mardi 11 juin 2013

Le F-X, chasseur furtif Turc, et quelques considérations sur la stratégie, domaine qui intéresse peu de monde (actualisé 23 / 10 / 2022 ** *)

Un si pressant besoin de chasseurs ? 


Le 11 Juin 2013, Aviation Week & Space Technologie a publié un article qui interpelle.

Il y était annoncé que la Turquie se préparait à construire un chasseur furtif de "5ème génération" en complément de son achat de Lockheed F35 (la cible de Lockheed serait de 100 JSF, d'après A W & S T).

Il sera furtif, avec des formes polygonales inspirées du JSF et, suivant qu'il soit mono ou bimoteurs, sa masse maximale au décollage variant entre 22 à 31 tonnes.

Le projet d'avion n'étant pas figé, nous restons sur notre faim en ce qui concerne ses caractéristiques.

Néanmoins, il est intéressant que la seule firme citée clairement comme contribuant à ce projet est la multinationale SAAB, d'origine Suédoise, certes, mais en fait très fortement manœuvrée par la firme Anglo-Américaine BAE, elle-même très impliquée dans le fameux JSF.

En Septembre 2014, le comité pour l'Industrie de Défense Turque annonçait à Aviation Week que les discussions avec SAAB ne continuaient pas, probablement parce que cette société développait son Gripen.

Une approche plus prudente serait privilégiée maintenant. Un autre partenaire est donc recherché pour faire sauter certains verrous technologiques.

La Corée du Sud serait envisagée, mais je ne vois pas pourquoi le Japon serait écarté, vu l'existence de son ATD-X.

Un premier vol situé vers 2023 permettrait une brillante célébration du centenaire de la fondation de la République Turque par Mustapha Kemal.

Mise à jour de Juin 2019 : La maquette du TFX a été rendue publique il y a quelques jours.



TFX - Le Bourget, Juin 2019 - Un biréacteur furtif suivant les recettes de Lockheed-Martin.


L'engin est donné pour Mach 2, une masse maximale au décollage de 28 tonnes et un rayon d'action de combat de 600 nmi (un peu plus de 1100 km).
Il doit décoller en 2025.


Quelques implications

N'étant pas dans le secret des Dieux, loin de là, j'ai quand même quelques micro remarques à présenter.

A - Puisque la Turquie est présentée comme un client potentiel du JSF, que penser de cette volonté d'ajouter un chasseur furtif, éventuellement bimoteur, à la panoplie future de l'aviation militaire Turque ?

C'est là que je prend conscience de ma très regrettable étroitesse d'esprit, parce que cela m'apparaît uniquement comme un refus déguisé d'acheter la "merveille" de Lockeed-Martin.


B - Le gouvernement de Mr. Erdogan étant très en pointe dans le conflit Syrien, il est possible que cela puisse être une réaction directe à la volonté Iranienne de développer son Qaher 313, un chasseur furtif, bien sûr.

Cela peut avoir plusieurs significations, une qui pourrait être interprétée comme une action anti iranienne, l'autre qui peut être vue comme une volonté de démontrer la suprématie Turque sur le Proche et le Moyen-Orient. 

Une combinaison des deux ne peut pas être écartée non plus.

La brouille entre Israël et la Turquie peut aussi influer sur le problème, sachant que les USA ne choisiront pas la Turquie contre l'état Hébreu, pas plus que contre la Grèce.


C - La Turquie étant membre de l'OTAN, l'article de AW n'émet aucune interrogation sur la capacité des Turcs à porter ce projet jusqu'au bout. 

Je me souviens que notre ami Montaudran soulignait très justement l'importance de l'expérience s'étalant sur de nombreuses années et qui est absolument indispensable pour développer un chasseur moderne. 

Mais, à ma connaissance en tout cas, il n'y a aucune raison que les Turcs échappent à cette loi du genre plus aisément que les Iraniens.

Un des lecteurs Américains de AW s'y énerve et demande quel est le PIB de la Turquie. C'est amusant à plus d'un titre, mais sa question est compréhensible parce que les sociétés US font allègrement danser l'anse du panier, comme on le disait dans ma jeunesse. 

Mais ce n'est pas forcément aussi caricatural partout !


Questions stratégiques multiples


Micro-problème de définition

K. von Clausewitz, maître à penser de nombreux militaires du XXème siècle, définissait (en gros) la tactique comme ce qui règle les combats au jour le jour et la stratégie comme ce qui permet la victoire.

Ces définitions me paraissent avoir un peu vieilli. Oui, les batailles de Napoléon duraient de l'ordre d'une journée (la nuit permettant le décrochage des unités très mal en point).

Mais la Bataille de la Marne a duré 6 jours puis celles de Verdun et de la Somme durèrent plusieurs mois. 

Et si la Bataille de la Marne a enterré les espoirs de victoire rapide de Guillaume II contre la France (ce qui doit être vu comme une avancée stratégique majeure), elle n'a donné aux Alliés qu'un répit momentané.

D'un autre côté, la victoire de Bismarck contre la France en 1871 n'est pas le résultat d'une stratégie époustouflante : Elle a simplement alimenté la volonté Allemande de reprendre l'Alsace, coûte que coûte.

Et la victoire foudroyante de Hitler contre la France puis sa série de victoires contre l'URSS en 1941 n'ont débouché que sur une défaite ignominieuse.

Donc la victoire finale dans une guerre ne signe pas forcément une bonne stratégie.

Pourquoi ? Parce que la stratégie est autant politique que militaire.

Son but, me semble-t-il, n'est pas d'entraîner des guerres de cent ans à répétition, mais il est d'amener à gagner la Paix, donc à la faire accepter par tous.

Longtemps les Anglais ont été extrêmement brillants sur ce plan. 

Ils semblent moins performants ces derniers temps, parce qu'ils n'ont plus grand chose à offrir.

De Gaulle fut le seul véritable stratège Français de l'histoire récente de notre pays (pour moi, supérieur à Napoléon). 

Le traité d'amitié Franco-Allemand en est un élément facile à identifier, la Force Nucléaire de Dissuasion en fut un autre.



Vers quelle Paix du monde  Mr. Erdogan veut-t-il aller ?

Kemal Atta Türk, dur, impitoyable même, mais immense tacticien et stratège, avait réussi à créer la seule "ère Meiji" dans un Orient très majoritairement musulman. 

Il avait pris en compte beaucoup de réalités (mais pas toutes). 

Il n'a malheureusement pas eu le temps de finir son œuvre.

Sa Turquie est passée grâce à lui du statut d'Empire déliquescent à celui d'un pays puissant.


Son lointain successeur Erdogan ne partage pas du tout sa passion de la laïcité, loin de là.

Alors, veut-il reconstituer la Sublime Porte et a-t-il la volonté de reconquérir les éléments éparpillés de l'ancien Empire Ottoman ? 

Nombre de ses comportements tendraient à le prouver.

Veut-il unifier les sunnites sous son charisme ?

Il y a bien des tentations pour un homme politique. Certaines doivent être vues comme des pièges diaboliques.


Post scriptum

Cela me donne l'occasion de parler de la Syrie et de mon pays. 

Mr Assad est un dictateur : Ok. 

Son pays est en pleine guerre civile : C'est évident. 

Les guerres civiles sont de pures barbaries. Toujours. 


Notre président, Mr. Hollande, semblerait, à ce que racontent les journalistes, démangé par l'envie de ceindre la couronne de lauriers liée aux imperators romains. 

Mussolini, également socialiste, partageait aussi ce rêve. Ce fut un cauchemar.

Ce n'est pas un rêve approprié à notre situation, la Syrie n'est pas le Mali. Pas du tout.

Quelle Paix serait-il possible d'obtenir ?

Depuis que j'ai écrit ce post scriptum, le développement du terrorisme de Daesh a émergé au grand jour. 

Je constate que nos militaires doivent colmater les failles béantes ouvertes par la désastreuse conduite de la guerre de 2003 en Irak par un gouvernement US formé d'inconscients.

J'admire nos soldats.

Pendant ce temps-là, des populations civiles présentes depuis des milliers d'années sont soumises aux pires exactions.

La prochaine fois, il serait intéressant que nos plus puissants alliés tournent sept fois leur langue dans la bouche avant de se lancer en guerre. 

Ils ont bien attendu 3 ans avant de déclarer la guerre à l'Allemagne en 1917 et 2 années et demie avant de refaire la même chose en fin 1941 !

Grâce au commentaire d'un lecteur de l'excellent site OPEX360, j'ai découvert l'existence du "Quincy agreement" entre le président Roosevelt et le premier Roi d'Arabie Saoudite, Ibn Saoud, le 14 Février 1945.



Le President Franklin D. Roosevelt reçoit le Roi Ibn Saoud à bord du croiseur USS Quincy (CA-71), mouillé dans le Grand Lac Amer, en Egypte, le 14 Février 1945.


Par ce pacte, les USA ont offert une totale impunité et une protection indéfectible à la dynastie saoudienne sur tout le Moyen Orient en échange de pétrole.

Étonnamment, ils ne s'en sont pas vantés. 

Mais la destruction de l'Etat laïc Turc au profit d'un retour à l'empire Ottoman paraît avoir été un des nombreux buts de cette manœuvre.






8 commentaires:

  1. Ouaouh merci de me citer !! le début de la gloire ?

    Plus sérieusement voici mes remarques

    - Plusieurs pays que l'on dit émergeant ont des velléités de concevoir des chasseurs-bombardiers.
    * La Chine a son J20
    * La Corée parle du KFX en s'appuyant sur son expérience du T-50 Golden Eagle
    * L’Inde co-développe le PAK-FA et commence a recevoir ces TEJAS.
    * Le Japon (oui ce n'est pas un émergeant) parle aussi d'un projet.
    * enfin tous les pays acheteurs veulent des transfert de technologie.
    C'est donc un mouvement général de nations ayant accès aux hautes technologies et à un niveau de richesse suffisant pour se lancer dans le challenge.
    - Ce mouvement s'appuie sur le désire de monter en gamme et de développer un secteur porteur de technologie de pointe. Nous n'avons pas fait autrement !
    - La Turquie veut concevoir un appareil dit de 5eme génération, c'est normal les responsables ne vont pas dire qu'il veulent un vieux clou, soyons ambitieux ! mais veulent ils développer toutes les briques ?
    - L'article commence par le sous-titre "Besoin pressant de chasseur", mais le projet turque ne peut répondre a un besoin pressant ! Si effectivement ils se lancent dans le projet aujourd'hui c'est plus de 10 ans de recherche et conception. Pour reprendre l'exemple du TEJAS moins ambitieux le projet a été lancé en 1990, premier vol en 2001 et entré en service en 2013 !
    - Les turcs veulent aussi acheter 100 F-35 ce n'est donc pas une tentative de refus du chasseur américain. Cela pose d’ailleurs le problème des budgets concurrents...
    - L'aviation iranienne est aujourd'hui très faible dans sa composante avions, pour la DCA je ne sais pas. Son projet Qaher 313 "is a joke", je ne crois donc pas que le projet turc soit spécifiquement lancé contre un ennemi précis ou un événement particulier.

    Bon la Turquie veut un chasseur furtif dit de 5eme génération ce qui n'est pas absurde mais que le travail est gigantesque !
    - La propulsion, la Chine et tous ses moyens n'a pas encore de moteurs supérieurs à ceux d'une génération antérieure fournis pour les Sukhoi. L'Inde n'a pas réussi à mettre au point son Kaveri. La Turquie a t'elle les compétences dans les matériaux ?
    - Les systèmes, les USA galèrent sur le code informatique et pourtant ils ne manquent pas d'expérience ! et qu'en est-il des CDVE ?
    Et j'en oublie, je ne sous estime pas l’énergie des turcs et leur industrie civile et militaire (je crois qu'ils ont construit un char "Altay" remarquable) mais construire un chasseur c'est une autre histoire et ils n'ont pas d'expérience dans le domaine.
    Si j'ai une hypothèse à poser je dirais que les turcs ne pourront pas faire un chasseur 100% made in Turquie. Ils choisiront un moteur probablement américain et sans doute d'autres brique.

    RépondreSupprimer
  2. Merci de cette belle contribution.
    Je suis de votre avis sur la difficulté de la tâche pour les Turcs, mais je suis moins sûr que vous de leur volonté réelle de se payer 100 F 35.

    Ce qui réglerait le problème des budgets concurrents.

    D'accord, les briques commenceront par être étrangères.
    Nul doute que les moteurs soient US, je parierais même sur des GE F404, même s'ils rêvent probablement au GE F414.

    J'imagine que le radar sera probablement US, comme l'armement et les commandes de vol, quoique...

    Mais mon post avait pour but de poser la question : Cet avion est-il destiné à survoler des défilés ou à faire la guerre à un pays quelconque ? Dans ce cas, quel est le but réel des dirigeants Turcs ?

    RépondreSupprimer
  3. Soit cet avion 100% turc avec toutes les difficultés que j'ai cité soit il est conçu par les turcs avec des briques technologiques étrangères. Si c'est le second cas plus probable elles ne seront pas nécessairement "made in US" car sinon les USA se feront un plaisir de torpiller doucement mais sûrement le projet (cf le LAVI) et puis faire un 5eme gen avec des moteurs des années 80...

    Sinon pour répondre à la question du Pourquoi je sortirai de la dichotomie "Cet avion est-il destiné à survoler des défilés ou à faire la guerre à un pays quelconque " qui est trop réducteur. La France a t'elle construit le Rafale pour voler le 14 juillet où pour attaquer des pays, si la seconde hypothèse est la bonne alors chapeau bas aux décideurs des années 80 qui avaient prévu l'Afghanistan, la Libye et le Mali.
    Les buts réels des dirigeants turcs ? C'est facile ils sont proches de ceux des français: maîtriser des technologies de pointes et obtenir une prééminence diplomatique régionale... pour la technologie aéronautique cela nous a plutôt bien réussi pour la diplomatie...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si je puis me le permettre, nous avons de micro divergences :
      Les USA peuvent-ils faire en 2015 à la Turquie ce qu'ils ont fait à Israël dans la fin des années 1980 ? La période a changé, l'influence internationale d'Israël n'existe que parce que les USA le veulent, la Turquie, ces derniers temps, a beaucoup progressé de ce point de vue. Et Les USA ne peuvent se permettre, à mon sens, de trop fâcher l'allié Turc.

      Le Rafale s'inscrit dans une histoire qui est consubstantielle à celle de l'aviation.

      La firme Dassault dérive de la société Bloch, qui produisait des avions au début des années 30.

      La technologie de notre pays est excellente, c'est justement la raison qui pousse les USA à essayer de démolir le Rafale.

      Les Turcs, tout méritants qu'ils soient effectivement, doivent vraiment brûler les étapes pour être crédibles.

      J'ai encore le souvenir des crash des premiers exemplaires du Gripen, pour cause de commandes électriques de vol mal conçues...

      Supprimer
  4. Il s'avère que la démarche turque n'est pas isolée voir ce lien:

    http://psk.blog.24heures.ch/archive/2013/06/16/l-inde-prepare-son-avion-furtif.html

    Je note que l'Inde a une avance au niveau des moteurs avec le Kaveri qui a posé bien des problèmes mais qui leur a justement permis de se confronter à la réalité.

    Il est aussi amusant de voir que le F-35 qui avait selon certain de torpiller les projets européens n’empêche pas l'éclosion de nouveaux projets dans les pays émergeants.

    RépondreSupprimer
  5. Les USA voulaient effectivement la peau de Dassault comme ils ont eu la peau de toute une série d'entreprises d'armement de tout type de nations (cela avait commencé par le Canada !).

    Mais, justement, ce que vous remarquez est très pertinent : Au Moyen-Orient, si les Russes sont mal vus par les rois et les princes, les USA n'offrent qu'un chasseur ancien modernisé (F18) ou un bombardier annoncé furtif mais très poussif (vendu pour un prix exorbitant).

    Le Rafale - pensé pour la guerre chaude contre le Pacte de Varsovie - a vu, depuis longtemps, une cabale monter contre lui.

    Quand j'étais jeune, c'était le Mirage III qui recevait des coups de généraux et politiciens largement stipendié, déjà, par Lockheed qui a imposé à nos bons amis leur - vraiment - très mauvais F 104 Starfighter.

    Je comprends parfaitement que les Turcs et les Indiens refusent ce type de cercueils volants.

    Les USA disent vouloir acheter plus de 2000 JSF. Alors, oui, c'est une application de la théorie de Lanchester : Le nombre l'emporte presque toujours sur la qualité.

    Mais pour les autres, le nombre ne sera pas au rendez-vous... Alors autant jouer sur des valeurs sûres.

    RépondreSupprimer
  6. Décidément votre billet était bien dans l'air du temps car voici un autre post concernant le même sujet
    http://portail-aviation.blogspot.fr/2013/06/en-direct-du-bourget-quelques.html

    Il recoupe mon analyse
    - Le F-35 est bien le prochain achat à "court terme" ~2020-2025"
    - L'avion indigène serait plutôt lui pour 2025-2030
    - Il sera moins sophistiqué que le F-35, mais on s'en doutait (Un High-Low mix renouvelé?)
    - La grosse difficulté sera la motorisation, la configuration affichée d'un bi-moteurs est sans doute due à l'impossibilité de créé un moteur suffisamment puissant (Ceci dit l'option bi-moteurs a ses avantages)

    Par contre il semble que je me suis fourvoyé en pensant que les turcs s'appuieraient sur des partenaires étrangers (ne parlait-on pas de SAAB ?)

    Les années qui viennent nous diront si les turcs vont faire mieux que les indiens avec le Tejas.

    RépondreSupprimer
  7. Merci pour votre lien, qui m'a permis de voir aussi une vidéo passionnante sur le fameux ATLC de 2009.

    Le F-35 "proche" sera au standard 2, donc très loin des publicités qui ont permis de le vendre.

    Je suis persuadé que la mise en route du projet exigera des "conseillers" étrangers. Cela sera opaque, sans aucun doute. Mais la volonté Turque est évidente. Par rapport aux Indiens, ils partent plus tard, avec des données nouvelles. Mais l'Inde, nation spatiale, également puissance nucléaire, a déjà mangé son pain noir.

    L'expérience vient principalement des difficultés surmontées.

    RépondreSupprimer