Les deux premiers firent juste 5 décès. 

Le dernier problème arriva le 19 Décembre 1957 l'Armagnac F-BAVH, qui emmenait 96 légionnaires Français et 10 membres d'équipage, à Paris, avait été le théâtre d'un attentat à l'explosif.

{Pour se venger du stupide kidnapping des 5 dirigeants de la révolution Algérienne (par nos militaires passant outre l'autorisation de l'autorité politique) le 22 Octobre 1956, une équipe du FLN Algérien introduisit au-dessous des toilettes de cet avion une bombe parfaitement réalisée.}


Le F-BAVH survécut à l'explosion d'une bombe du FLN le 19 Décembre 1957


Habituellement, ce genre d'action terroriste entraine la désintégration de l'avion et la mort de tous ses occupants, mais là, il n'y eut aucune victime. 

Sur le site (http://aviateurs.e-monsite.com/pages/1946-et-annees-suivantes/attentat-a-la-bombe.html), Pierre MATHIEU, alors passager de cet avion, raconte :

"Les moteurs de l'Armagnac ronronnent gentiment quand, tout à coup, une puissante déflagration retentit."

"(...) les stewards et hôtesses de l'air courant dans l'allée centrale vers la queue de l'appareil avec des extincteurs à la main font disparaitre nos sourires pour faire place à une certaine inquiétude. À nos questions, aucun ne répond.

"Pourtant l'avion continue son vol sans changement d'attitude ce qui me rassure, sauf qu'il fait maintenant un froid de canard dans la cabine..."

"(...) Je réalise qu'il y a bien eu une décompression explosive mais sans connaître la raison. J'apprendrai par la suite que nous n'étions qu'à 10.000 pieds ce qui explique que nous n'ayons pas eu de problème respiratoire."

"L'avion continue son vol comme si de rien n'était, puis au bout d'un certain temps, 1⁄2 heure ? 3⁄4 d'heure ? Il se pose en douceur. [NDR : Il semble, d'après d'autres sources, que l'atterrissage soit intervenu 90 minutes après l'explosion. On peut imaginer que ce délai ait été nécessaire pour être sûr que cette phase du vol ne risquait pas de se terminer en accident.]

Sur le parking, on nous fait descendre de l'avion mais je ne reconnais pas Orly. 

En marchant vers l'aérogare, j'aperçois une grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage un peu en avant de l'empennage. Pourquoi ? Toujours pas de réponse"

"Enfin, une fois au chaud dans l'aérogare, on nous annonce que nous sommes à Lyon-Bron et qu'une bombe a explosé dans le compartiment toilettes. La brèche est énorme, je l'évalue à 2 m x 2 m. Heureusement, aucun élément de commande de profondeur ou de direction n'a été touché ce qui permit à l'avion de continuer à voler à peu près normalement."

"(...).La vraie miraculée est l'une des hôtesses de l'air dont le siège était fixé sur la cloison des toilettes. Un passager l'a appelée au moyen de son bouton d'appel, elle s'est levée, a fait quelques pas, l'explosion s'est produite et son siège, ses affaires personnelles et le compartiment toilettes sont partis dans le vide. La baraka !

L'Armagnac était vraiment un excellent avion, robuste et capable d'endurer les pires avatars... Il aurait mérité une meilleure carrière."                         

J'ai repris l'essentiel de ce récit parce qu'il me parait illustrer la remarquable solidité de cet avion de même que sa grande stabilité. 



Visite marquante


J'ai eu la chance de visiter un de ces géants que notre pays allait sortir du service aérien. 

C'était à Orly avec plusieurs camarades de classe en 1957, dont l'un, Jean-Pierre Cot, était le fils de Pierre-Donatien Cot, alors directeur d'Orly, lequel nous avait invité.

J'avais déjà pris l'avion une douzaine de fois, en commençant par un "bombardier" dont je n'ai aucun souvenir autre que le récit que ma mère me fit. 

J'ai ensuite connu le DC 3, puis le Bloch SE 161 Languedoc, le  DC 4,  le Bréguet  763 Provence.

Mais, une fois dans l'Armagnac, j'avais troqué mon expérience des autobus volants contre celle d'un paquebot volant !

Nous entrâmes après avoir grimpé un escalier situé en face de la porte avant.

Dans mes souvenirs, il y avait deux zones non accessibles, chacune longue de 6 à 8 mètres et traversées par le couloir central dont je dirais qu'il devait avoir pas loin d'un mètre de large.

La première zone commençait à la suite du poste de pilotage, la seconde après une première "salle" destinée au passagers.

En sortant de la seconde zone fermée, le couloir central se poursuivait dans la seconde salle de passagers jusqu'au rétrécissement final de la cabine.

La seul chose qui m'étonna fut que le plancher ne me semblait pas plat.

Bien évidemment, je n'ai même pas pensé alors à poser la question. Peut-être l'avion devait-il partir à la casse ?




Conclusion

De nombreux facteurs ont provoqué l'échec de ce merveilleux avion. 

Le commun des mortels vous laissera entendre que cet avion était périmé avant même d'avoir volé. 

Mais ce point de vue ne résiste pas à une analyse sérieuse.


Par contre, à cette époque, les vols transatlantiques étaient la chasse gardée des avionneurs US. 

Nos hauts fonctionnaires ne semblaient jamais vouloir de matériel national. 

Air France s'alignait. Peut-être n'avait elle pas le choix... 


Pierre Satre, peu après, eut l'intelligence de sortir le SE 210 Caravelle, un moyen courrier pour les lignes intérieures  Européennes. 

Il réussit à en vendre 279, mais surtout, la disposition très originale de ses moteurs fut copiée universellement.

Je peux témoigner que, en 1960, les pilotes de cette autre vraie merveille n'hésitaient pas à nous montrer la maniabilité de cet avion qui leur servait de jouet. J'étais aux anges.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire