mercredi 18 novembre 2020

Les "Avions Nettoyeurs", du Breda 65 au Potez 75 (Revisé et augmenté le 05 Octobre 2024 ***)

L'Aviation a initialement été vue comme un outil d'agrément (voyages, promenades, prises de vue).
Son utilisation pour l'observation, puis pour la reconnaissance militaire en découla inévitablement. 

En 1914, elle avait suffisamment progressé pour permettre de bombarder les troupes ennemies.
Moins d'une année plus tard, on commençait à concevoir des avions de Chasse.

En 1918, le Général Duval lançait la 1ère division aérienne sur les troupes Allemandes en combinanttous ces types d'avions.

Seize ans plus tard, apparurent des avions conçus pour détruire les "points durs" du champ de bataille.
Les "points durs" en question étaient les fortifications légères, les chars, les batteries de canons, les "nids" de mitrailleuses, les convois motorisés, les trains et les concentrations de troupes.
 
En Italie, le Breda 65 fut, à ma connaissance, le premier avion réellementpensé pour ce travail.

La forme de cet appareil favorisant une bonne visibilité semble avoir influé sur celle des chasseurs Bloch 150 à 153.
Breda 65 -

Long de 9.3 m, il avait une masse de 2,400 kg à vide et de 2,950 kg au décollage.
Son envergure était de 12.1 m et sa surface alaire était de 23.5 m².
Le moteur Fiat A.80 R.C.4 de  18 cylindres en double étoile refroidi par air délivrait 1 000 Cv.
Il permettait d'obtenir :
  • une vitesse maximale de                 430 km/h (à une altitude proche de 5 000 m)
  • une autonomie                               550 km avec 300 kg de bombes       
  • le plafond pratique était de 6 300 m
L'armement comptait :
  • 2 autres de 7.7 mm de même marque.
  • On pouvait y ajouter 500 kg de bombes.
L’engin se pilotait facilement, était très manœuvrant et son armement était efficace.
Par contre, lorsqu’il portait des bombes, il devenait une proie facile, même pour un Hawker Hurricane(c'est dire !).

Donc, il devait être escorté par des chasseurs pour ce type de missions. 
Il fut cependant très efficace au début de la guerre entre l’Italie et les troupes Britanniques. 
N’ayant été construit qu’à 150 exemplaires pour la Regia Aeronautica, il en resta très peu à partir de la mi-1941.


En France, les Nieuport 401, 411, 402 et 42, puis le Potez 633 et les Bréguet 691, 693 et 695 furent pensés pour ce travail. 
Ces avions étaient excellents et leur armement pertinent, donc ils obtinrent des résultats.
L'opposition de la Flak n'ayant pas été prévue, la faiblesse du blindage avait entraîné des pertes douloureuses.


Le cas Britannique (ajout du  Janvier 2022)

Les Anglais, grands colonisateurs, avaient depuis longtemps envisagé le problème de la Guerre Asymétrique, auquel ils avaient répondu par le Westland Lysander.

Mais ils furent vite confrontés à des champs de bataille bien symétriques avec l'Armée Royale Italienne en Libye et avec la Wehrmacht dans les Balkans.

Ils avaient déjà attaqués des navires Allemands légers au large de leurs côtes.

Dans tous ces cas, ils ne disposaient pas d'avions spécifiquement pour cela mais, début 1941, le Hurricane II, qui enchantait tellement notre René Mouchotte, fut retiré de la Chasse pour passer au statut de nettoyeur !

Avec ces avions, renommés Hurri-bombers (et allongés d'environ 30 cm), les pilotes devaient voler essentiellement à très basse altitude pour frapper leurs cibles ce qui commença à la fin de 1941. 
On passa des canons de 20 mm Oerlikon à des 40 mm Vickers antichars (1943).

L'augmentation de la masse, induite par celle de la puissance du blindage, passait de 2 900 kg à 3 900 kg !

Ce matériel fut efficace contre l'Africa Korps jusqu'en 1943.

A cet date, il était remplacé par le successeur de cet avion dans les catalogues publicitaires de la maison Hawker : Le Typhoon

Cet avion, excessivement difficile à maitriser (voir in Pierre Closterman, Le grand cirque) à cause de ses 2 000 Cv, avait un armement très puissant renforcé par des roquettes antichars à charge creuse.
Leurs attaques de colonnes blindées Allemandes en Normandie furent décisives.

Certains esprits chagrins Britanniques mirent pourtant en cause l'efficacité de ces chasseurs-bombardiers. Cela devait, comme d'habitude, pour remonter le moral des artilleurs dont les tirs semblent alors peu  efficaces.

Toujours est-il que la Bataille des Ardennes lancée par von Rundstedt en fin 1944 obtint de bonnes réussite pendant que les avions nettoyeurs étaient bloqués par des effondrement de stratus, collés au sol.


Les Allemands avaient travaillé la question du Champ de Bataille sur les fronts Espagnols.
Ils utilisèrent pour cela leurs chasseurs Heinkel 51, incapables de faire des missions de Chasse.
 
Ils sortirent donc un excellent nettoyeur, le Henschel 123 dont le gros moteur protégeait efficacement le pilote. 


Henschel 123 B prototype, montrant l'absence de ficelles dans la voilure


Cet avion hyper-agile fut construit à seulement 240 exemplaires jusqu'en fin 1938. 


Les fantassins Français, confrontés à ces avions en Mai-Juin 1940, furent extrêmement impressionnés par “les sarabandes effrénées” qu'ils décrivaient autour d’eux.

En 1943, les Allemands subirent d'incessants déboires sur le front Russe.

Cela amena le général Wolfram von Richthofen à demander (5 ans trop tard) la relance de sa production !

Cependant, la même firme avait commencé, dès 1938, à travailler sur un bimoteur, le HS 129, destiné également au nettoyage du champ de bataille.
Mais, les moteurs disponibles étant peu nombreux, Henschel décida de construire un bimoteur monoplace.
La présence de 2 moteurs apparaissait comme un gage de survie de l'équipage.

Les moteurs étaient deux Argus de 430 Cv (puis de 465 Cv) refroidis par air tournant dans le même sens..
Dans ces conditions, l’avion (Hs 129 A) était quasi impilotable.


L’Armistice avec la France (du 24 Juin 1940) avait livré aux Allemands d’excellents moteurs Français Gnome et Rhône 14 Mars de 690 Cv en deux versions :
    L’une tournant dans le sens des aiguilles d’une montre,
    l’autre en sens inverse, ce qui annulait les problèmes de couple moteur. 

L'avion avait une longueur de 9.75 m, une masse au décollage de 5 100 kg (3 800 kg à vide).

L'envergure valait 14.20 m pour une surface de 29 m², soit une charge alaire de 176 kg/m².

La vitesse de pointe atteignait 410 km/h à l'altitude optimale, la vitesse de croisière était de 315 km/h pour une autonomie inférieure à 700 km.

Le plafond pratique était de 9 000 m.

Les pilotes trouvèrent ce Henschel 129 B 1 parfaitement pilotableEnfin !

Cependant, la production en série du modèle 129 B s'accompagna de fragilité au niveau des moteurs.
Cette fragilité n'avait rien à voir avec la conception des moteurs.


Les ouvriers Français les construisant savaient exactement à quoi ils allaient servir, i.e. à la Wehrmacht contre les Alliés.
Ils les sabotèrent avec une grande habileté.
Plusieurs années après la guerre, nos moteurs anciens durent être révisés pour la même cause, en particulier quand les saboteurs étaient morts.
L’armement  monté initialement consistait en 2 canons Oerlikon MG FF de 20 mm et 2 mitrailleuses MG 17.
Ces deux types d’armes étaient caractérisées par une faible vitesse initiale.

Ceci limitait gravement l’efficacité antichar de cet avion face aux chars T 34 et KV 1 soviétiques.
Une première amélioration fut le changement des MG FF par des canons MG 151/20. Ensuite on adjoignit à ces armes un canon de 30 mm Mk 101 qui fut ensuite remplacé par une version à chargement automatique Mk 103 (Hs 129 B2).

La dernière version à voler fut le Hs 129 B 3, armé d'un canon antichar de 75 mm de 1300 kg !
L'engin était très efficace mais l'avion perdait de la vitesse et de l'agilité.
865 Henschel furent construits et ils obtinrent des résultats très positifs (pour la Wehrmacht).

Deux versions motorisées différemment furent envisagées.


Le Hs 129 C devait être motorisé par deux moteurs Isotta-Fraschini Delta en V12 inversé à refroidissement par air, moteur qui avait donné toute satisfaction sur le Caudron CR 760 de chasse, en 1939.
Il est évident que ce moteur était remarquable et qu'il aurait donné une meilleure agilité au nettoyeur Henschel.
Par contre, le projet de placer sur cet avion (Hs 129 D) deux moteur BMW 801 (montés sur les chasseurs Focke Wulf 190) me paraît, lui, impossible (pour rester poli) : La puissance eut été multipliée par 4 et la masse au décollage aurait augmenté de 1 500 kg (sans compter que l'autonomie n'aurait pas excédé 250 km !).



Un de mes amis pense que je devrais inclure le Ju 87 Stuka dans cet ensemble, à cause de son rôle dans la Bataille de Kursk. Mais cet avion exceptionnel exigeait des pilotes tout aussi exceptionnels, ce qui limitait son influence avec leurs disparitions successives.




En URSS, un excellent nettoyeur fut créé, le célèbre Iliouchine 2 Chtourmovik, qui, comme le char T 34, entra en service juste à temps pour contrer l'offensive Barbarossa du 22 Juin 1941.

Cependant, l'efficacité de ces deux armements sembla initialement très faible.

Une première explication peut résider dans une formation insuffisante des pilotes, voire, pire, de leurs formateurs.

Une seconde explication peut aussi venir d'une sous-estimation systématique volontaire des pertes Allemandes, par décalage de leur publication dans le temps.

Les commentaires de H. Guderian sur le début de Barbarossa montre sa grande surprise devant le niveau de la résistance des soldats Russes.

Je penche donc pour une combinaison des deux explications.





Iliouchine 2 Chtourmovik - 



Cet avion avait une longueur de 11,60 m et une masse de 4 500 kg à vide et 6 100 kg au décollage.

L'envergure était de 14.60 m et la surface alaire totale était de 38.50 m². 

Le moteur était un Mikouline AM 38 de 1 665 Cv (puis un AM 38 F de 1 720 Cv)
La vitesse allait de 380 km/h au sol à 425 km/h à 2 500 m.


L'autonomie était de l'ordre de 6 à 700 km.

Le plafond, au mieux, atteignait 6 000 m.

L'armement principal commença avec deux canon de 20 mm, qui furent remplacés par des canons de 23 mm puis, enfin, par deux canons de 37 mm.


Cet avion se montra très efficace contre l'ensemble des dispositifs Allemands du Champ de Bataille. 

Les soldats Allemands le surnommaient "l'avion en béton". Il eut donc un rôle essentiel pour sauver l'Armée Rouge. Il fut construit jusqu'en 1950.

Une querelle est faite à cet avion par des auteurs Anglophones qui disent que l'Il 2 n'était pas aussi utile contre les chars qu'on l'a dit. 

Je n'ai aucune raison de leur faire confiance sur ce point, pas plus que je n'ai confiance dans les écrits qui ont des opinions similaires sur le rôle anti-chars des Hawker Typhoon.

Ce type d'écrits rappelle ceux des partisans des cuirassés qui refusaient de "croire" aux expériences de Doolittle.

Toujours est-il que 36 000 de ces appareils furent construits ! 

Beaucoup furent perdus parce qu'ils étaient une cible privilégiée pour les chasseurs Allemands mais eux-mêmes furent des "chasseurs" efficaces contre les transporteurs Germaniques.




Les USA, le 7 Décembre 1941, n'avaient aucun "nettoyeur" dans leur panoplie. 

Ils se contentèrent de l'usage alterné de leurs chasseurs et de leurs bombardiers. 

Le Lockheed P 38 était assez efficace dans ses missions de strafing, grâce à sa vitesse, à son grand rayon d'action et son canon HS 404 de 20 mm mais il était très vulnérable.

A l'époque, les USA étaient dans l'ère des tapis de bombes qu'ils déversaient joyeusement avec des B 17 et des B 24 sur l'Allemagne (voire surtout sur la France) et avec des B 29 sur le Japon. 

L'imprécision de leurs interventions éveillait bien peu d'échos chez eux.

Toujours est il qu'en 1944, la maison Douglas se lança dans la conception d'un successeur à son excellent bombardier en piqué SBD Dauntless, pour détruire les derniers porte-avions Japonais

Le nouvel appareil était plus imposant, bien que toujours monomoteur. 

Il fit son premier vol le 18 Mars 1945.




A 1J Skyraider (guerre du Vietnam) : Une belle capacité d'emport...



Il avait une longueur de 11.83 m, avec une masse de 5430 kg à vide et de 8 140 kg au décollage (11 340 kg au maximum).

L'envergure atteignait 15.24 m et la surface des ailes totalisait 37.16 m².

Le moteur Wright R-3350 de 18 cylindres en étoile développait 2 700 Cv.

La vitesse maximum allait de 515 à 550 km/h suivant les versions.
A 320 km/h de croisière, il pouvait parcourir 2 100 km.

Armé de 4 canons de 20 mm, il pouvait emmener jusqu'à 3 600 kg de bombes.

Cet avion fut hébergé d'abord sur le porte-avions Valley Forge (CV 45). 

Ainsi, lorsque la Guerre de Corée commença, le 25 Juin 1950, ce navire était à Hong Kong, ce qui lui permit de devenir le navire amiral de la Flotte de l'ONU

Juste 8 jours plus tard, les Skyraider de ce navire, sous la protection de F9F Panther à réaction, effectuèrent leur première opération militaire en détruisant les avions et les bâtiments d'une base Nord Coréenne située à Pyongyang.

Si la puissance de feu de cet avion était pour le moins impressionnante, les opérations à basse altitude furent coûteuses à tous points de vue. 

On comprit alors l'intérêt de lui adjoindre 280 kg de blindage (!).

Un total de 128 Skyraider furent perdus dans cette guerre, dont un cinquième auraient été victimes du fort couple moteur au décollage…

Notre Armée de l'Air acheta plus d'une centaine de ces avions en 1956 mais ils n'intervinrent dans la Guerre d'Algérie qu'en 1958, ce qui semble indiquer plus que des réticences du côté Américain.

Ces avions furent également employés à très grande échelle par les USA dans la guerre du Viet Nam, en particulier lors des opérations de récupération de pilotes descendus.

Près de 3 200 en furent construits. 

Le dernier d'entre eux fut retiré du service actif en 1985 au Gabon.

Ce fut donc un avion très utile et adoré par ses pilotes. Sa durée de vie de 40 ans a démontré clairement son excellente conception.




La France a connu largement sa part de la Guerre Froide entre le Camp des Pays dits Socialistes, mené par l'URSS, et le Camp dit Occidental, mené par les USA.

Au moment de la création de l'Alliance Atlantique, en 1949, les moyens militaires soviétiques impressionnaient considérablement par l'immensité du nombre de chars, leur puissance de feu et leur coordination avec des moyens aériens pertinents.

(Ayant assisté personnellement à l'entrée des troupes soviétiques à Prague, le 22 Août 1968, je peux dire que tous les gens qui m'entouraient à ce moment-là étaient eux-mêmes particulièrement impressionnés, et donc immensément silencieux.)

A la fin de la Guerre de Corée, il exista une velléité Américaine de lancer une guerre nucléaire qui s'effondra, heureusement, avec la prise de pouvoir du Général D. Eisenhower.

Restait à trouver le moyen de lutter contre des milliers de chars. 

Notre industrie arriva à sortir un excellent char léger, l'AMX 13 qui avait le moyen de neutraliser un char lourd ennemi.

Cela ne réglait pas tous les problèmes puisqu'avant que nos chars arrivent au contact de ceux de l'ennemi, il fallait déjà savoir où était précisément cet ennemi et, même, essayer, dès sa découverte, de l'affaiblir.

Cela imposait un avion d'exploration relativement rapide mais discret. 

En plus, si cet appareil était découvert par l'ennemi, il fallait, autant que faire se pouvait, qu'il puisse ramener son équipage en sécurité.


Henri Potez, présenta à cet effet un concept particulièrement osé : Le Potez 75 qui fit son premier vol le 10 Juin 1953. 

Son idée de base était de produire en grande quantité un avion léger au pilotage particulièrement facile et sain.

Le Potez 75 était un monomoteur à hélice propulsive animée par un excellent moteur Potez 8D-32 (à cause de l'ajout d'un ventilateur pour tenir compte du montage en moteur propulsif) à 8 cylindres en V inversé de 11.7 litres de cylindrée développant 480 Cv.

Il avait d'emblée reçu un sérieux blindage.



Potez 75 - dernière configuration (Mai 1957)




L'envergure était de 13.10 m et la surface alaire totalisait 22.95 m².

La charge alaire approchait les 110 kg/m².

La vitesse de pointe frisait les 300 km/h à 3 000 m et passait les 275 km/h au niveau de la mer. 

A 3 000 m, les charges externes (missiles) attachées sous les ailes réduisaient la vitesse de pointe à 275 km/h.

La vitesse de montée à 400 m d'altitude atteignait 7.7 m/s mais la montée à 3 000 m demandait 10'.

Le plafond pratique atteignait 8 600 m.

L'autonomie était de 780 km et le rayon d'action était de 330 km. 

Les patrouilles pouvaient durer jusqu'à 3 heures et 30 minutes.

Notons que le Potez 75 avait été équipé d'un coupe-câbles bien utile pour le vol en rase-mottes.

Nous avons les impressions de pilotage que nous a laissées, dans Aviation Magazine #91 (Février 1954), le journaliste Jacques Noetinger (ami personnel de mon propre instructeur Joachim Litwa et, comme lui, pilote de chasse qualifié sur P 47 formé aux USA entre 1943 et 1945).

Débutant son essai à la place d'observateur, il s'extasie devant la visibilité qui s'ouvre devant lui : 
"je suis installé comme un prince au balcon. 
(...) 
Tout est blindage, les glasses épaisses complètent les plaques d'acier.
(...) 
"Je suis parfaitement à l'aise ici, la température est agréable et la visibilité est sensationnelle.
(...)
Ce que je veux savoir, c'est si, oui ou non, un jeune pilote de club peut, comme le prétendent MM Potez et Delaruelle, partir sur cet avion, non seulement sans risquer de casser la machine, mais en l'utilisant efficacement.
    
Je suis un peu sceptique car, après tout, cet avion pèse 2400 kg et on ne manie pas, à mon avis, un taxi de plus de deux tonnes comme un Stampe ou un Piper Cub."
(...)
"Je sors 18° de volets, je m'aligne et, freins lâchés, je pousse les gaz sans brutalité, mais sans paresse, car je tiens à voir si le couple gyroscopique agit. 
L'avion part droit. Je sais que jusqu'à 60 km/h, le palonnier ne répond pas et, pourtant, je n'ai pas à utiliser les freins.
(...)
A 100 km/h, environ, je quitte le sol après moins de 150 m de course. (...)
Je tiens ma vitesse à 170 km/h et monte à plus de 1 400 ft/min (7.7 m/s). 
L'avion est très cabré, mais parfaitement stable et il grimpe, grimpe, grimpe comme un ascenseur. 
(...)
A la suite de trois exercices de décrochage consécutifs, mon altimètre a atteint 750 m. 
J'ai gagné 560 m en faisant l'étude des décrochages !
(...)
Maniabilité, souplesse, centrage, efficacité des commandes (ailerons surtout), même à faible vitesse, [sont] excellents et même exceptionnels pour un avion de ce tonnage. 
(...)
Enfin, je réponds oui à la question posée au début de cette étude. Un garçon qui a 30 heures de Stampe peut partir sans aucun risque sur le Potez 75. 
(...)
En vol, il ne sentira ni perdu ni dépaysé. Il s'apercevra vite qu'il a entre les mains un avion sans vice, qui pardonne et qui, avec une exquise modestie, fait oublier son poids !

Est-ce à dire qu'après quelques tours de piste, il pourra se servir du Potez 75 pour aller attaquer des chars en volant à 25 m du sol ? 
(...) 
C'est une question d'entraînement tactique, chose valable sur tous les avions d'armes. Le rase-mottes ne s'improvise pas, il s'apprend !"

Le compte-rendu du CEV (Prototypes de l’aviation Française 1945-1960, par JC Fayer, 2002
 E-T-A-I,qui date de 1953, est nettement moins favorable.

On y annonce que l'avion porte 4 Nord SS 11, mais les excellentes photographie montrent toutes de simples Nord SS 10.

La vitesse maxi au niveau de la mer y était donnée pour 237 km/h.

L'essai de Noetinger est sûrement intervenu sur un avion clairement modifié et sa conclusion éclaire de façon particulière le refus du CEV.  

Cet avion devait attaquer les hordes de chars avec le missile Nord SS 10 (issu d'un engin X7 Germanique) et très bon marché puisqu'il coûtait 340 FF pièce en 1955 (le salaire minimum de l'époque était de l'ordre de 40 000 FF).

A l'époque, si les missiles de grande taille pouvaient être radioguidés(quoique...), les missiles antichars Français étaient bien trop petits pour cela (15 kg au lancement), l'électronique de l'époque étant très, très loin des circuit intégrés, voire des transistors (!) .

Les fils de guidage transmettaient l'information nécessaire qui provenait d'un joystick (mot encore totalement inconnu à l'époque) et qui agissait par l'intermédiaire de l'électronique de la station de tir (électronique à lampe et totalement dépourvue d'informatique) .

En outre, la phase finale devait se faire avec des jumelles inutilisables pendant le démarrage. Bonjour l'Ergonomie ! 

Le maniement du SS 10 demandait donc énormément de pratique et tout opérateur incapable de justifier d'au moins 60% de tirs au but était éliminé.

(les militaires US, refusèrent de s'impliquer dans le SS 10 vers 1953-55, mais ils le trouvèrent efficace en 1958 et l'achetèrent).

Le tir depuis le Potez 75, en ajoutant la vitesse de l'avion à celle du missile, devait nécessairement amener ce dernier à voler bien plus vite que les 80 m/s obtenus depuis un poste de tir fixe. 

Evidement, les commandes de l'engin n'avaient pas été dimensionnées pour encaisser les efforts induits par une vitesse de vol bien supérieure à la vitesse initialement prévue. 

De plus, un tireur parfaitement entrainé sur poste fixe, une fois en place sur l'avion en vol, n'avait plus aucun accès aux repères visuels et temporels qui étaient les siens jusqu'alors. 

Par contre, les hélicoptères légers style Djinn ou Alouette II, capables, par nature, de faire du vol stationnaire, pouvaient naturellement tirer des SS 10 !

En février 1954, le concept tactique lié à l'association Nord SS 10 / Potez 75 était complètement abandonné, peu de temps avant l'émergence de missiles plus adapté.

Mais ce soi-disant échec du Potez 75 n'avait aucun sens. 


Quelques temps après, il fut envoyé pour combattre dans la Guerre d'Algérie où il y excella, sa stabilité lui permettant des tirs efficaces et son blindage lui permettant d'ignorer les tirs d'armes légères. 

Un cheval de bois à l'atterrissage permit de comprendre qu'une balle avait coupé une canalisation du circuit de freinage, alors que l'équipage n'avait pas eu conscience d'être sous le feu !

Si l'abandon du Potez 75 pour lutter contre les chars ne semble pas du tout rationnel, on peut dire que, dans cette fragile IVème République, le choix astucieux de Henri Potez en faveur d'un avion hyper facile à piloter pouvait être vu (en haut lieu) comme permettant à des gens peu éduqués d'avoir accès à des armes puissante, voire politiquement décisives.