jeudi 14 juin 2012

La Chasse Allié et l'interception des hostiles en 1940 (modifié le 27 / 10 / 20240 *** ***)

(you can read this post in English on my blog in English Flashback to glorious planes)



Introduction


Cet article complète et concrétise, à partir des données publiques, les situations tactiques rencontrées par la Chasse introduites dans mon travail sur la Luftwaffe attaque ! Quelle réaction dans la France de 1939 à 1940 ? 

En 1939-1940, l'intervention de l'arme aérienne ennemie dans nos lignes concerne un certain nombre de cibles terrestres que j'ai traitées au début de mon article sur les bases du bombardement en France car ce qui était vrai pour nos bombardiers l'était tout autant pour ceux de l'ennemi.

Les objectifs conditionnent toujours l'attaque qui, elle-même, impose des méthodes de défense spécifique


Les moyens employés pour se défendre d'une attaque différaient suivant les objectifs à traiter.
Il y avait :
  • les passages isolés d'avions de reconnaissance stratégiques (= avions-espions) à haute altitude (de 7 000 à 10 000 m), 
  • les bombardements sur zone à moyenne altitude (entre 4 000 et 5 000 m).
  • les attaques à très basse altitude (strafing). Ce dernier cas était le fait de chasseurs mono ou bimoteurs (Messerschmitt Bf 109 ou Bf 110, Henschell 123). 
    • Une simple DCA légère suffisait à porter des coups très sérieux aux légers chasseurs monomoteurs.
    • Par contre, la chasse avait beaucoup de difficulté à les contrer, parce que discerner un avion volant près du sol est très difficile et parce que voler très bas, très vite, implique aussi - outre le danger de collision avec le sol - que le moteur sera moins bien refroidi : l'exercice ne peut pas donc durer très longtemps.
  • les attaques de précision en piqué. Les contrer relevait à la fois de la chasse et de la DCA, mais, du fait que le piqué commençait vers 2 000 ou 2 500 m, cela ne posait pas un problème d'interception mais une présence assurant une protection a priori d'un point sensible, protection éventuellement mobile (pointe d'une force offensive amie, par exemple). Autrement dit, les chasseurs amis devaient y être présents en permanence.    
Les deux premiers cas n'étaient pas justiciable de la DCA et, de ce fait, impliquaient impérativement une capacité d'interception

Inutile de rappeler que, de toute manière, si la capacité d'alerte était défaillante, l'interception ne pouvait pas avoir lieu.


Le cas le plus difficile : Intercepter les vols à haute altitude


Les reconnaissances stratégiques ennemies étaient très importantes puisque les informations recueillies par leurs avions permettaient de définir les zones de force et de faiblesse de nos dispositifs

Pour cela, l'ennemi pouvait comparer les images obtenues en lumière normale et en infra-rouge à l'ensemble des autres renseignements qui étaient à sa disposition.

Le général Heinz Guderian avait pu ainsi constater que la région de Sedan n'avait pas de bonnes fortifications et aussi que rien n'avait été fait pour les renforcer entre le 3 Septembre 1939 et le 1er Mai 1940 (H. Guderian, Mémoires d'un soldat, Plon,1954).

Les méthodes d'interception d'avions volant à haute altitude (en général, à 8 000 m) semblent, à cette époque là, avoir été divisée en 3 écoles de pensée :
  1. Envoyer en priorité les avions dotés de la meilleure vitesse ascensionnelle, solution parfaitement correcte.                                                                                                                       
  2. Faire croiser à moyenne altitude des patrouilles dites légères (2 avions) et les charger de l'interception. Cette solution était coûteuse mais efficace.                                                      
  3. Installer les pilotes dans les avions jusqu'à ce que l'alerte soit donnée. Cette solution, mathématiquement juste (en apparence), fut en fait catastrophique. Le pilote n'était pas installé correctement, donc il se crispait, s'énervait, prenait de mauvaises positions pendant plusieurs heures en attendant. Dans le même temps, les avions ne servaient à rien : C'était donc un parfait gaspillage de ressources tactiques précieuses.
Malheureusement, en France, nous avions privilégié cette mauvaise 3ème solution, désignée comme "état de super-alerte".


Le célèbre film Britannique : la Bataille d'Angleterre (1969) apporte une remarquable pédagogie de l'interception :
  • Sitôt posés les chasseurs devaient être ravitaillés en essence et en munition et les pilotes prêts à repartir au combat. 
  • Si l'alerte retentissait, les pilotes avaient 120 secondes pour décoller. C'était extrêmement serré comme chronologie, mais ils s'y étaient pliés avec succès.

Presque une année plus tôt, en Décembre 1939, le commandant du groupe qui expérimenta pour de vrai le Bloch 152 - bien trop tard par rapport à ce qui eut dû être fait - nota que le temps entre alerte et décollage était d'au moins 4 minutes dans le meilleur des cas. 

C'est que les pilotes Français de 1939, en pleine drôle de guerre, vivaient loin de leurs avions et n'étaient pas non plus entraînés à l'effort physique (course jusqu'à l'avion) : En un mot, ils n'avaient pas encore compris ce qu'était la guerre.

Cela signifie aussi que si l'on avait effectivement chronométré nos pilotes en situation d'alerte, on n'avait pas cherché à aller plus loin et on ne les avait pas entraînés à gagner du temps.

Les témoignages de mon grand-père maternel et de bien d'autres montrent que, en cela, ils étaient bien loin de leurs prédécesseur de la guerre de 1914-1918.

Donc, nos pilotes partaient en retard mais il faut reconnaître que même les pilotes de chasse Britannique ne firent guère mieux jusqu'à la Bataille d'Angleterre. 

Si l'amélioration fut nette à ce moment-là, il faut rappeler que, jusqu'en fin 1942, le survol du Royaume Uni par des Junkers 86 P resta très facile à cause du manque chronique de plafond des chasseurs Britanniques. 



Les vitesses ascensionnelles


De toute façon, les capacités d'interception de la chasse Française dépendaient de la capacité ascensionnelle des chasseurs choisis.



Document personnel de l'auteur - l'altitude est portée en ordonnées  et le temps en minutes est portée en abscisses


Pour l'interception d'un raid de bombardiers évoluant à  4 000 m, les 2.5 minutes de différence qui existaient entre les différents chasseurs ne jouaient pas de manière vraiment discriminante entre le meilleur et le pire temps

Par contre, une fois la montée effectuée, la vitesse de pointe du chasseur devenait essentielle: Là, seuls les plus rapides pouvaient être efficaces.

Les choses se compliquaient - essentiellement pour un Morane 406 - si le raid ennemi volait juste 1 000 m plus haut, à 5 000 m. Il prenait 3 minutes pleines pour ce minime surcroît d'ascension, là où son concurrent Nieuport 161 - dans sa version de 1936 et non dans la version de 1938 - ou le Dewoitine 520 ne rajoutaient que moins de 90 secondes à un temps déjà très significativement plus court

Dans ce cas, le "chasseur" favori du CEMA avait donc besoin d'un petit quart d'heure - tout compris - pour y arriver. 

Quand, enfin, il était en place, il n'avait quasiment aucune chance d'empêcher les bombardiers de faire leur travail, et il devait essayer de les rattraper, sans beaucoup d'espoir.  

Ce fut illustré par la poursuite bien peu fructueuse du groupe II/7 de Luxeuil (voir cet article, deuxième section).

Par contre, la Chasse Allemande d'escorte (si elle était présente) venait l'accueillir, et chaudement, bien sûr.


Vous brûlez bien sûr de me rappeler qu'il y a quand même entre 175 et 188 victoires dans l'escarcelle du Morane ? Oui, mais beaucoup d'entre elles résultaient de rencontres fortuites, les Allemands étant particulièrement actifs, donc fréquents, vu qu'ils attaquaient.


Vous ne voyez pas la courbe du Caudron CR 714 parce que, du sol jusqu'à 5 000 m, elle se confondait avec celle du Morane 406, mais elle était un peu meilleure au dessus !

Pas de quoi s'extasier, certes, mais pas non plus les mensonges éhontés de nos officiels qui ont voulu pérenniser l'image d'un Morane bon grimpeur, niant farouchement toutes les expériences opérationnelles de nos pilotes.


Si l'entame ascensionnelle du Curtiss était brillante jusqu'à 3 000 m, passés les 4 000 m, les performances se tassaient en attendant le refroidissement du moteur. 

D'ailleurs, son moteur Pratt & Whitney R-1830-SC-G, particulièrement mal suralimenté, ne donnait pas grand chose passée cette altitude. 

Quelques bonnes interceptions furent cependant possibles par ses pilotes tant que le réseau d'alerte a tenu, mais il faut reconnaître aussi qu'elles étaient plus liées aux très bonnes visions tactiques des pilotes qu'aux qualités de leurs avions.


Les Bloch de 1939  - encore bien peu au point, avec leur énorme ouverture de capot de 1 m de diamètre, leur absence d'échappements propulsifs et leur moteur un peu moins puissant - n'étaient pourtant pas ridicules du tout. 

Notons que les temps du Bloch 152 bon de guerre de Mai 1940 devaient être meilleurs et se situer à mi-chemin entre ceux donnés ici et ceux du D 520.


Le chasseur D.520 n'a pas été mis en place au bon moment, mais on voit bien qu'il eut parfaitement interdit les plus décisives des reconnaissances Allemandes.

Il n'a jamais éprouvé de difficulté à intercepter les raids adverses, sauf, semble-t-il, le 3 Juin 1940, mais, ce jour-là, l'ensemble du dispositif Français était parti de manière désordonnée, ce qui revient plus à un problème de transmission de l'alerte qu'à d'autre chose.

J'ai aussi donné les temps de montée du Nieuport 161 mesurés en 1936 car ils constituent une triple référence.
  • Ils démontrent la très médiocre conception tactique de ceux qui ont commandé le Morane 406 comme chasseur standard, avion qui perdait 11 minutes 35 secondes sur le Nieuport 161 pour monter à 8 000 m (!)
  • Les temps du N.161 (de 1936) étaient de 15 secondes meilleurs que ceux du chasseur Messerschmitt Bf 109 E de 1940 (oui, le fameux Emile de 200 Cv plus puissant), sauf au dessus de 7 000 m où le chasseur Allemand s'essoufflait et perdait encore 90 secondes pour arriver à 8 000 m. 
  • Enfin, le Dewoitine D. 520 présentait un écart de temps faible avec le LN 161, mais constant au-dessus de 5 000 m

Le problème de l'interception, mal pensé en France, touchera tous les belligérants, à un moment ou à un autre de la Seconde Guerre Mondiale


Maintenant, regardons un peu en dehors de l'Hexagone.

Si l'Air Marshall Dowding exigeait des pilotes Britanniques, pendant la Bataille d'Angleterre, que leurs avions fussent en l'air au bout de 2 minutes, et pas plus, c'est que l'interception des bombardiers Allemands n'avait rien de facile, malgré un système d'alerte quasi parfait et des avions qui montaient tout à fait correctement.

Mais, si on repart en début Mai 1940, le diagramme suivant montre que les interceptions par les chasseurs Britanniques qui fonctionnaient au-dessus de la France n'avaient rien de facile.



Document personnel de l'auteur - les chasseurs Britanniques étaient alors équipés d'une hélice De Havilland à 2 pas



Le Spitfire aurait été le seul avion Britannique à pouvoir intercepter correctement les reconnaissances Germaniques
Mais il fut totalement absent du champ de bataille Français.

Le Hurricane était nettement inférieur (les données disponibles, et que j'ai employées ici, ne correspondent pourtant ni aux dires des pilotes Alliés ni au ressenti des pilotes Allemands). 

En outre, les Britanniques qui combattaient en France ne disposaient pas d'un système d'alerte comparable à la Chain Home.


Comme les autres, mais plus tard, en 1942, les Allemands expérimentèrent à leur tour le problème de l'interception quasi-impossible lorsque des bombardiers Mosquito, volant vite à relativement haute altitude, vinrent déverser leurs bombes sur les cités Allemandes, multipliant à faible coût humain les alertes qui réveillaient
 chaque nuit des millions de gens

Les radars Allemands étaient pourtant excellents, le système de transmission d'alerte également, mais leurs chasseurs ne montaient quand même pas assez vite. 

Adolf Galland poussa un soupir de soulagement, en 1944, lorsque les chasseurs à réaction Me 262 décollèrent pour les intercepter. 

C'était bien trop tard, la décision (= 
la Victoire Alliée) était déjà acquise...

Car l'alerte aérienne ne peut jamais faire décoller plus d'avions qu'il n'en existe et elle ne leur confère pas un punch plus puissant.



Les soviétiques disposaient
 d'un bon intercepteur, avec le Mig 3, qui volait vite et montait très honorablement pour un avion du début de 1941 (8000 m en 10'30", un temps digne du Messerschmitt Bf 109 F1 strictement contemporain, et très proche de celui du Nieuport 161-03 du 2ème semestre 1938). 

Mais le système d'alerte soviétique était encore balbutiant. 

Cela dura, au moins, jusqu'en 1944. Mais les dégâts furent heureusement limités par l'immensité du territoire Russe. 



Au début de la guerre du Pacifique, les 
chasseurs Japonais étaient, de très bons grimpeurs, au moins jusqu'à 6 000 m, sans pourtant avoir compris l'intérêt de voler au-dessus de cette limite. 
{J'imagine que cela venait de consignes visant à limiter au maximum l'emploi des bouteilles à oxygène, probablement très coûteuses.}                                   

Les B 29 qui commencèrent à les écraser de bombes au Printemps 1944, n'eurent presque jamais face à eux une opposition suffisamment
 forte, même lorsque les radars et les types de chasseurs Nippons eurent atteint les meilleurs standard.
La production d'avions et de pilotes bien formés avait été trop fortement compromise bien avant.



A Pearl Harbour, le 7 Décembre 1941, les Américains disposaient d'un excellent radar qui envoya l'alerte largement en temps et en heure. 

Ils y disposaient aussi d'une considérable flotte d'avions de chasse. 

Mais la chaîne de commandement toute entière y était aussi minablement nulle que celle de notre commandement à Sedan..
Au lieu de déclencher une alerte de précaution en lançant tout le monde en l'air, on ne fit rien. 

Le résultat est bien connu : Catastrophique !











5 commentaires:

  1. Euh ... À Sedan, la chaîne de commandement, ce n'était pas le général Corap, lequel commandait la IXe armée, mais bien plutôt le général Huntziger et sa IIe armée. Il est vrai qu'on a voulu faire porter le chapeau de l'échec au premier, pas très bien en cour

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  2. Bonjour Drix, sais tu combien de pertes la lutwaffe a infligé aux aérodromes français le 10 Mai 1940?
    Et combien d’avions allemands l’armée de l’air a descendu ?

    Ainsi que, combien de pertes allemandes aurait on pu infliger si on avait eu une défense aérienne digne de ce nom ??

    Svp

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    1. Cher ami, je me réfère, sur ce sujet des valeurs du début de la Campagne de France au livre du regretté Patrick Facon : L'Armée de l'Air dans la Tourmente.
      Le 10 mai, nous avons perdu une soixantaine d'avions. Je ne suis pas sûr pour autant que toutes les pertes aient été comptées (pour les avions de transport et d'entraînement en particulier). L'OKW de Jodle et Keitel nous attribuaient des pertes comprises entre 300 et 400 avions détruits.
      Nous avons abattu une petite centaine d'avions le premier jour. Avec une DCA d'aérodrome bien formée, ce bilan aurait été doublé.
      Avec des Nieuport 161, le nombre de bombardiers Allemands abattus aurait augmenté considérablement, et nos pertes auraient été réduites. Pour moi, un Nieuport valait probablement 4 Morane 406, parce qu'il était très dur à surprendre, parce qu'il dominait le Bf 109 en montée et parce qu'il était mieux armé.

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    2. Merci beaucoup Drix

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