mercredi 6 novembre 2024

Le Nakajima Ki-27 Nate : Hyper agile (Révisé le 09 / XI / 2024 ***)

{Sources principales : En., De., Es., Fr., Ru., Wikipedia ; W. Green et al., The complete Book of Fighters }


En 1934, le service d'aviation de l'Armée Impériale Japonaise émit un programme pour obtenir un chasseur plus rapide que le biplan Kawasaki Ki-10 qui était en service depuis la fin de 1935 (sachant que son 1er vol datait de Mars de la même année !). 


Kawasaki Ki-10 : Un biplan très propre



Ce biplan, assez rapide (400 km/h), avait battu le monoplan Nakajima Ki-11, plus rapide (420 km/h) mais significativement moins manœuvrant (?). 

{En passant, je ne vois aucune ressemblance entre le Boeing P 26 à l'aérodynamisme très, très archaïque et le Nakajima Ki-11, considérablement plus évolué.}

Cependant, l'armée Japonaise s'était engagée depuis 1931 dans sa vilaine guerre contre la Chine. 


Son aviation était donc confrontée à des avions achetés aux USA, comme le Boeing P 26 (dont j'ai beaucoup de mal à valider les performances annoncées), ou à la Russie soviétique comme le biplan Polikarpov I 15. 


Il y avait maintenant une forme d'urgence pour améliorer sa Chasse au moment où tous les avionneurs du monde passaient des biplans aux monoplans à aile basse, ce fut donc certainement la consigne donnée aux Zaibatsu.

Trois monoplans prototypes de trois constructeurs différents furent produits.


Kawasaki proposait son Ki-28 animé par un moteur V 12 à refroidissement par liquide.

Ce chasseur était le plus rapide des trois grâce à un maître-couple réduit et à une aérodynamique plus fine (sauf son radiateur). 

Sa vitesse était de 485 km/h à une altitude de 3 500 m.

Il montait à 5 000 m en 5' 10".

Malheureusement, le rayon de ses virages était trop élevé.


Mitsubishi sortait un dérivé de son chasseur embarqué A5M, le Ki-33.

Cet avion était issu de la dé-navalisation du chasseur embarqué A5M.

En vitesse, il "gagnait" juste 4 km/h sur le Nakajima (la marge d'erreur instrumentale).

Très curieusement pour un avion issu d'un chasseur embarqué, sa maniabilité était insuffisante et, surtout, il perdait 1 700 m de plafond, ce qui était stratégiquement ennuyeux sachant, de nos jours, que les bombardiers G3M devaient bombarder des navires de ligne depuis 8 000 m.



Nakajima, enfin, proposait son Ki-27, non seulement évolution du Ki-11 refusé par l'Armée Impériale, mais aussi du Ki-12 (conçu autour d'un moteur Hispano 12 X avec le soutien de 2 ingénieurs de Dewoitine qui avaient démontré l'intérêt des structures monocoques).



Le Nakajima Ki-27 était donc de structure monocoque intégralement métallique.

Long de 7.53 m, il avait une masse à vide de 1 110 kg. 

Cette masse passait à 1 547 kg au décollage - en mission d'interception - puis à 1 790 kg au maximum (avec 4 bombes de 25 kg). 

(Mon choix de la valeur de la masse normale au décollage du Wikipedia en Espagnol traduit le fait que les Japonais ayant pris très rapidement les Philippines, le Ki-27 y fut très utilisé,  donc bien connu, et l'on y parle couramment l'Espagnol depuis Magellan).

L'envergure de 11.31 m permettait une surface alaire de 18.56 m².

En conséquence, la charge alaire - en mission d'interception - ne dépassait pas 83.4 kg/m².

Le Ki 27 atteignait les 470 km/h et montait à 5 000 m en 5' 22" (à comparer avec les 6' 03" du Fiat G 50).

La perte de performances par rapport au Ki 28 était quasi insignifiante, mais le Ki-27 tournait un 360° en à peine plus de 8"

Son plafond varie suivant les sources de 12 250 m (!) à 10 200 m. 

Ainsi, il gagna le concours et entra en service en fin 1937.



Nakajima Ki-27 - 


Le Ki-27 fut alors couramment appelé Nate pour rappeler qu'il était le produit des industries métallurgiques Nakajima (Nakajima Tekkosho).

Initialement, il était armé de seulement 2 mitrailleuses de 7.7 mm. 


Dans tous les cas, cet avion s'est montré une excellente plateforme de tir, maniée par des pilotes très bien formés.

Il fut employé directement en Chine dès 1937 contre les avions de Tchang Kaï Tcheck comme vous pourrez le voir sur la vidéo donnée en lien. 

On y voit un pilote Japonais très habile attaquant un chasseur biplan Curtiss Hawk III Chinois (vitesse maximale de 410 km/h).


L'avion donna tout de suite satisfaction jusqu'aux incidents de Khalkhin Gol (11 Mai --> 16 Septembre 1939), contre la Russie soviétique. 

Alors que les pilotes Japonais avaient rencontré uniquement des pilotes chinois (ou assimilés) dont l'entraînement était moins intense que le leur et dont les avions étaient plus anciens que les leurs

Désormais, ils devaient faire face à des avions modernes pilotés par des pilotes bien entrainés. 

Pire encore, ces hommes étaient plus de 200 et disposaient, d'au moins autant d'avions.



Polikarpov I-15  - le capot moteur est juste un médiocre anneau Townend.


L'armée soviétique, commandé par le général Blücher, d'abord malmenée, fut ensuite dirigée par Gueorgui Joukov, un homme qui, lui, savait  mener une guerre moderne.

Il renforça sans cesse son armée après y avoir organisé une logistique efficace et une sérieuse défensive.



 

I  153 capturé par les Finlandais apparemment pendant la Guerre d'Hiver (il est peint en blanc) -
Le capot moteur est à la fois plus aérodynamique et plus adapté aux froids hivernaux Russes que celui du  I 15.  Le train est éclipsable (à la manivelle).


Cela concernait aussi les modèles d'avions, en particulier sur le plan de la chasse où les anciens chasseurs biplans Polikarpov I-15 (365 km/h) laissaient la place à des Polikarpov I-153 (443 km/h à 4 600 m).

Les Polikarpov I-16 vinrent ensuite 

Eux avaient des sièges blindés et un moteur plus puissant qui assurait une vitesse plus grande, en particulier les I 16 type 24, capables de voler à 525 km/h à 4 600 m d'altitude.

Ces chasseurs-là résistaient aux mitrailleuses Japonaises de 7.7 mm (V0 : 820 m/s).

Par contre, les divers alourdissements entraînèrent un allongement du temps de virage sur 360° : 18 secondes au lieu de 15, mais le Bf 109 Emile prenait, lui, 25" pour effectuer la même manœuvre, ce qui devenait dangereux pour lui en combat 



Polikarpov I-16 - Les échappements propulsifs paraissent faiblement orientés vers l'arrière, mais il est probable qu'il s'agissait d'un compromis entre la propulsion et le risque d'incendie.


La confrontation URSS - Japon en Mandchourie sur le plan 
aéronautique, allait reposer sur  550 avions soviétiques et moins de 300 avions Japonais, dont environ 200 Nate.



Une partie d'une escadrille de Nate à Khalkhin Gol - l'hélice est bipale à pas variable.
On peut dire que, ici, la protection et le camouflage des chasseurs sont minimaux.



D'après ce site,  les essais soviétiques d'un Ki-27 montrèrent que le chasseur Japonais surclassait ses adversaires du moment. Je recopie :

"Au cours des essais en Russie d’un Ki-27 capturé, l’avion s’est révélé supérieur à l’I-152 (I-15bis), I-153 et même le I-16 en combat aérien, ainsi qu’au décollage plus rapide et une vitesse d’atterrissage inférieure, nécessitant des pistes d’atterrissage plus courtes que l’I-16 (qui nécessitait 270 mètres pour s'arrêter et 380 mètres pour décoller)".

Cependant, les chasseurs soviétiques bénéficiaient de l'avantage du nombre, qui restera toujours un facteur essentiel dans n'importe quelle guerre (Théorie de Lanchester). 


L'armée du Kwantung bénéficiait d'une énorme liberté d'action et ses chefs misaient avant tout sur l'entrainement remarquable de leur Infanterie. 

Ils étaient peu conscients :

  • de l'importance du renseignement aérien, 
  • du rôle de l'artillerie lourde (qu'ils ne protégèrent jamais sérieusement) et 
  • du rôle des chars, qui, par ailleurs, chez eux, étaient de qualité médiocre.


Un certain temps après, en 1941, notre armistice du 25 Juin 1940, les Ki-27 allèrent se confronter à la poignée de Morane 406 toujours présents en Indochine Française.

Les Nate ne firent qu'une bouchée des Morane (2 avions abattus et le 3ème très endommagé (CJ Ehrengardt & CF Shores, L'aviation de Vichy au combat, tome I, p. 95)..

Le soi-disant meilleur chasseur du monde était irrémédiablement défavorisé par rapport à ces très légers chasseurs Nippons. 

Sa masse était exagérée parce qu'il avait une structure antédiluvienne (assemblage de tubes et toiles choisi pour réparer facilement avec des bouts de ficelles). 

Par rapport au Ki-27, il tournait un  360° bien plus difficilement (18" au lieu de 8"), il montait très lentement (10' au lieu de 5' 22" pour 5 000 m, 18' pour 7 000 m).

Ainsi, le Japon s'assura, à nos dépens, de l'alliance du Siam (Thaïlande).

Mais aussi, et surtout, ils allaient bénéficier de nos bases aériennes pour attaquer les Indes Néerlandaises (devenue l'Indonésie). 

Ce sera de ces bases qu'ils partirent le 10  Décembre 1941 pour détruire la force Z Britannique.


On cite aussi, par curiosité, un P 38 Lightning descendu par un Nate et un P 51 endommagé par un (ou des) Nate Thaïlandais !



Mon idée farfelue

La France avait de plutôt bonnes relations avec le Japon avant 1940.

Je suis donc étonné que nous n'ayons pas essayé de vendre le moteur Gnome et Rhône 14 Mars aux constructeurs Japonais.

Certes ce moteur pesait 400 kg (soit 50 kg de plus que le moteur employé par le Nate), mais il avait une surface frontale qui représentait 55% de celle du fuselage du Ki-27. 

Il aurait donc pu gagner en vitesse sans perdre beaucoup de maniabilité.



Conclusion

Les plus de 3 380 chasseurs Nate ki-27 assurèrent la maîtrise du ciel de l'Armée Impériale Japonaise pendant 4 années sans faiblir. 

La défaite de 1939, en Mongolie, n'était en rien la leur, mais bien celle de l'Armée du Kwantung, particulièrement mal commandée (manque absolu de professionnalisme, par manque de travail des chefs).


La mauvaise réputation faite à cet avion a été créée par ceux qui avaient inventé des avions lourds que cet objet sautillant ridiculisait (P 40, P 38, Hurricane).

En grande partie, cela montre que les services de renseignement Japonais ont été peu performants.

Cette réputation actuelle a été amplifié par l'immobilisme technique des services de l'Armée  Japonaise, incapables d'armer ces avions avec des 12.7 mm, comme ils furent tout aussi incapables de tester à temps le moteur Mitsubishi Kinseï sur le Zéro (puis sur le Reppu) !


En 1937, tourner un 360° en 8" était un sacré atout, surtout si les adversaires ne volaient pas 100 km/h de plus que lui !

Pour Mr le ministre de l'air Pierre Cot, le Morane 406 était très maniable. 

Or, il tournait un 360° en 18" (Détroyat) : Sa maniabilité était donc moyenne, juste meilleure que celle du Bf 109 Emile (25"). 

Si ce Morane avait réellement disposé d'une vitesse de 490 km/h, il s'en serait sorti. 

Avec 450 km/h, il ne pouvait même pas survivre à un Nate armé juste de deux 7.7 mm.

Les Nate, eux, bien que très fragiles, ont combattu jusqu'en 1945 (même sous nos couleurs, en Indochine), mais à ce moment-là, ils étaient complètement rincés ! 

Ils donnèrent naissance à un avion nettement meilleur, le Nakajima Ki-43 Hayabusa  mais le commandement n'ayant pas changé, la défaite était prévisible.

La défaite Japonaise à Khalkhin Gol a scellé aussi la défaite du IIIème Reich dès l'automne 1940, parce que le Japon a été dissuadé d'attaque sérieusement l'URSS.












 





mardi 3 septembre 2024

Les hydravions de patrouille Français de moyen tonnage des années 30 (Révisé le 02 01 2025 *)



{Sources : En., De. et It. Wikipedia ; L'Aviation Française en 1939 du Cdt Pierre Barjot ; Docavia # 34, Les avions Latécoère de Jean Cuny}




L'Aéronavale Française, après avoir eu du mal à exister en tant que force maritime à part entière, s'est retrouvée, ensuite, à la merci de marins purs pour qui, probablement à cause des expériences de Doolittle, tout avion, même Français, était l'ennemi ! 

Le livre du comandant Vuilliez sur l'Aéronavale décrit les incroyables erreurs de certains officiers de marine qui, devant sauver un hydravion lourd, provoquèrent sa perte par leur  incompétence et provoquèrent ainsi la démission de l'officier Hurel qui devint le très brillant ingénieur que l'on sait (créateur des Avions CAMS puis, après la guerre, des avions Hurel-Dubois aux ailes "en coupe-papier").

Le choix des avions marins était forcément très compliqué, puisque les concepts aériens n'avaient alors aucune valeur aux yeux des décideurs marins.

Notre Marine Nationale tablait sur les navires les plus rapides possibles. Par contre, elle refusa de favoriser les avions les plus rapides (comprenne qui pourra). 

Le changement finit par arriver, mais très tard. 


Dans son livre sur L'Aviation Française en 1939, le commandant (et futur amiral) Pierre Barjot, nous décrivait, merveilleusement bien, il faut le dire, la vie à bord des grands hydravions de la Royale.

Je ne vais traiter que les avions de moyen tonnage (moins de 20 tonnes) ayant volé entre 1934 et par la suite


Le Loire 70 trimoteur, monoplan entièrement métallique, fut choisi pour assurer ce travail de patrouille.

Il était long de 19.50 m et l'envergure de ses ailes atteignait 30 m.

C'était un monoplan parasol de 6 500 kg à vide et de 11 500 kg au décollage.

La surface alaire comptait 136 m².



Loire 70 - Une mature impressionnante. Peut-être un peu trop ?



Ses moteurs 3 Gnome et Rhône 9 K de 740 Cv lui accordaient une vitesse de 235 km/h à la puissance maximale (et à 0 m).

La vitesse de croisière ne dépassait pas 165 km/h.

Le plafond était à 4000 m. 

La montée à 3 000 m prenait  26 minutes.

L'autonomie variait, suivant les sources, de 2 000 à 3 000 km.

Il portait 6 mitrailleuses de 7.5 mm et 600 kg de bombes (4 150 kg).

Il était servi par 8 hommes.


En 1940, les 4 derniers des 8 exemplaires construits se trouvaient à Bizerte-Karouba (Tunisie), constituant alors l'escadrille E 7.

Le 12 Juin, 3 d'entre eux furent détruits ou rendus irréparables par un brillant bombardement Italien.

Cet avion n'a certainement pas laissé un souvenir impérissable dans les mémoires de la Royale !




L'avion préféré des marins fut le Bréguet Bizerte.

En 1924, Bréguet avait acheté un bateau-volant Britannique, le Short Calcutta.

Prenant connaissance du programme de 1932, Louis Bréguet dériva de cet avion un bateau-volant trimoteur considérablement amélioré qui fut baptisé Bréguet 521 Bizerte, du nom de la base de la Marine Française en Tunisie, alors protectorat Français.

C'était un biplan nettement plus imposant que le Loire 70.

Long de 20.5 m, il avait une masse de 9 470 kg à vide qui passait à 15 000 kg au décollage normal (16 600 kg maximale).

L'envergure maximale (aile supérieure) atteignait 35.15 m, l'autre aile se contentant de 18.90 m. La surface alaire totale valait 162.50 m².

La vitesse de pointe atteignait 245 km/h à 1 000 m (on trouve aussi 255 km/h).




Bréguet 521 Bizerte
sur le site : http://jnpassieux.fr/www/html/Breguet521.php



L'autonomie de cet appareil variait de 2 100 km (à la vitesse de croisière de 200 km/h) à 3 000 km (à la vitesse de croisière de 165 km/h).

Le plafond était de 6 000 m.

La montée à 5 000 m prenait 45 minutes, mais la montée à 2 000 m prenait un peu moins de 9 minutes.

On voit donc que cet avion était supérieur aux Loire 70 en performances, qui étaient pourtant plus légers et n'étaient pas encombrés d'une seconde voilure.

Curieusement, son armement de 5 mitrailleuses de 7.5 mm  et ses 300 kg de bombes (et 0 torpille) ne semblent pas très impressionnant.

Cet avion, commandé par petites lots, se retrouva en 37 exemplaires dans l'inventaire de la Royale.




Point de vue opérationnel


Je n'ai pas de renseignement sur le comportement des Loire 70 (ce qui n'est pas bon signe).

Par contre les Bréguet 521 Bizerte firent très bien leur travail de patrouille et jouèrent un grand rôle pour récupérer, en mer, des pilotes en perdition.

Dans son livre sur L'Aviation Française en 1939, le commandant (et futur amiral) Pierre Barjot, nous décrivait (merveilleusement bien) la vie à bord des grands hydravions de la Royale (chacun d'entre eux ayant hérité d'un nom comme n'importe quel navire de guerre).

Les marins aviateurs y menaient une vie ressemblant tout à fait à celle menée dans les navires "de surface".

L'équipage de chaque avion était évidemment dirigé par un officier de Marine. 

Evidemment, l'escadrille était elle-même commandée par un officier de marine d'expérience supérieure.

Chaque matin avant de partir, l'équipage hissait le drapeau tricolore.

Le radio apportait au commandant de bord les ordres de l'amirauté et les renseignements indispensables à l'accomplissement de la mission du jour. 

Cela me rappelle le cérémonial mis en scène dans les films de Startreck !



Après l'armistice de Juin 1940, les Allemands achetèrent des Bréguet Bizerte pour sauver leurs pilotes abattus en mer. 

Après le débarquement au Maroc et en Algérie (8 Novembre 1942), les Allemands se saisirent des exemplaires restés en zone libre pour s'en servir dans le même but. 

Après la Libération, l'un d'entre eux retrouva les marquages Français et servit encore un peu !
Ce fut donc un excellent appareil.





Cependant, je regrette profondément qu'à la place du Loire 70, les marins n'aient pas choisi le Latécoère 582.

Dans le livre du (futur) amiral Barjot, cité plus haut, cet avion est cité comme un grand espoir.

{L'essentiel des informations proviennent du livre de Jean Cuny : Latécoère, les avions et Hydravions, Docavia #34, 1992 } 

Le Latécoère 582 avait donc été conçu par l'ingénieur Moine.

C'était un hydravion 
trimoteur à coque aux ailes montée en parasol et de moyen tonnage qui répondait à un programme "d'hydravions de croisières" devant disposer d'une grande autonomie, d'une bonne vitesse, de bonnes qualités marines et de moteurs moteurs visitables en vol.


Laté 582 - La fragilité de la tourelle à l'extrême avant aurait dû être évidente.
Par contre, l'amélioration de la finesse par rapport à) ses concurrent est énorme



Les Ailes lui ont consacré une pleine page de présentation dans sa livraison du 2 Janvier 1936

Le premier vol avait eu lieu le 25 Juillet 1935. 

La position haute des trois moteurs entrainait une tendance à enfoncer le nez dans l'eau au décollage qui fut corrigée par un allongement du nez de 0.80 m. 

Ses essais avaient été marqués par une évolution considérable de la cellule et par de nombreux problèmes de propulsion affectant tant les moteurs que les hélices.

L'avion était long de 21.11 m et sa masse de 6 910 kg à vide passait à 11 300 kg au décollage (12 tonnes max).

La voilure avait une envergure de 28 m et totalisait 112 m² de surface, ce qui lui conférait une
 charge alaire encore très raisonnable de 102 kg/m².



Les 3 moteurs étaient des Gnome et Rhône 14 K de 880 Cv chacun
.

Ils conféraient à cet hydravion une vitesse de pointe très élevée pour la période :
  • 270 km/h à 1 500 m,
  • 280 km/h à 2 200 m,
  • 275 km/h à 4 000 m.
Contrairement à ce qu'avaient pensé les "experts", cet hydravion avait réussi à décoller par 1.40 m de creux et Pierre Barjot rapportait qu'il décollait en 6 secondes sur une mer formée avec des creux d'un mètre

Les qualités de vol de l'avion furent jugées ainsi : 
  • Hypersustentation remarquable, 
  • Bonnes qualités de vol même avec les 2 tourelles sorties,
  • Vitesse élevée,
  • Bonnes qualités de vol, même avec le braquage des ailerons comme volets, 
  • Bonnes stabilités,
  • Couple de lacet inverse nul.

Comme d'habitude, nos si brillants décideurs marins, répétant partout que les navires, 
eux, "naviguaient à 0 m d'altitude", n'avaient pas voulu bénéficier à plein de la suralimentation en augmentant l'altitude critique - ici de l'ordre de 1 500 m - pour la passer à 3 300 m.                                                                                                                                     

Une telle évolution aurait pourtant permis de consommer moins d'essence, de voler plus vite et plus haut (environ 300 km/h vers 4 000 m).

La vitesse minimale était de 98 km/h.

L'autonomie était d'au moins 1 800 km, et elle aurait pu être nettement augmentée.

Sous réserve d'augmenter la masse maximale admissible, le Laté 582 pouvait, en plus, emporter 2 torpilles aériennes, ce qu'aucun de ses concurrents Français ne pouvait réaliser.


Ainsi, dans certaines conditions de visibilité, cet hydravion aurait pu couler des navires de guerre, voire des navires de ligne, comme le Blackburn T4 Cubaroo de la RAF en 1924 aurait pu le faire.

Le plafond pratique atteignait 5 600 m mais la perte d'un moteur n'empêchait pas l'avion de plafonner à 4 500 m. Il avait donc une capacité de surveillance considérable.

Du fait de compresseurs ne rétablissant qu'à basse altitude, les hydravions volaient de 30 à 50 km/h moins vite qu'ils auraient pu le faire, ils volaient souvent plus bas, donc étaient plus visibles et plus bruyants (en un mot, plus détectables), et ils perdaient alors beaucoup de leurs capacités d'attaque par surprise.


La seule erreur réellement commise par Latécoère fut d'avoir installé une tourelle de mitrailleuse en plexiglas (donc très fragile) à l'extrémité avant de l'avion. 

De ce fait, les entrées de paquets d'eau furent fréquentes, ce qui induisit de la corrosion.

Le Laté 582 fut donc abandonné. 




Grand regret : Le manque d'ambition tactique du patron de la Royale. 

Avec des moteurs plus puissants, cet hydravion pouvait explorer à 600 km du point de départ et, le cas échéant, attaquer, y compris des navires de ligne ou des croiseurs. 

Un hydravion rapide n'avait pas à se soucier de barrer le T d'une éventuelle ligne de file ennemie


Il aurait pu jouer un rôle analogue à celui des célèbres Consolidated PBY Catalina qui sont arrivés une année plus tard, qui étaient un peu plus rapides (314 km/h) mais qui bénéficiaient surtout de moteurs bien plus puissants (P&W 1840 de 1 200 Cv) et parfaitement au point.


Plus tard, après remotorisation avec des moteurs de 2 000 Cv, il aurait peut-être pu initier le chemin vers la notion de bombardier d'eau.





lundi 1 juillet 2024

Le Messerschmitt 262 : Indispensable ? Sûrement pas ! (révisé le 05 / 02 / 2025 * ***)

Il est possible que des âmes sensibles soient choquées par cet écrit, toutes mes excuses ! 

La plus grande partie des nombreux textes que je lis sur l'Aviation de la Seconde Guerre Mondiale insistent sur le rôle majeur qu'aurait pu avoir le Me 262 au profit du IIIème Reich.

Pourtant, cet avion n'a jamais eu la capacité d'impact qui avait été attendue, loin de là.


Tout le monde peut légitimement admirer le Messerschmitt 262 parce que cet avion a ouvert un immense domaine nouveau dans la conquête de la vitesse.

Cet avion a ouvert de nouveaux champs de recherche, donc de découvertes. 

Ainsi, l'Allemagne a démontré, face à tous les autres pays, sa remarquable avance technologique dans le domaine de l'aviation à réaction. 

Comme elle a fini par perdre quand même la guerre, elle a été envahie et l'essentiel de ses percées technologiques ont été acquises par les ingénieurs alliés. 

Tous ont pu éviter la douloureuse marche qu'avaient dû subir les hommes de Messerschmitt.

Ainsi, lorsque vous montez dans un Airbus ou un Boeing de transport, vous témoignez votre confiance à un ensemble de personnels Allemands qui vont de l'ingénieur Messerschmitt  à ses très brillants collaborateurs et à tous les concepteurs des réacteurs crachotants de1944-1945. 



Me 262  désarmé, non peint, avec (apparemment) un état de surface pour le moins perfectible


Cependant, employer ce nouveau système de motorisation impliquait, en 1942, de repenser non seulement la structure des avions, mais, également, la totalité de la guerre aérienne du Reich !

Cela doit commencer par une révision de tout le système de fabrication de l'avion et toute la logistique des bases aériennes, mais aussi des méthodes de combats. 

Seule la couverture radar du Reich, à ma connaissance, ne nécessitait aucune remise à niveau.

Voyons cela :

  • Point 1, les réacteurs n'ont pas la moindre capacité de s'accrocher physiquement à l'air comme le font les hélices, d'une part parce que le rapport poussée poids est seulement de 0.280 (Dassault Mystère IV = 0.403 ; Mirage III : 0.63), mais aussi parce que la traînée du Me 262 est près de 3 fois supérieure à celle d'un Dassault Ouragan (3 "fuselages" contre 1 seul). En plus :
    • Ces avions doivent disposer de systèmes bien plus efficaces pour se freiner, non seulement en l'air, mais aussi à l'atterrissage (=> aérofreins, jusque là employés uniquement sur les bombardiers en piqué).

    • Point 2, la forme élégante du chasseur Messerschmitt 262 conserve, en gros, la conception du Bf 110 de 1937. 
      • Mais le fuselage prend trop de place, pèse trop et son inertie se traduit par une certaine paresse dans les manoeuvre rapides. 
      • La sur-largeur inférieure du plancher, illustrée ci-dessous, avait pour but d'amélirer l'interaction aile-fuselage (évitant ainsi un raccord Karmann).
      • Par ailleurs, le volume de ce fuselage, à lui seul, en fait une cible bien repérable de loin.


    La largeur du fuselage est "confortable", un peu trop !


    • Point 3, les réacteurs n'ont encore aucune fiabilité. Ils travaillent à des températures très élevées (pour la technologie du moment), entraînant l'obligation d'employer de métaux très spéciaux, donc très rares. 
      • Malheureusement, ces métaux ne sont pas encore produits en Allemagne. On doit s'en passer, et la durée de vie d'un moteur va de 10 heures à 25 heures, suivant l'expérience des pilotes, comme au début de 1916.



    Réacteur JUMO 004 - Image NACA permettant de voir les 8 étages coaxiaux de ce moteur.



    • Point 4, Les réacteurs rejettent des gaz extrêmement chauds. L'équipe Messerschmitt ne s'en est pas préoccupé d'emblée (tout comme aussi les ingénieurs Britanniques qui construisirent le Supermarine Attacker, premier chasseur embarqué à réaction).
      • Elle a eu tort, parce qu'elle a été obligée d'en venir au train d'atterrissage tricycle après un an d'expériences désagréables (en particulier, des déclenchements d'incendies, qui étaient hautement prévisibles !). Il a donc fallu repenser la structure du Me 262, ce qui rajoute près d'un an de retard. 
      • A noter que ce fut de nouveau le cas, 55 années plus tard, avec le Lockheed F35 B.

    • Point 5, le carburant n'a rien à voir avec l'essence plus ou moins mâtinée de tetra-éthyle-plomb que, alors, tout le monde maîtrisait dans les armées aériennes du monde ! Il s'agit maintenant une huile très calorifique, probablement issue, au mieux, du charbon, voire du lignite. Dans ce dernier cas, je ne suis pas persuadé qu'il ait été produit avec toute la pureté nécessaire à la bonne sûreté des réacteurs.
      • D'après ce que l'on peut lire de nos jours, même à la fin de la guerre, en Avril 1945, la "simple" gestion de la manette des gaz était tellement compliquée que la vie du moteur pouvait se terminer instantanément en incendie à cause d'une manipulation un peu trop vive ! 
      • Il paraît surprenant que ce problème n'ait pas été résolu en 2 années d'essais en vol, alors même que l'avion était destiné à la chasse, discipline où la vivacité de réaction du pilote est strictement obligatoire.

    • Point 6introduire une arme révolutionnaire dans une quelconque armée peut se comprendre au tout début d'une guerre. Après une longue période de guerre, les soldats très expérimentés deviennent minoritaires (à cause de la sélection naturelle) et ils ont engrangé une énorme quantités de méthodes, mais la plupart sont  inadaptées à cette nouveauté.


    Le projet et ses étapes


    Les premiers travaux datent de l'Automne 1938. Le 1er vol (avec les réacteurs) du prototype fut réalisé le 18 Juillet 1942, 4  années plus tard. 

    Le premier vol d'un Me 262 de production eut lieu en Mars 1944.

    De la conception à l'entrée en fonction, près de six ans s'étaient écoulés. Cela signifie déjà que les solution aérodynamiques choisies n'étaient vraiment plus les meilleures.

    Bien sûr, le Me 262 est un avion fin mais, également, volumineux. 

    Il a une envergure de 12.60 m. Sa surface alaire est de 21.70 m².

    { Parenthèse : Tout le monde a trouvé bon de s'extasier sur son aile en flèche de 18.5°. 

    Curieusement, William Green n'en parle pas. Mais tout le monde sait que l'ingénieur Alexander Lippisch travaillait depuis plusieurs années sur des avions ou des planeurs disposant d'ailes en flèche à environ 20° et qu'il travaillait depuis 1939 à Augsbourg chez Messerschmitt (tout comme son pilote d'essai Heini Dittmar). 

    Leur but était de construire le chasseur fusée Me 163, qui présentait une flèche de 23.5°.

    D'après l'article de En. Wikipedia (de la fin Mai 2024), les ailes devaient être droites. 

    Mais la masse anormalement forte des réacteurs réels aurait amené à introduire la flèche de 18.5°.  

    Honnêtement, je crois d'avantage à l'influence de la compétence de l'ingénieur Lippisch qui avait réussi à faire voler son avion fusée à 1 003 km/h  à 4 000 m (Mach 0.84) le 2 octobre 1941. }

    La longueur du Me 262 est de 10.60 m et sa masse à vide est de 3 800 kg (donc faible). 

    Sa masse au décollage est de 6 475 kg (elle pouvait aller un peu au-delà de 7.150 kg).

    La charge alaire atteignait donc 298 kg. 

    L'avion décollait "normalement" en presque 1 300 m. 

    Il faut donc allonger toutes les pistes du Reich pour pouvoir décoller sans danger, cela signifiant de 1500 à 2000 m de piste (les autoroutes le permettaient très bien).

    Le plafond pratique était de 11 450 m, très faible en 1944.

    La montée à 9 000 m demandait un peu plus de 13 minutes, ce qui à quelque secondes près, est le temps du Nieuport 161 de 1938  (13'.48"), avec ses 860 Cv !!!, 

    Ce temps de montée souligne une fois de plus la faiblesse de son rapport poussée/poids.

    Donc, face à ses adversaires, il n'était pas toujours le meilleur, loin de là.

    Voyez : 

    Le Spitfire XIV Britannique volait à une Vmax 720 km/h à presque 8 000m.

    Sa masse à vide n'atteignait pas 3 000 kg puis passait à 3 600 kg au décollage, donnant une charge alaire de 160 kg/m² (la masse maximale absolue était 3 854 Kg). 

    Il décollait en 542 m à pleine charge. 

    Il montait à 9 000 m en environ 8 minutes.

    Sa course d'atterrissage était de 700 m.


    Le Bf 109 K, qui résultait d'une purification aérodynamique remarquable; pesait 200 kg de moins que le chasseur Britannique et était aussi rapide.

    Il s'envolait aussi bien

    Il montait à 10 000 m en 6' 42".


    Le chasseur Focke-Wulf TA-152 H, dernier chasseur à hélice du Reich, avait une surface alaire de 23.4 m².

    Il décollait en un peu plus de 400 m au poids de 4 600 kg, montait à 10 000 m en 13' 18" et son plafond était de 14 700 m

    Il démontrait une vitesse de 760 km/h à 12 000 m et un plafond d'environ 14 600 m. .. 

    C'était bien un chasseur de haute altitude mais pas véritablement un intercepteur.


    Le Messerschmitt 262 trahit son âge dès qu'il vole : Le premier de tous ses défaut  est l'énorme durée de son développement (à l'exact inverse du P 51 !). 


    Au combat

    Par contre, son armement déjà très puissant, va devenir encore plus puissant : Il est l'arme la plus efficace du moment pour détruire les bombardiers quadrimoteurs B 17  et B 24.

    Le canon MK 108 tirait avec une V0 trop faible (540 m/s) qui interdisait de tirer de loin. 

    Le MK 103, trois fois plus lourd, avait une V0 de 860 m/s qui lui aurait permis de tirer de plus loin.

    Le premier missile air-air fut le R4M non guidé, qui parcourait de 800 à 1500 m à 525 m/s.

    L'engin de 0.8 m de long et 55 mm de diamètre pesait un peu moins de 4 kg dont 0.52 kg de Torpex dans son ogive.


    Missile R4M



    Cette arme volait droit, personne ne pouvant alors guider un si petit missile.

    Le 18 Mars 1945 fut un grand jour pour la Jagdwaffe : 37 Me 262 attaquèrent un fleuve d'environ 1 200 forteresses volantes protégées par plus de 600 P 51. 

    Grâce aux 24 missiles air-air (R4M) porté par chaque avion (soit 888 missiles au total), les Messerschmitt détruisirent 12 bombardiers au prix de 3 des leurs.

     Vu le nombre des chasseurs US, les 3 Messerschmitt abattus semblent de peu de poids !

    Cette action est retenue universellement comme la plus représentative des capacités hors du commun de ce chasseur.


    Galland, dans son livre (les premiers et les derniers, traduit et édité par Yves Michelet), rapporte avoir attaqué avec 6  Me 262 une formation de 6 Martin Marauder qui furent tous descendus. (au prix de son propre avion, pendant l'atterrissage).


    Ce qui est particulièrement étonnant, c'est que de nombreux Me 262 ont été abattus à la suite de combats dont les récits se ressemblent tous et qui amènent le lecteur à penser que le chasseur Allemand manquait gravement de maniabilité, comme celui qui suit :



    J'ai copié cette photo sur l'excellent site, hélas non sécurisé,
    http://www.spitfireperformance.com/mustang/combat-reports/78-anderson-21march45.jpg

    Pourquoi ce manque de maniabilité ? j'ai trouvé plusieurs raisons évidentes :

    • Les commandes assistées n'équipent alors que le P 38, dans ses toutes dernières versions (elles multiplieront d'un facteur 4 ou 5 la rapidité de roulis de ce gros avion).
      • A 800 km/h, ces commandes auraient dû s'imposer !
    • L'empennage horizontal est de type classique (plan fixe + profondeur). Aux grandes vitesses, il eut été bien plus efficace d'avoir un système monobloc.

    Les grands pilotes d'Hitler se faisaient plus rares et ceux qui avaient survécu à de nombreux crashs n'avaient peut-être plus une capacité physique suffisante.

    Par contre, les pilotes Anglo-Saxons commençaient à bénéficier d'authentiques combinaison anti-G.

     

    Conclusion

    Employé en masse un an plus tôt, le Me 262 eut changé la donne contre la 8ème Air Force, avant que le général Doolittle les fasse escorter par des nuées de P 51 B puis D..

    La mise au point de ce Messerschmitt avait été trop difficile. 

    Toutes les gigantesques ressources consacrées à ce chasseur et à d'énormes canons de Flak auraient permis la sortie de milliers de TA 152 A puis C et finalement H, qui auraient pu casser tout aussi brillamment les gros bombardiers Alliés tout en ayant une bien meilleure capacité de combat contre les chasseurs US.

    C'est justement le faible nombre de chasseurs classiques qui à dévoré la Luftwaffe, Dieu soit loué !







    jeudi 4 avril 2024

    Le SE 2010 Armagnac aurait pu être le Globmaster Français (révisé le 16 - 05 - 2024 ***)

     

    L'Armagnac fut un avion étonnant : Grand et puissant, il était évidemment lourd.  

    Il pouvait cependant emmener 160 passagers.


    SE 2010 Armagnac des TAI (futur UTA) : un avion plutôt fin

    Long de 39.63 m, il avait une masse à vide de 30.4 à 46.5 tonnes (suivant la source). 

    Sa masse maximale au décollage était de 77.5 tonnes.

    La voilure avait une envergure de 48.95 m et une surface de 236 m².

    La charge alaire atteignait 280 kg / m², ce qui restait faible pour l'époque (le C- 124 contemporain accusait, lui, 360 kg / m²) .

    Son fuselage avait un diamètre de 4.70 m.

    Voila qui était considérablement plus vaste que celui des "grands avions à réaction" qui allaient lui succéder.

    Le Boeing 707 se "contentait" de 3.76 m (0.94 m de moins) pour pouvoir installer 6 sièges passagers par rangée. 

    Le sommet de la dérive culminait à 13 m au dessus du tarmac, ce qui devait poser problème pour entrer dans la plupart des hangers.

    La motorisation était assurée par 4 moteurs Pratt & Whitney R-4360-B13 Wasp Major de 28-cylindres qui donnaient chacun 3 500 Cv.

    La vitesse de pointe varie entre 580 à plus de 7 500 m pour le Wikipedia en Anglais, et 525 km/h pour la même encyclopédie mais en langue Allemande.

    La vitesse de croisière varie beaucoup suivant les sources, allant de 460 km/h (De. Wikipedia et Nl. Wikipedia), à 410 km/h (It.Wikipedia).

    La vitesse ascensionnelle était de 4.80 m/s, du même ordre que celle d'un bombardier Boeing B 29..



    Un (pas assez) long courrier ?

    Pendant les essais, il apparut que l'Armagnac n'aurait pas l'autonomie nécessaire pour franchir d'un seul coup d'ailes le trajet Paris-New York. 

    Toutes les sources convergent pour lui attribuer une autonomie de 5 150 km et non les 6 500 km nécessaires pour .éviter tout risque.

    Etait-ce une catastrophe ?



    Changer les moteurs ?


    Une solution existait potentiellement : Monter des moteurs plus puissants. 

    Après 1945, les moteurs à pistons étaient à bout de souffle. Leur rendement n'augmentait plus, l'évacuation des calories excédentaires devenait très difficile, les métaux employés atteignaient leur limite de résistance. 

    Nous savons, depuis 30 ans, que les moteurs à pistons du XXIème siècle sont bien plus brillants. 

    On doit cela à la généralisation de l'injection (directe ou indirecte) associée à la gestion électronique (puis informatique) de la combustion.

    Mais je ne suis pas sûr que de tels moteurs de 5 000 Cv soient actuellement réalisables.

    On aurait alors pu monter :

    • Des réacteurs (ce qui nous était alors impossible financièrement), 
    • Ou des turbopropulseurs de grande puissance. Mais ceux-ci n'avaient encore que peu de fiabilité.

    Donc ces solutions ne pouvaient pas être employées. Il fallait trouver une toute autre méthode.



    Traverser l'Atlantique en plusieurs étapes


    Pourtant, dans les faits réels, cela n'aurait entrainé aucune traduction ennuyeuse pour les passagers, parce que, dans les années 1950, le Lockheed Constellation, principal avion transatlantique (quelle qu'en soit la version), ne faisait quasiment jamais la traversée en un unique vol. 

    Par exemple, à l'été 1956, allant au Mexique pour assister à un congrès scientifique international, mes parents firent la traversée de l'Atlantique Nord en s'arrêtant successivement à Shannon (Eire), Reykjavik (Island), Gander (Canada), avant de se poser à New York (soit 4 étapes). 

    Ce trajet comportait donc 4  étapes, dont la longueur moyenne ne dépassait pas 1625 km !

    La vitesse moyenne d'un Constellation L-749  entre les vols Europe-USA poussés par le vent et ceux effectués contre le vent était de 420 km/h.

    La durée des vols transatlantiques contre le vent était de l'ordre de 18 heures (voire plus). 

    Les arrêts de ravitaillement étaient donc plutôt bienvenus pour détendre les muscle des passagers.


    Par ailleurs, un certain nombre d'incidents et d'accidents de Constellation se sont produits à l'atterrissage ou au décollage de ces étapes intermédiaires. 
    Ils confirment que la traversé en un seul vol n'était pas la règle.

    Ainsi, la mort de la violoniste virtuose Ginette Neveu et du célèbre boxeur Marcel Cerdan, ainsi que d'autres célébrités, disparurent dans l'accident du Constellation F-BAZN d'Air France aux Açores, à la suite d'une très grave erreur de navigation de l'équipage.


    Jouer sur le grand nombre de places disponibles ?

    Sachant cela, ma naïveté coutumière me pousse à penser que l'Armagnac aurait aussi pu sauver sa rentabilité en baissant nettement le prix du voyage et limitant le nombre d'étapes à seulement 2. 

    Il aurait alors fallu inventer la notion de vol charter, inexistant à l'époque.



    Jouer du volume transportable

    Par ailleurs, on voit bien qu'alors, personne n'a cherché à voir ce qu'aurait apporté ce large fuselage pour le transport rapide d'objets lourds et volumineux (dans ce dernier cas, en conservant le large fuselage de 4.70 m de diamètre). 

    Si le Blocus de Berlin était presque terminé quand l'Armagnac a commencé sa trop courte carrière, nous, Français, nous étions confrontés à des "événements de décolonisation" qui auraient dû nous poser la question de nos moyens d'évacuation comme celle de nos transferts militaires.

    Les USA avaient employé leur Douglas C 74 Globemaster pendant cette difficile période (qui vit un de ces avions, en 6 vols, transporter 113 tonnes de charbon ( = ~19 tonnes par voyage !usage, ce qui était pour le moins inattendu dans le transport aérien !). 

    Cet avion avait, lui aussi, une autonomie insuffisante et sa vitesse de croisière était très inférieures. 

    Ils le transformèrent en très gros avion de transport (masse max : 88 tonnes) à tout faire dans la version C124 Globemaster II (dont le fuselage avait une largeur de l'ordre de 4.20 m

    L'introduction d'un pont supplémentaire lui permettait d'emmener 200 passagers, la vitesse et l'autonomie augmentait. 

    Cela ne donna aucune idée à nos gouvernants…



    Regagner de la finesse

    Toujours dans un autre esprit, on pouvait réduire le diamètre du fuselage d'un seul mètre. 

    Le gain de surface aurait été de l'ordre de 60% de la surface initiale. 

    On en serait arrivé à peu près au format d'un fuselage de Boeing 707, avion que j'ai jugé personnellement très confortable.

    Dans ce cas, la traînée diminuait sans que l'habitabilité de l'avion devienne pénible. 

    Cela aurait permis une augmentation de vitesse ou une amélioration sensible de l'autonomie, suivant la solution choisie. 



    Attentat à la bombe 

    L'Armagnac était doté d'une structure particulièrement bien pensée par Pierre Satre. 

    Dans la courte carrière des seuls 9 exemplaires sortis, 3 ont connu des ennuis. Les deux premiers firent en tout 5 décès. 

    Le dernier problème arriva le 19 Décembre 1957 l'Armagnac F-BAVH, qui emmenait 96 légionnaires Français et 10 membres d'équipage, à Paris, avait été le théâtre d'un attentat à l'explosif.

    {Pour se venger du stupide kidnapping des 5 dirigeants de la révolution Algérienne (par nos militaires passant outre l'autorisation de l'autorité politique) le 22 Octobre 1956, une équipe du FLN Algérien introduisit au-dessous des toilettes de cet avion une bombe parfaitement réalisée.}


    Le F-BAVH survécut à l'explosion d'une bombe du FLN le 19 Décembre 1957


    Habituellement, ce genre d'action terroriste entraine la désintégration de l'avion et la mort de tous ses occupants, mais là, il n'y eut aucune victime. 

    Sur le site (http://aviateurs.e-monsite.com/pages/1946-et-annees-suivantes/attentat-a-la-bombe.html), Pierre MATHIEU, alors passager de cet avion, raconte :

    "Les moteurs de l'Armagnac ronronnent gentiment quand, tout à coup, une puissante déflagration retentit."

    "(...) les stewards et hôtesses de l'air courant dans l'allée centrale vers la queue de l'appareil avec des extincteurs à la main font disparaitre nos sourires pour faire place à une certaine inquiétude. À nos questions, aucun ne répond.

    "Pourtant l'avion continue son vol sans changement d'attitude ce qui me rassure, sauf qu'il fait maintenant un froid de canard dans la cabine..."

    "(...) Je réalise qu'il y a bien eu une décompression explosive mais sans connaître la raison. J'apprendrai par la suite que nous n'étions qu'à 10.000 pieds ce qui explique que nous n'ayons pas eu de problème respiratoire."

    "L'avion continue son vol comme si de rien n'était, puis au bout d'un certain temps, 1⁄2 heure ? 3⁄4 d'heure ? Il se pose en douceur. [NDR : Il semble, d'après d'autres sources, que l'atterrissage soit intervenu 90 minutes après l'explosion. On peut imaginer que ce délai ait été nécessaire pour être sûr que cette phase du vol ne risquait pas de se terminer en accident.]

    Sur le parking, on nous fait descendre de l'avion mais je ne reconnais pas Orly. 

    En marchant vers l'aérogare, j'aperçois une grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage un peu en avant de l'empennage. Pourquoi ? Toujours pas de réponse"

    "Enfin, une fois au chaud dans l'aérogare, on nous annonce que nous sommes à Lyon-Bron et qu'une bombe a explosé dans le compartiment toilettes. La brèche est énorme, je l'évalue à 2 m x 2 m. Heureusement, aucun élément de commande de profondeur ou de direction n'a été touché ce qui permit à l'avion de continuer à voler à peu près normalement."

    "(...).La vraie miraculée est l'une des hôtesses de l'air dont le siège était fixé sur la cloison des toilettes. Un passager l'a appelée au moyen de son bouton d'appel, elle s'est levée, a fait quelques pas, l'explosion s'est produite et son siège, ses affaires personnelles et le compartiment toilettes sont partis dans le vide. La baraka !

    L'Armagnac était vraiment un excellent avion, robuste et capable d'endurer les pires avatars... Il aurait mérité une meilleure carrière."                         

    J'ai repris l'essentiel de ce récit parce qu'il me parait illustrer la remarquable solidité de cet avion de même que sa grande stabilité. 



    Visite marquante


    J'ai eu la chance de visiter un de ces géants que notre pays allait sortir du service aérien. 

    C'était à Orly avec plusieurs camarades de classe en 1957, dont l'un, Jean-Pierre Cot, était le fils de Pierre-Donatien Cot, alors directeur d'Orly, lequel nous avait invité.

    J'avais déjà pris l'avion une douzaine de fois, en commençant par un "bombardier" dont je n'ai aucun souvenir autre que le récit que ma mère me fit. 

    J'ai ensuite connu le DC 3, puis le Bloch SE 161 Languedoc, le  DC 4,  le Bréguet  763 Provence.

    Mais, une fois dans l'Armagnac, j'avais troqué mon expérience des autobus volants contre celle d'un paquebot volant !

    Nous entrâmes après avoir grimpé un escalier situé en face de la porte avant.

    Dans mes souvenirs, il y avait deux zones non accessibles, chacune longue de 6 à 8 mètres et traversées par le couloir central dont je dirais qu'il devait avoir pas loin d'un mètre de large.

    La première zone commençait à la suite du poste de pilotage, la seconde après une première "salle" destinée au passagers.

    En sortant de la seconde zone fermée, le couloir central se poursuivait dans la seconde salle de passagers jusqu'au rétrécissement final de la cabine.

    La seul chose qui m'étonna fut que le plancher ne me semblait pas plat.

    Bien évidemment, je n'ai même pas pensé alors à poser la question. Peut-être l'avion devait-il partir à la casse ?




    Conclusion

    De nombreux facteurs ont provoqué l'échec de ce merveilleux avion. 

    Le commun des mortels vous laissera entendre que cet avion était périmé avant même d'avoir volé. 

    Mais ce point de vue ne résiste pas à une analyse sérieuse.

    Par contre, à cette époque, les vols transatlantiques étaient la chasse gardée des avionneurs US. 

    Nos hauts fonctionnaires ne semblaient jamais vouloir de matériel national. 


    Air France s'alignait. Peut-être n'avait-elle pas le choix.

    Pierre Satre, peu après, eut l'intelligence de sortir le SE 210 Caravelle, un moyen courrier pour les lignes intérieures Européennes. 

    Il réussit à en vendre 279, mais surtout, la disposition très originale de ses moteurs fut copiée universellement.

    Je peux témoigner que, en 1960, les pilotes de cette autre vraie merveille n'hésitaient pas à nous montrer la maniabilité de cet avion qui leur servait de jouet. 

    Moi, j'étais aux anges.