vendredi 16 juin 2023

L'interview imaginaire (Révisée le 18 / 05 / 2024 *** ***)




Q - Bonjour Drix. Votre blog "l'aviation selon Drix" a passé, début Avril  2023, le cap du demi-million de pages lues. Qu'en dites vous ?

Drix - Les sujets que je traite ne sont ni simples ni amusants, c'est donc tout à fait acceptable. 

Q - Il est certain que vous ne cherchez pas à faire plaisir à vos lecteurs, à la différence des maîtres de la presse spécialisée dans les Warbirds. 

Drix - Eux cherchent juste à attirer des clients, qui sont vitaux pour leurs publications. 
Moi, je veux comprendre ce qui a conduit mon pays à la terrible défaite de Juin 1940. 
J'ai donc choisi un programme plutôt austère !

Au début des années 50, la guerre de 1939-1945 était dans toutes les conversations, mais on ne parlait jamais des avions Français, on ne parlait que des avions Britanniques ou US, et, bien sûr des avions de Hitler. Il a fallu bien du temps pour entendre parler des Mig 15, qui dominaient outrageusement le ciel de Corée.

Ce n'est que vers 1960, 15 ans après la Victoire, que les revues aéronautiques Françaises, comme Aviation Magazine, ont commencé à évoquer les avions de la Bataille de France. J'avais alors 15 ans. 

En 1950, nos pilotes d'essais étaient médiatiquement traités comme des demi-Dieux, mais leurs accidents étaient fréquents (Paul Boudier, Constantin Rozanoff, Charles Goujon, etc). 
Parfois, ils prenaient des risques inutiles, parfois les avions posaient des problèmes aérodynamiques ou structurels difficiles à résoudre à cause de l'insuffisance des connaissances du moment (en tout cas chez nous). 

Q - Parmi vos 186 articles publiés, quel est le plus consulté ?

Drix - Incontestablement, c'est celui concernant le Bloch MB 157, qui a attiré plus de 10 000 vues.

Q -  Il ne manquait à cet appareil qu'une hélice pour s'envoler fin Mai 1940, 
Vous lui attribuez des performances exceptionnelles qui lui auraient encore permis de jouer un rôle important en 1945. Ce n'est pas vraiment pas sérieux, dites-moi ?

Drix - J'ai consacré un article à cet avion, d'abord parce qu'il a réellement existé. 
Je l'ai découvert dans un ouvrage de poche de William Green (Fighter 1) consacré aux chasseurs Français et Allemands de la Seconde Guerre Mondiale.

Q - Mais vous n'apportez pourtant pas la preuve que cet avion ait réellement volé et encore moins qu'il ait volé aux vitesses que vous dites ! 

Drix - Vous disposez de plusieurs photos authentiques de cet appareil aux couleurs du Reich nazi. Manifestement, elles ont été prises sur un aérodrome. Donc il a volé. 

La contestation élevée contre le Bloch 157 est surtout venue des USA. 
Dans ce pays, les afficionados pensent qu'un avion ne peut être rapide que s'il est animé par un moteur très puissant.
 
En France, au début des années 20, la lutte pour le record de vitesse, avait introduit une rivalité féroce entre les marques aéronautiques.

Il s'en suivit une lutte très intense contre la traînée, parce que nos gouvernements d'après 1919 manquaient d'argent et asséchaient les finances de nos motoristes par des impôts insensés, soi-disant pour punir les "marchands de canons", agissant ainsi comme nos rois l'avaient fait contre les Templiers ou contre les Juifs

Mais, cette fois, la Monarchie n'y était pour rien, c'était juste la Gauche, celle qui se prétend de gouvernement. 
Du coup, il fut très difficile de disposer de moteurs puissants pour lutter contre Hitler.

La course vers une meilleure aérodynamique fut, dans les années 30, encore exacerbée par les courses instituées par la Coupe Suzanne Deutsch de la Meurthe, qui interdisaient les moteurs de plus de 8 litres de cylindrée. 

Les courses de vitesse US au début des années 30 étaient gagnée par des avions disposant de moteurs dévelloppant de 800 à 1000 Cv.



Le GeeBee : L'aérodynamique US associé au PW Wasp de 800 Cv (1.31 m de diamètre).
Un avion qui collectionna les victoires. Mas il demandait des réflexes ultra-rapides.



 En France, nous nous contentions de puissance bien inférieures (moteurs de 8 litres de cylindrée d'enviiron 400 Cv), pour voler au moins aussi vite.

Cette attitude de négation de l'Aviation Française de la fin des années 30 illustrait aussi la volonté Américaine de cette période de détruire l'URSS pendant qu'il en était temps, donc en alliance objective (et secrète) avec Hitler, dont la Wehrmacht promettait d'être exceptionnellement efficace. 

C'était, en tout cas, un consensus partagé par le roi d'Angleterre Edouard VIII (futur Duc d'Edinbourg) et sa fiancée, Mrs Wallis Simpson.

Mes lecteurs qui tombent sur des archives Anglo-Saxonnes de cette époque pensent donc que notre pays était alors techniquement sous-développé. 

Ils auraient alors intérêt à lire ce que déclarait Mr Theodore von Karman, aérodynamicien qui dirigeait le NACA peu avant la guerre :
Il était très satisfait de voir que les ingénieurs aéronautiques Français s'informaient avidement des travaux de son comité (le NACA). 
Par contre il regrettait amèrement que ses compatriotes US n'en fassent presque rien.

Q - Vous pensez réellement que les avions US étaient aérodynamiquement moins bien conçus que les avions Français ?

Drix - Pas en 1932-34. Mais, en 1938-1939, les USA vendaient le Seversky P 35 (470 km/h) et le Curtiss P 36 (487 km/h). 

Certes, ils sont plus rapides que le MS 406 (ce qui n'est en aucun cas un exploit) mais ils restent très inférieurs au Nieuport 161, en particulier en vitesse ascensionnelle et en plafond. 
Le Bloch 152 est aussi rapide qu'eux mais considérablement mieux armé et le Caudron, aussi rapide, est plus manœuvrant.

Q - Enfin, annoncer 710 km/h pour un avion de 1940, vous paraît-il vraiment raisonnable ? 

Drix - Mr. W. Green a rapporté une information d'origine Germanique qu'il a obtenu soit de documents Allemands, soit de PV d'interrogatoires d'officiers Allemands. 

Je vous fais remarquer que les Wikipédia dans les langues d'Europe de l'Ouest ne contestent pas la réalité des faits.

J'ajoute quelques éléments du contexte : Lorsque Bloch sort son premier chasseur, en 1936, le MB 150, celui-ci est incapable de décoller. Soyons clairs, tel quel, cet avion est nul

En 1937, cet avion vole enfin au prix de très importantes modifications. 

Il réalise à peu près la vitesse du Morane 405 avec une puissance de plus de 900 Cv, mais il est incomparablement moins efficace qu'un Caudron CR 710 qui vole à 460 km/h !

A la mi-38, le Bloch 151 volait juste à 450 km/h et Michel Détroyat le considérait totalement inapte aux missions de chasse. 

Ce très grand pilote préconisait, à juste raison, l'emploi du Nieuport 161.

En  Décembre 1939, le Bloch MB 152 de série, avec 2 m² de voilure en plus  associée à une puissance de 1050 à 1080 Cv vole mieux et atteint les 482 km/h. 

A l'évidence, il ne vaut toujours pas le Nieuport 161.

Une cinquantaine des derniers MB 152 livrés voleront à un peu plus de 500 km/h pendant la Bataille France.

En Mai 1940, les premiers MB 155 volent à 535 km/h avec le moteur 14 N 48 de 1070 Cv entièrement re-capoté. Une vitesse de 550 est obtenue au CEMA.

Q - Et alors ?

Drix - Alors, je vous prie de constater que Marcel Bloch et ses ingénieurs sont, en trois ans, passés d'un MB 150, totalement inapte à la Chasse, à un niveau comparable aux meilleurs des meilleurs mondiaux. 
Alors, en ajoutant un moteur réellement puissant, un compresseur bien dessiné (par Farman) et des perfectionnements aérodynamiques, vous obtenez un chasseur de qualité excellente, y compris à haute altitude. 

Ce saut qualitatif n'a rien à voir avec les minables bricolages tentépar Morane-Saulnier en 1940 (soit 4 ans de retard) sur le MS 410.

Q - Dois-je en conclure que vous pensez que les performances du Bloch 157 doivent être considérés comme réellement vraisemblables ?

Drix - Absolument. 
D'autres arguments de bon sens annulent l'essentiel des attaques US. 

Les gros chasseurs Hawker Tempest II et V (700 km/h) peuvent difficilement apparaître comme des chefs d'œuvres en matière de finesse aérodynamique, même s'ils démontrent une bien meilleure prise en compte des problèmes de compressibilité que sur le Typhoon !

Les moteurs Britanniques Bristol Centaurus, en étoile, ont un diamètre de 140 cm et leurs ailes ont une envergure de 12.50 m. 

Donc leur traîné est bien plus élevée que celle du MB 157, même s'ils ont des surfaces parfaitement lisses.

En plus, leur masse au décollage est de 6 400 kg tandis que la masse du MB 157 (3 300 kg) dépasse à peine la moitié de cette valeur.

Les moteurs Napier Sabre V, montés sur le Tempest V (comme sur le Typhoonsont certes moins encombrants mais leurs radiateurs sont loin d'être un modèle du genre (no more comment)

Ce dernier avion a même des ailes plus épaisses (14%) que celles du Bloch (13 %).

Le seul chasseur US à démontrer une vraiment belle aérodynamique est le North American P 51.

Maintenant, si on regarde la suite de l'histoire, après 1945, les anciennes marques chouchous du CEMA (Morane-Saulnier et Arsenal) de 1937 a 1940 s'en sortent très mal, Bloch devient le meilleur et le seul autre chasseur regretté fut le Centre 1080. 


Q - Quel avion arrive en seconde position dans le nombre de lecture de votre Blog ?

Drix - C'est le Nieuport 161, qui a dépassé les 8 500 vues, ce qui ne vous étonnera pas. 

Il précède un peloton de 3 avions où le Dewoitine 520 (7 700 vues) est suivi du Morane 406 puis du Bloch 152, qui sont distancés de quelques centaines de vues

Q - Pour en revenir à 1939-1940vous regrettez l'équipement de la Chasse Française par 570 Morane 406

Vous estimez cet avion de chasse comme très médiocre. Pourtant, il avait passé haut la main les épreuves du CEMA !

Drix - Cela suggère, à tout le moins, que les juges du CEMA étaient loin d'être aussi rigoureux qu'ils auraient dû l'être. 

Les mesures de performances n'étaient jamais réalisées par des pilotes du CEMA, mais par les pilotes des constructeurs. 

Par contre, nos ingénieurs-pilotes prenaient de l'ordre d'une bonne année pour mener à bien les essais de stabilité, alors que les pilotes d'essais définissaient cela en deux ou trois heures (commentaire de Zacharie Heu à l'ingénieur Deplante de chez Dassault).

L'analyse des hautes performances ne passionnait donc pas du tout nos décideurs. 

Q - Vous ne pensez quand même pas que la défaite Française soit uniquement due aux insuffisances de notre aviation de chasse ? 

Drix - Notre défaite fut  causée par un nombre très limité de raisonnements militaires et diplomatiques mis en œuvre par nos gouvernants pendant les vingt années séparant 1919 et 1939. 
Ces raisonnements niaient d'emblée l'importance fondamentale de l'Aviation que nous avions pourtant démontrée en gagnant, grâce à elle, la Grande Guerre ! 

Nous avions alors développé à très grand frais :
  • Des copies tricolores de la Gross Bertha et portant à 120 km, 
  • Une puissante marine qui nous valait l'opposition virulente des pays Anglo-Saxons qui se débrouillèrent systématiquement pour que le chef de la France Libre ne puisse jamais en disposer. 
  • Dans notre marine, très peu d'officiers supérieurs avaient cru aux expérience de Bill Mitchell. Ils préféraient croire dans la pérennité des cuirassés, tombant dans le panneau de Franklin D. Roosevelt !
Du coup, cette marine de Georges Leygues n'a employé aucun des concepts modernes de l'époque, privilégiant le canon et la rapidité de nos navires en faisant l'impasse sur l'avion comme sur l'électronique qu'elle avait pourtant largement contribué à développer.
 
Pire encore, le sous-marin Surcouf, par ses caractéristiques démesurées comme par son nom, réactivait la terreur des corsaires

Après la prise du pouvoir d'Adolphe Hitler, nous refusions encore de préparer nos soldats à s'adapter rapidement à toutes les formes de combats imaginables, tandis que l'armée Allemande, elle, y avait été minutieusement préparée (hydrophone et ASDIC).

En 1940, pour des économies de bout de chandelle, nos chars légers étaient encore contraints d'employer un canon de 37 mm de 21 calibres (V0 = 370 m/s).
Ils étaient donc incapable de percer les chars adverses sans s'en approcher exagérément. 

Ce canon, datant de 1917, aurait dû être remplacé par son cousin de 33 calibres qui avait une vitesse initiale de 700 m/s. Celui-là fut employé seulement sur les chars construits en 1940 !

Face à l'immense majorité des Panzer I, II et III, nous aurions eu un impact totalement différent.

Dans le ciel, le Nieuport 161 nous aurait beaucoup mieux protégé que le Hurricane Mk I.

Q - La maîtrise de l'air n'est quand même pas si fondamentale que cela, tout de même !

Drix - Je vous arrête tout de suite. 

Stratégiquement, que vous lanciez une attaque ou que vous soyez attaqué par l'ennemi, vous devez absolument disposer de la maîtrise du Ciel. 
Cela a été compris par Pétain à Verdun

Pourquoi croyez-vous que l'Ukraine pleure pour des F 16, à votre avis ?

La Chasse est le seul outil apte à décider de la maîtrise du Ciel : Les chasseurs sont les seuls avions qui peuvent entrer en premier dans l'espace aérien ennemi. 

Confrontés à des bombardiers adverses, eux seuls peuvent les anéantir. 

Bien sûr, la DCA peut et doit seconder la Chasse. Mais, à l'instant T, elle reste vissée sur place.

Q - Nos bombardiers n'auraient-ils pas dû attaquer en priorité les bases aériennes de l'adversaire ?

Drix - C'était loin d'être leur travail le plus urgent ! 

Lorsque vous subissez l'attaque de toute une armée, vos bombardiers doivent bloquer les voies d'accès à votre territoire, et en particulier, toutes celles menant directement à vos forces. Vous devez, en priorité, détruire les ponts et les routes. 

Mais votre suggestion fut suivie par Hermann Goering qui, en Mai 1940, fit bombarder tous les aérodromes continentaux alliés. 

La plupart du temps, les résultats furent médiocres, au prix d'une centaine de bombardiers.

Q - Le général Italien Douhet avait préconisé la neutralisation des bases aériennes par des bombardements !

Drix - Théoriquement, il avait raison.
Malheureusement, il avait choisi le mauvais vecteur, le bombardier le plus puissant possible, juste parce que Douhet avait transposé mécaniquement les concepts issus des combats navals, recréant la victoire de l'amiral Suffren à La Praya (qui avait inspiré Nelson à Aboukir). 
Certains lobbies US restent encore  proches de ce rêve tactique. 
Mais les avions ne travaillent pas de cette manière, ou alors ils perdent leur efficacité.

Q -  Alors, comment concevez-vous le bon combat ?
 
Drix -  La science expérimentale a constitué une grande part de ma vie
Dans cette discipline, on s'attache aux faits réels. 
Et le premier fait réel, c'est que la maîtrise du ciel est capitale pour toute opération militaire. 
Elle consiste d'abord en une série d'opérations de nettoyage des zones frontalières. 
Cela impose de surveiller les zones à risque avec des avions chargés de la reconnaissance offensive, évidemment surveillés jalousement par notre chasse. 
Certains débats qui ont lieu de nos jours (2023-2024) insistent sur l'aspect décisif d'une chasse puissante.

Q - Vous dites que la Campagne de France se serait déroulée bien différemment si  notre aviation avait été équipée du Nieuport 161, strictement contemporain du MS 405
La plupart des autres auteurs ne vous suivent pas. Ils pensent que vous vous excitez sur un simple détail tactique et rappellent que bien d'autres problèmes ont provoqué notre défaite.

Drix - Ils se trompent. Si Pétain est connu pour sa brillante défense de Verdun, c'est que, dès son arrivée, constatant qu'il ne savait rien des positions Allemandes sur le champ de bataille, il a exigé la maitrise du ciel et l'a obtenue en multipliant les escadrilles de Bébé-Nieuport qui ont liquidé les Fokker Eindecker. Ces derniers avaient détruit l'essentiel de nos ballons d'observation. 

Ceci fait, Pétain a pu établir ses routes, améliorer ses liaisons ferroviaires, organiser la relève des troupes, faire venir le ravitaillement, l'artillerie lourde et les munitions. 
C'est l'Allemand qui ne voyait plus rien.
Pétain est donc le seul vrai créateur du concept de maîtrise du ciel parce qu'il l'a reconquise, alors même que la Bataille de Verdun illustre, simultanément, l'immense valeur de l'artillerie et de l'infanterie.

L'efficacité de la Chasse repose en grande partie sur l'avantage que lui apporte la maîtrise des hautes altitudes. 
Ceci a été parfaitement illustré par le palmarès stupéfiant de René Fonck en 1917-1918. 

En 1940, 3 exemples situations caractéristiques illustrent le problème posé à nos pilotes :
  • Un groupe de bombardiers ennemis vole à 350 km/h et à 4 500 m d'altitude en direction d'une de nos usines ou d'un camp militaire Français ou Allié. Pour éviter les destructions chez nous, nous devions les attaquer bien avant qu'ils soient sur leur objectif.
  • Un avion-espion ennemi passe à 7 000 m pour photographier notre dispositif : Il faut l'abattre avant qu'il ait pu ramener ses photos à l'état-major ennemi.
  • Un chasseur ennemi arrive par derrière vous, il va vous tirer dessus dès qu'il sera à portée : Vous devez grimper plein gaz pour l'empêcher de vous descendre tout en montant le plus haut possible. Si votre avion monte mieux et plus haut que celui de votre ennemi, vous pourrez le descendre, car, lorsqu'il arrivera à son plafond, il va décrocher durement au moindre virage et entamera une vrille.
Dans ces trois cas, la mission n'est réussie que si notre chasseur grimpe plus vite que les avions de ses adversaires

Q - Mais le Morane 405 ne montait pas si mal, on a des chiffres de 5' 59'' pour la montée à 4 000 m, ce qui était justement la valeur maximum acceptée par le programme de 1934. 


Drix - Votre remarque est juste et j'ai mis du temps à comprendre la différence entre notre ressenti et les valeurs publiées dans les souvenirs et écrits postérieurs à l'armistice scélérat du 25 Juin 1940.
 
Avant son entrée au CEMA, le Morane 405 avait une masse au décollage de 2 240 kg, était doté d'une voilure presque parfaitement trapézoïdale de 18 m² de surface
C'est cet avion qui a réalisé la montée à 4 000 m en 5' 59''. En 1941, les Finlandais mesuraient le temps d'arrivée à 5 000 m : 10 minutes. Voilà une sacrée différence !

Le faible poids initial venait du fait que son réservoir d'essence n'avait qu'une contenance de 320 litres. 
{Explication : Au banc d'essai, le moteur 12 Y 31 consommait 160 litres d'essence par heure de vol à 2400 t/m, donc plein gaz. 
L'équipe de Morane avait juste oublié que la traînée de la cellule du MS 405 ajoutait un supplément significatif de traînée, donc de consommation !

La vitesse de pointe de cet appareil ne dépassait pas 435 km/h. 

Partant de cette constatation, la voilure fut effilée (ce qui fut obtenu par la suppression d'une bande triangulaire sur chaque extrémité de voilure, depuis les mitrailleuses jusqu'à l'apex). 

Mais, en même temps , l'avion récupérait aussi un réservoir supplémentaire fixe de 90 à 100 l monté en série sur le réservoir d'origine. 
 Le Morane reçut aussi d'autres "améliorations" qui allaient faire monter sa masse d'abord à 2 600 kg, puis à 2 740 kg. 

Dans ce dernier cas, la charge alaire passait de 124 kg/m² (comme le Spitfire Mk I) à 160 kg/m².

La vitesse augmenta bien un peu (450 km/h) mais la vitesse ascensionnelle se dégrada fortement.
Cette faiblesse du MS 406 en tant que chasseur fut révélée par nos pilotes survivants dès après l'armistice, mais plus sûrement encore, par les pilotes Finlandais.


Q - Mais ces critiques n'étaient pas forcément justifiées, nos pilotes n'avaient pas forcément le niveau requis en voltige, il m'est revenu que certains commandants de groupes ont fait, après l'armistice de 1940, des rapports critiquant les capacités de nombreux pilotes en ce domaine.


Drix - J'ai lu le même papier que vous, mais la défaite d'un pays est, avant tout et simultanément, de la responsabilité des dirigeants militaires et des politiciens : 
  • La critique sur l'insuffisante capacité en voltige n'apparaît dans aucun jugement étranger émis par nos meilleurs adversaires, bien au contraire (relisez Les premiers et les derniers d'Adolphe Galland). 
  • Quand les pilotes ennemis descendent nos MS 406, ils mettent toujours en cause la lenteur de cet avion.
Nos pilotes n'étaient pas seuls à constater la faiblesse de cet avion, les journalistes de Flight International soulignaient, dès 1938, que le MS 406 était bien plus lent que le Hurricane. 
Ils estimaient le Morane incapable d'approcher les fatidiques 300 mph (484 km/h).

L'obsession de l'état major de l'Armée de l'Air pour remplacer ces avions par des D 520, des Curtiss H 75 ou des Bloch 152 en est une confirmation. 

Q - Mais le Morane volait à 486 km/h et le Nieuport allait même moins vite !

Drix - Les 486 km/h, voire plutôt 483 km/h, seul donnée fiable, ne figurent que dans l'article de Gaston Botquin dans son article du Fanatique de l'Aviation # 101, de 1978. 

Le 405-02 de 1937 avait, sans aucun doute, reçu un moteur 12Y29 et était alimenté en essence à 100 d'octane, qui fut refusée au MS 406. (Les USA étaient la seule source de tétra éthyle plomb et s'enrichissaient grassement avec sa vente.)

La presse spécialisée des années 1936 à 1939, bien qu'extrêmement professionnelle, n'a jamais publié ces 483 km/h, elle avait juste évoqué l'espoir du constructeur de passer un jour les 480 km/h. 

Curieusement, Louis Bonte, dans son livre posthume sorti en 1974, publie une vitesse de 435 km/h. 

Plus loin, il dit que cet avion a réalisé plus tard les performances contractuelles (donc 450 km/h), mais il n'ose même pas avancer une valeur précise. Ce n'est vraiment pas très professionnel.

Q - Quelle était la vitesse de pointe exigée ?

Drix - Elle était seulement de 450 km/h (alors que, 2 mois après avoir spécifié cette donnée, on exigea que nos bombardiers B 4 démontrent au moins 470 km/h !). 

La vitesse de 450 a donc bien dû être réalisée par le Morane, voire, pourquoi pas, avec un bonus d'une petite dizaine de kilomètres/heures après vernissage soigné associé à l'emploi d'essence à 100 d'octane (Jean Accart donne une vitesse de pointe de 460 km/h - in On s'est battu dans le ciel, Artaud, 1945). 

Pour mémoire, nos pilotes de Curtiss étaient très agacés par la faible vitesse opérationnelle démontrée par les Morane 406 avec lesquels ils devaient voler en groupe, alors que la vitesse de pointe officielle de cet avion était annoncée identique, à 1 km/h près, aux 487 km/h de leur monture.

Q - Et le Nieuport ?

Drix - Le Nieuport 161, lui, avait déjà réalisé 480 km/h en 1936, à comparer aux 435 km/h du MS 405 strictement contemporain. c'était déjà une marge de supériorité de 45 km/h en faveur du Ni 161

A l'Eté 1938, avec une hélice plus sophistiquée, probablement une Hamilton disposant d'une excursion angulaire de 20 à 25° entre le petit et le grand pas, le Ni 161 volait, en pointe, à 496 km/h, à 4 000 m donc, en réalité, à 500 km/h (fiche OFEMA).
Cette vitesse était donc d'au moins 45 à 50 km/h plus rapide que la meilleure vitesse plausible du MS 406. 

Q - Mais enfin, 45 km/h, cela ne compte pas vraiment, surtout quand les avions ennemis les plus rapides sont moins manoeuvrants.

Drix -  Permettez-moi de vous contredire. Concrètement, 45 km/h, c'est une différence de 750 m par minute. 
Cela veut dire que les balles de mitrailleuses de l'ennemi qui vous poursuit ne vous feront rien si vous arrivez à tenir les 30 prochaines secondes. 
Avec cet avantage de vitesse sur votre adversaire, vous rattrapez 4 km d'écart en 5' 20".

Lorsque les Allemands choisirent leur chasseur standard, ils avaient confronté le Heinkel 112 qui volait à 440 et le Messerschmitt 109 qui volait à 473 km/h. 
Ils choisirent le Messerschmitt parce qu'il volait 33 km/h plus vite que le He 112 bien que ce dernier ait été plus manœuvrant et qu'il ait eu une autonomie bien supérieure.

Q - A vous entendre, le Heinkel 112 aurait été mieux adapté que le Bf 109 à la Bataille d'Angleterre ! 

Drix - C'est très probable. Mais, pendant une guerre, on traite les problèmes séquentiellement. 

L'importance du temps est un élément essentiel de toute guerre.

En 1935, Hitler ne peut combattre la France qu'avec ses Heinkel 51 et ses Arados 58 qui volent à 350 km/ mais n'ont pas de compresseurs, donc, une fois en altitude moyenne, ils perdent de la vitesse. 

Face à cela, il y a des Morane 225 périmés, des Dewoitine 500, des Spad 510 (qui volaient encore en 1940) et des Loire 46.

Au début de 1936, 3 prototypes de chasseurs Français modernes démontrent leur efficacité pour l'époque :
  • Le Nieuport 161, vole 480 km/h et monte à 8 000 m en 12 minutes.,
  • Le Loire 250, 480 km/h, 
  • Le CR 710, lui portant 2 maquettes de canons de 20 mm, finit par passer 457 km/h. Il monte à 8 000 m en 18 minutes malgré sa charge totalement anormale. 
    • Débarrassé de ces canons au profit de 2 mitrailleuses de 13.2 mm, il eut gagné de l'ordre de 20 km/h en pointe et près de 3 minutes pour monter à 8 000 m
  • Le MS 405 reste bloqué à 435 km/h. 
  • En Allemagne, le Bf 109 B vole à 450 km/h et monte à 6 000 m en 10 minutes.
  • Au Royaume Uni, le Hurricane vole à 490 km/h et monte à 6 000 m en près de 10 minutes. 
    • Le Spitfire n'est alors qu'un fantasme, parce que R. Mitchell, son concepteur, est à sa dernière extrémité et que les dirigeants de Vickers ont d'autres priorités.
  • Aux USA, le P 36 vole à 487 et le P 35 à 470 km/h.
Deux années plus tard : 
  • le MS 406 a atteint, mais toujours pas dépassé, les 450 km/h (il y restera jusqu'à la fin), 
  • le Loire 250 a été bloqué 2 ans dans un hangar malgré ses 480 km/h, 
  • le Caudron 713  est passé à 470 km/h. 
  • le Nieuport 161 démontre 496 km/h à 4 000 m (altitude qui est loin d'être la plus favorable à sa vitesse) et monte à 8 000 m en moins de 11 minutes quand le MS 406 n'est toujours pas à 6 000 m !
  • Le Messerschmitt 109 Dora vole alors à 470 km/h et monte à 6 000 m en un peu moins de 10'. 
    • Le Bf 109 Emile, renforcé de 300 Cv, passe les 560 km/h pendant 5 minutes (ensuite, il ne doit pas dépasser 520 km/h pendant 15 minutes) et grimpe à 8 000 m en 13' 35''.

La Bataille d'Angleterre n'a existé que parce que les armées Belge, Britannique et Française avaient été défaites en France. 

Les avions de chasse Français (MS 406, Curtiss, Bloch) et Britanniques (Hurricane Mk I) ont tous été battus par le Bf 109 E.

La raison en était qu'aucun de ces chasseurs ne dominaient le chasseur Allemand au niveau de la vitesse ascensionnelle et du plafond. 

Q - Le Dewoitine 520, quand même, s'en est plutôt bien tiré, lui !

Drix - Le D 520 de série montait un peu moins vite que le Bf 109 jusqu'à 4 000 m, ensuite il montait plus vite. Il tournait nettement mieux à grande vitesse. Mais nous nous éloignons du sujet. 

Q - Qu'aurait donné un match Nieuport 161 / D 520 ?

Drix - Il faut savoir de quel type de D 520 on parle. Le D 520 de 1938 volait à 480 km/h, exactement comme le Nieuport de 1936.

A Noël 1938, il était proche de 500 km/h et, en Février 1939, aidé par ses échappements propulsifs, il volait entre 525 et 530 km/h et montait à 8 000 m en un peu moins de 14 minutes

Celui de Mai 1940, plus puissant et optimisé, atteignait 540 km/h et prenait 13' 25" pour monter à 8 000 m.

Le Ni 161, en fin 1938, volait à presque 500 km/h à 4 000 m. Il aurait facilement passé les 520 km/h avec des échappement propulsifs. 

Surtout, il grimpait à 8 000 m en 10' 53" soit 2' 20" plus vite que le D 520 de 1940.

Dans toute façon, quel que soit le moteurle D 520 était déjà dominé en vitesse ascensionnelle et en plafond par le Nieuport 161-01 dès 1936 et, bien sûr, encore plus par le 03 de1938. 

Le Nieuport 161 étant de 300 à 400 kg plus léger que le Dewoitine (2 750 kg), il virait donc certainement plus court que lui. 

La surface alaire un peu plus grande du D 520 (16 m²) et ses 20% d'épaisseur relative d'ailes ne rattrapaient pas ses excédents de poids, d'autant plus qu'ils entrainaient des décrochages bien plus violents.

Par contre, la capacité de piqué était probablement meilleure pour le Dewoitine, puisqu'il était construit suivant une norme plus solide.

Q - Et la comparaison avec le Spitfire?

Drix - Le Spitfire initial vole à 560 km/h avec un RR Merlin 1030 Cv. Remplacez ce moteur par l'Hispano 12 Y 31, la vitesse du chasseur Anglais tombe de 560 à 527 km/h. 

Dans le sens inverse, le MS 406 passe de 450 à 478 km/h, mais son autonomie devient très réduite !

Q - Vous n'aimez pas le Spitfire !

Drix - Vous vous méprenez. Le Spit. est un excellent chasseur mais Vickers lui a refusé la super carrière qu'il aurait dû avoir. 
Par contre, cette société  s'est montrée en-dessous de tout, en refusant de lancer la construction en série, puis en conservant sa voilure elliptique, alors qu'elle ralentissait la construction. 
De ce fait, cet avion, qui aurait  largement dominé la "drôle de guerre", n'a joué qu'un rôle négligeable de 1939 jusqu'à Février 1941 !


Q - Vous avez applaudi le projet de construction du Dewoitine 551 par Réplic'Air. Que pensez-vous des projets actuels de reconstruction d'un Arsenal VG 33 et d'un MS 406 ?

Drix - Voir un Arsenal voler sera sûrement très intéressant. Mais la masse au décollage de cet avion est du même ordre que celle du D 520, pour une surface de 2 m² plus faible. Par contre, sa meilleure finesse doit l'aider. 
Dans tous les cas, pour que ces avions anciens soient pilotables, je pense que leur empennage vertical complet devrait être augmenté d'environ 30% vers le haut.

Q - Et le MS 406 ? 

Drix -  Les résultats opérationnels de cet avion sont parfaitement connus : Ils sont déplorables. 
Par contre, la vision de cet avion dans sa toute première version MS 405-01 devrait nous éclairer complètement sur son choix comme chasseur standard.

Q - Je ne vous comprends pas !

Drix - Le MS 405 de Janvier 1936 est un chasseur lent, mais vraiment très manœuvrant. 

Sa légèreté (2 240 kg au décollage) permettait un taux de monté bien plus acceptable, mais son autonomie n'était guère supérieure à 600 km (comme celle des Bloch 151 et 152).

Par contre, recréer le MS 406, cette "chose" qui nous a permis d'offrir la maîtrise de notre ciel à Hitler, me paraît dépourvu du moindre intérêt. 
 
Q - Vous ne regrettez pas que personne n'ait lancé la construction d'un Nieuport 161 ?

Drix - Un de mes merveilleux lecteurs me l'a suggéré.
Mais je pense que le voile qui a occulté la réalité des performances et des qualités de vol du Nieuport 161 jusqu'en 1971 est lié à la puissance d'un lobby qui n'est pas identifié et ne le sera sûrement pas de mon vivant.

Imaginez que l'on découvre, a postériori, que le N 161 avait d'extraordinaires performances. Cela mettrait en danger certains courants de pensée, et peut être pas seulement chez nous, Français.

Toujours est-il  que l'ingénieur Général Louis Bonte fut mis en retraite, à la fin de 1969  ou au tout début de 1970 par Michel Debré (sous la Présidence de Georges Pompidou). 

Coïncidence troublante, le premier article du Fanatique de l'Aviation # 22 sur le Nieuport 161 (le premier sur ce sujet depuis 1940) fut publié peu après, mais avant l'accident de circulation qui ôta la vie à Louis Bonte.

Q - Vous pensez que les vedettes de Cherbourg n'auraient pas suffit à déclencher cette excommunication ?

Drix - Je me plais à le penser.









2 commentaires:

  1. Merci mr.Drix pour tous ces articles merveilleux.

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    1. Je vous remercie pour votre grande gentillesse, cher ami.

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