Quand un bouche-trou devient un atout majeur
Dans l'ensemble, à l'exception du Heinkel 177 (mais essentiellement à cause de ses moteurs), les bombardiers Allemands ont démontré les très bonnes conceptions des ingénieurs qui les avaient conçus entre 1934 et 1938.
Au niveau aérodynamique, cependant, les deux plus remarquables en 1940, le Dornier 17 et le Junkers 88, ont perdu quelques points pour deux raisons : Un poste avant à facettes planes et des capots moteurs mal profilés pour ceux qui utilisaient des capots NACA.
Aucun de ces avions ne sera vu comme parfait ni à l'aune des décideurs Allemands ni à celle des analystes Alliés d'après la guerre.
D'ailleurs, ces bombardiers ont vu peu à peu leur rôle s'effacer face aux développements de la chasse Alliée, que ce soit du côté Russe ou du côté Occidental.
Ironiquement, exactement comme en France, le matériel fut mis en cause et, une fois de plus, bien à tort.
Il faut se rappeler que le Dornier 17 avait été conçu pour le transport rapide de courrier à partir d'un programme datant d'Août 1932, donc antérieur à l'arrivée au pouvoir d'Hitler.
Lorsqu'il fit son premier vol en 1934, il n'intéressait évidemment pas la Luftwaffe qui attendait naturellement les bombardiers produits selon ses spécifications.
Par la suite, les décideurs nazis le virent essentiellement comme un bouche-trou commode plus que comme un avion d'arme authentique.
Né sous le signe de la vitesse
Le Dornier 17, tel qu'il fut sorti initialement en série, était pourtant un avion absolument remarquable.
Junkers avait produit le Ju 86 pour répondre au programme militaire de Göring.
C'était un avion lent - 325 km/h - aux qualités de vol inquiétantes, qui portait peu de bombes (600 kg) et dont le plafond était du même ordre que celui des avions de transport civils (5 900 m) : En un mot, c'était un très médiocre bombardier.
Il en allait tout autrement pour le Dornier 17.
Cet avion long de 15.80 m, avait une masse au décollage de 8 200 kg.
Sa voilure de 18 m d'envergure avait une surface de 55 m². La charge alaire était donc de 149 kg/m².
Les moteurs habituels était des Bramo 323 Fafnir de 1 000 Cv, qui avaient un diamètre de près de 140 cm !
La vitesse de pointe, au niveau de la mer, atteignait 350 km/h (mais seulement 300 km/h à la charge maximale) et à 410 km/h à 5 000 m.
La vitesse de croisière était de 300 km/h à 4 000 m.
Le plafond pratique était de 8 200 m.
Le rayon d'action de combat était un peu supérieur à 330 km avec 1 000 kg de bombes et de l'ordre de 500 km avec 500 kg de bombes.
Cet avion, très rapide pour l'époque, était extrêmement maniable (il se maniait "comme un avion de chasse").
Cerise sur le gâteau, cet avion était très difficile à repérer visuellement de loin - il était donc furtif - du fait de son fuselage particulièrement mince qui le firent confondre avec des Messerschmitt 110 par nombre de pilotes de chasse Français.
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Deux vagues successives de critiques lui furent cependant adressées :
- La première concernait une certaine instabilité. Cela fut associé au fait que l'avion n'avait pas la double dérive demandée par le programme (j'ai déjà dit tout le mal que je pensais de ce concept à propos de l'Amiot 351/ 354). Il est piquant de constater que, pour le Ju 88, la Luftwaffe accepta la monodérive !
- La seconde fut la faible taille de sa soute à bombe, qui limitait la masse délivrable à environ 600 kg (150 kg de plus, quand même, que la charge emmenée par un Bristol Blenheim ou un Fairey Battle Britannique).
Dans une des premières versions (L), l'avion avait une vitesse de pointe d'environ 480 km/h.
Cependant, les capacités offensives et défensives en furent jugées insuffisantes.
Des modifications plutôt nuisibles
En conséquence, on modifia tout l'avant du fuselage en l'épaississant et on ajouta un nouveau membre d'équipage.
De ce fait, la finesse de l'avion fut très altérée et, malgré une puissance augmentée, l'avion perdit beaucoup de vitesse (la vitesse passant à 420 km/h).
Evidemment, si vous augmentez la puissance alors que votre finesse diminue, votre consommation augmente fortement, ce qui se traduit par une réduction importante du rayon d'action.
Mais, enfin, il pouvait emmener 1000 kg de bombes (comme si ces 400 kg de bombes supplémentaires étaient fondamentaux !).
En fait, comme beaucoup de décideurs militaires de par le Monde, ceux de la Luftwaffe avaient cédé à la magie des "chiffres ronds".
Dornier 17 Z - la perte de finesse par rapport à la version K saute aux yeux - |
Cette version, le Dornier 17 Z, fut un élément important du bombardement Allemand jusqu'à la fin de 1941.
un avion efficace mais vite abandonné
Malgré ces modifications, le Dornier 17 restait pourtant très apprécié par ses pilotes.
Cela venait de son agilité - restée exceptionnelle - qui leur permettait des attaques d'aérodromes en vol rasant, emploi pour lequel le Heinkel 111, qui constituait une cible bien plus volumineuse, n'était absolument pas adapté.
Pour ce genre de mission, les décideurs du IIIème Reich, eux, attendaient la sortie du Junkers 88.
C'est d'autant plus amusant qu'ils ne s'étaient absolument rendu compte que le bureau d'étude de Junkers n'avait pas hésité à copier sans vergogne le Do 17 pour "créer" son Ju 88 !
Cependant, ce dernier avion ne tenait pas la comparaison avec le Dornier 17 au niveau des qualités de vol et il fallut attendre deux années et une révision complète de sa voilure pour qu'il devienne un bon avion.
Il faut remarquer, en particulier, que l'imaginaire populaire Allié de 1940 craignait plus le Dornier que le Heinkel (ce fut le cas de tous les témoins de première main que j'ai eu l'occasion d'entendre).
Le Do 17 fut employé dans les attaques Allemandes les plus risquées des Batailles de France puis d'Angleterre, dès lors que la précision de bombardement était demandée.
Pourtant, il n'y a pas connu un taux de pertes considérable (quoiqu'en ait écrit le célèbre William Green dans son livre Famous bombers of the Second World War en 1960).
En effet, pendant les 3 mois et demi de la Bataille d'Angleterre, seulement 192 Dornier 17 furent abattus et 79 endommagés.
C'est considérablement moins que les pertes en Junkers 88 dont 303 abattus et 128 endommagés (source : aircrafts strength and losses), bien que le Junkers ait été engagé en nombre bien inférieur.
Pourtant, le Dornier 17 ne fut construit qu'à moins de 2 000 exemplaires, sa construction ayant été arrêtée dès Octobre 1940.
Cela n'empêcha pas la Luftwaffe de l'employer sur les champs de batailles pendant toute l'opération Barbarossa en 1941 et de modifier nombre des survivants pour en faire des chasseurs nocturnes ou des avions-espions, ce dernier rôle ayant été très certainement son premier rôle opérationnel de l'avant-guerre.
C'était donc un avion à la fois résistant et efficace.
Étonnements et réflexions
En tant que bombardier, pourtant, on ne lui a jamais accordé les moteurs DB 601 qui eussent permis d'en tirer le maximum en augmentant sa puissance, en diminuant significativement son maître couple et en améliorant nettement son bilan de traînée.
Ces moteurs étaient réservés en priorité aux Messerschmitt Bf 109 E, Bf 110 C, Heinkel 111 P et Junkers 88.
On ne lui confia pas non plus les Jumo 211 qui auraient pu jouer le même rôle.
J'imagine que, équipé de ces moteurs, le Do 17 aurait discrédité sérieusement le Junkers 88 à ses débuts, ainsi que les ingénieurs qui l'avaient conçu.
Je me suis longtemps posé la question de l'origine de cette incohérence (bien heureuse pour nous, évidemment) entre l'expérience des pilotes et les désirs des décideurs.
J'avancerais donc l'hypothèse que, pour une raison ou une autre, Claudius Dornier était mal vu par les décideurs nazis.
Donc, soit il n'était vraiment pas nazi, soit il a refusé de transformer son avion pour le bombardement en piqué.
Par ailleurs, la comparaison avec le programme Français est intéressante.
Il est la matérialisation du chaînon qui a manqué à notre aviation pour frapper la Wehrmacht.
Le Dornier 17, au niveau de ses performances, était assez comparable au Bréguet 462 malgré un avantage de quelques 15 km/h (grâce à des moteurs plus puissants).
Mais il portait, au maximum, 50 % de bombes en moins, 1 800 km moins loin.
Il était également nettement moins rapide dans toutes les dimensions que l'Amiot 340.
Mais il devait être plus manœuvrant.
Dornier Do 215, le successeur gommé
La cellule était identique, à l'exception des 2 moteurs qui devenaient, enfin, des Daimler-Benz DB 601 Ba à refroidissement par liquide développant 1 100 Cv chacun.Du coup, la masse en charge passait à 8 800 kg.
Les performances changeait drastiquement :
Vitesse maximale 485 km/h en altitude, vitesse de croisière rapide 460 km/h.
La vitesse minimale restait raisonnable (125 km/h).
Le plafond pratique passait à 9 000 m, la montée à 1 000 m ne demandant que 2 minutes.
L'autonomie maximale était de 2 450 km.
Cet engin posait sûrement beaucoup de problèmes :
- aux chasseurs MS 406, incapables de le suivre sauf en voltige pure,
- aux Hurricane Mk I,
- aux Curtiss H 75 au dessus de 6 000 m.
Il ne posait pas spécialement de problème au Dewoitine 520 ni au Spitfire Mk I pas plus qu'il n'en aurait posé au Nieuport 161.
Cependant, il fallait plus de temps pour l'intercepter dans tous les cas. En conséquence, il aurait significativement réduit les pertes en personnels navigants de la Luftwaffe.
Cet avion fut construit à une centaine d'exemplaires seulement, bien heureusement pour nous tous.
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