lundi 1 février 2016

Le chasseur Mureaux 170 : Brillant, bien dessiné...puis éliminé (Révisé 20 / 10 / 2022)



La défaite de Juin 1940 a été causée par de (vraiment) très nombreuses causes dont l'accumulation n'a pas été analysée dans des documents largement diffusés.

Ces causes, pour partie, se trouvent à l'intérieure de la politique étrangère et militaire de nos alliés Britanniques qui, en même temps, toléraient le réarmement Allemand, empêchaient le réarmement Français, tout en perdant beaucoup de temps dans leur propre réarmement !

Une bien plus faible partie se retrouve en Belgique et aux Pays-Bas.

Mais la part la plus importante des causes de cette défaite se trouva dans la structure d'Etat de la France et dans les méthodes de décision et de choix de nos dirigeants.

La quantité ahurissante des erreurs commises par nos décideurs a fini par faire croire aux Allemands qu'ils disposaient de la première armée du Monde, commandée par les meilleurs chefs et qu'ils étaient imbattables.

Comme ce fut régulièrement le cas depuis que l'Histoire écrite existe pour tous ceux qui se croient invincibles, ils le payèrent très cher. 



Le programme Français des chasseurs de 1930-31


Ce programme fut lancé pendant la politique des prototypes de Mr. Caquot.

Il s'agissait de disposer d'avions capables d'atteindre au moins :
  • 300 km/h au niveau de la mer. 
  • 350 km/h à 3 500 m d'altitude.
  • 325 km/h à 6 500 m d'altitude.
On exigeait aussi :
  • Un plafond de 10 000 m.
  • Une autonomie 2 h 15 minutes à 230 km/h (soit ~520 km au total).
  • Une vitesse d'atterrissage n'excédant pas 100 km/h.
  • Un emplacement permettant le montage d'un émetteur/récepteur de radio.
  • Un coefficient d'essai statique de 20 (!).
  • La meilleure visibilité possible pour le pilote. 
    • Si une telle exigence était (et sera, de tout éternité) absolument légitime, les modalités définies dans ce concours démontraient qu'il s'agissait, en l'occurrence de la pensée d'officiers essentiellement "rampants", mais certainement pas de pilotes "normaux". Cette visibilité théorique était définie par un système de points.
    • Mais, ainsi que chacun le sait, la visibilité vraiment indispensable au pilote de chasse est celle qui permet de voir l'adversaire que l'on veut combattre : Donc, prioritairement, celle du secteur qui englobe le collimateur.

Compte tenu des technologies disponibles, les performances demandées signifiaient l'obligation de disposer d'un moteur à compresseur, justement au moment où les 3 grands motoristes Français proposaient chacun un moteur ainsi équipé :
  • Hispano-Suiza présentait le 12 Xbrs de 690 Cv à  2 600 t/min et 3 900 m d'altitude,
  • Lorraine présentait un moteur très comparable mais un peu plus lourd, le Pétrel donnant 720 Cv à 2 650 t/min et 3 600 m d'altitude, 
  • Gnome & Rhône présentait le GR K 14 de 900 Cv à 2 300 t/min et 3 770 m d'altitude.
Plusieurs options d'armement furent présentées :
  • 4 mitrailleuses de 7.5 mm.
  • 1 canon de 20 mm dans l'axe de l'hélice et 2 mitrailleuses de 7.5 mm.
  • 2 canons (un dans chaque aile).

Dans l'offre présentée par les avionneurs Français, 10  prototypes furent commandés par l'Etat.

Ce fut l'occasion de voir simultanément présentées un certain nombre de formules aérodynamiques vantées de par le monde.
  • L'aile basse auto-porteuse simple :
    • Dewoitine 500, mariant le fuselage conçu pour l'hydravion HD 41 de la coupe Schneider avec une voilure échancrée à l'aval de son ancrage au fuselage (une mauvaise idée),
    • Hanriot 110 à fuselage bipoutre et hélice propulsive, avec l'armement concentré dans le nez,
    • Wibault 313 à moteur en étoile (en l'occurrence peu puissant et de 1.30 m de diamètre !) et hélice à pas variable (apparemment, pour la première fois au monde).
  • L'aile basse auto-porteuse hyper-sustentée du Bernard 260.
  • Le biplan Spad 510.
  • L'aile mouette, dite aussi polonaise (inspirée des chasseurs PZL 1, 7, 11 et 24), avec les Dewoitine D 560, le Loire 43, l'ANF Les Mureaux 170 et le Gourdou 482).
  • L'aile parasol "trouée" des Nieuport 122 / 121 / 123 (puis 125).



Le Mureaux 170


Le Mureaux 170, création de l'ingénieur Brunet, représentait, malgré ses haubans et son train fixe, une étape nouvelle dans la chasse aux résistances parasites.




Mureaux 170Un fuselage très aérodynamique, particulièrement fin et un revêtement bien lisse.
Il eut été parfait avec une aile basse.


Long de 7.90 m, sa voilure avait une envergure de 11.38 m et une surface de 19.56 m² .

Sa masse atteignait 1148 kg à vide et 1630 kg au décollage, ce qui lui assurait 85 kg/m² de charge alaire, une valeur tout à fait adaptée pour en faire un chasseur très agile.


Les performances en furent très élevées et il se démontra particulièrement manœuvrant.

Louis Bonte (Histoire des Essais en Vol, Docavia 3) lui attribuait un plafond de 13 000 m et lui reconnaissait "d'excellentes qualités de vol".

Les vitesses furent les suivantes  (Les Ailes du 25 Janvier 1934) :
  • 356 km/h  à  3 000 m
  • 376 km/h  à  4 750 m
  • 371 km/h  à  6500 m (368 km/h au régime nominal)
  • plafond pratique de 11 100 m
  • Vitesse minimale 110 km/h                                
  • La montée à 10 000 m prenait 23 minute et 25 secondes (un temps tout à fait excellent sur lequel le Dewoitine 500-01 perdait près de 3 minutes et le Bernard 260 en perdait 7 !)

Cet avion fut considéré à l'époque comme le plus rapide chasseur de France

Un incident significatif eut lieu pendant les essais menés à Villacoublay, en Novembre 1933.

Par suite d'une panne d'inhalateur, à la fin d'une double montée à 10 000 m, le  pilote Guignard s'évanouit et ne reprit ses sens qu'à 3 500 m, découvrant que son Mureaux 170 était en descente accélérée, plein moteur. 

Il n'éprouva aucun problème à en prendre le contrôle.

Les enregistrements montrèrent que le moteur Hispano-Suiza 12 Xbrs, entraîné par son hélice à pas fixe, avait tourné à 2 900 t/m, bien au-dessus de la limite autorisée de 2600 t/m, et que la vitesse sur trajectoire avait dépassé les 600 km/h.

Pour autant, rien n'avait bougé dans l'avion, aucune vibration n'avait été perçue et aucun réglage ne fut nécessaire pour recommencer à voler.

C'était la récompense à la fois d'un aérodynamisme soigné dans les moindres détails et d'une impressionnante résistance structurale.





Mureaux 170 - Le pilote "bénéficiait", hélas, de 2 angles morts induits par les racines des ailes façon PZL.


Dans sa livraison du 8 Mars 1934, l'hebdomadaire Les Ailes corrigeaient les valeurs des performances précédentes en fonctions des progrès réalisés depuis :
  • 380 km/h  à  4 500 m
  • 372 km/h  à  6500 m
  • Le plafond pratique restait identique à sa valeur précédente de 11 100 m
  • Vitesse minimale descendait à 106 km/h                                
  • Le roulement était de 110 m au décollage et de 140 m à l'atterrissage.
  • La montée à 10 000 m prenait juste 23 minutes
Cet avion était donc l'intercepteur parfait de cette génération de chasseurs.

Il gardait cependant un défaut : Sa visibilité réelle était réellement médiocre au moment de l'atterrissage.

Ce fut le prétexte de sa perte.

Pourquoi dire cela ? 

Parce que le chasseur concurrent Loire 46, équipé du même type de voilure, fut construit en série après un ensemble de modifications destinées à lui conférer une meilleure visibilité (au prix d'une traînée fortement accrue).

Loire_46  en livrée des Républicains Espagnols - Quelle étonnante bosse créée juste en amont de l'emplanture des ailes !


Ce Loire 46 était inférieur sur tous les plans au Mureaux 170, bien que plus puissant de 240 Cv (preuve d'une aérodynamique mal étudiée). 

Confronté à l'excellent chasseur biplan Fiat CR 32 pendant la guerre d'Espagne, ce Loire 46 ne réussit pas à y établir la moindre domination. 

Il constitua une commande bien inutile, comme celle du Dewoitine 371 / 376 contemporain, ce dernier étant, en plus, particulièrement fragile sur les plans du moteur et de la structure.

Si le CEMA avait eu la même longanimité vis à vis de l'équipe de l'ingénieur Brunet, son avion eut été sauvé et commandé


Car le Mureaux 170 avait, lui, de toutes autres possibilités. 

Eut-il été commandé, la notion d'alerte aérienne aurait enfin pris tout son sens et les combats à l'énergie potentielle maximale seraient devenus courants, imposant l'importance de la vitesse ascensionnelle dans l'esprit des décideurs.


Certes, on finit par commander, mais avec deux de retard, le Blériot-Spad 510, extraordinairement manœuvrant, aussi bon grimpeur mais un peu moins rapide et, surtout, moins solide.



L'histoire a quand même continué


J'ai écrit un peu plus haut que le rejet du Mureaux 170 avait eu pour prétexte une mauvaise visibilité.

Vous voulez la preuve de la bizarrerie des services techniques (STAé, CEMA, etc) ?

Au moment où le monoplace 170 était rejeté dans les ténèbres extérieures, le STAé encouragea les équipes de différents constructeurs Français à développer des avions à partir de cette génération de chasseur : 
  • Bernard 261 à train rétractable à partir du lourd Bernard 260 (ce développement fut le seul intéressant pour un Bernard),
  • Dewoitine D 503, D 510 et D 511 à partir du Dewoitine 501 (le gain de 25 km/h était peu significatif pour les 2 premiers cités et l'on refusa le D 511 qui aurait permis une meilleure vitesse),
  • Hanriot 115 à partir du lent - mais astucieux - Hanriot 110,
  • Nieuport 125 à partir du NiD 122.
Ces quatre chasseurs étaient destinés à employer le moteur Hispano-Suiza 12 Ycrs rétablissant 860 Cv à 3200 m.

Quant à l'équipe des Mureaux, elle fut encouragée à développer une version biplace de chasse de son 170, le
Mureaux 180, tout en gardant le même moteur HS 12 X...





Mureaux 180 - document personnel de l'auteur - Ou : comme il est facile de détruire la finesse d'un bon avion...


Ce nouveau chasseur partageait la même voilure, mais (curieusement) sa longueur de fuselage fut réduite à 7.83 m. 

L'habitacle était entièrement fermé par une verrière continue dont la ligne ne s'intégrait malheureusement pas à celle du fuselage, ce qui explique, entre autre, l'adoption d'une double dérive.

Sa masse était à vide à 1220 kg - soit + 72 kg par rapport au monoplace (?) - et atteignait 1953 kg au décollage (+ 320 kg par rapport au Mureaux 170).

La différence de masse au décollage était normale, celle de la masse à vide est étonnement faible, puisqu'il avait fallu, quand même, introduire un siège pivotant et son arrimage, une mitrailleuse et son affût, et, enfin, une verrière complète. 

On peut imaginer que la somme de tout ces ajouts devait correspondre aux 320 kg d'excès de masse au décollage du biplace sur le monoplace dont on défalquerait les 90 kg du mitrailleur, ce qui laisserait 230 kg...


L'avion vola sans problème pendant 2 ans à Villacoublay. 

On annonça une vitesse de 380 km/h, identique à celle du monoplace malgré la verrière et le radiateur frontal (constituant un véritable mur) et un moteur 12 X identique à celui du monoplace. 

Il va de soi que l'avion ne pouvait pas atteindre ces performances.

Toujours est-il que le Mureaux 180 ne fut pas commandé, parce qu'il était devenu "obsolète"...

Par contre il eut permis de bien meilleurs résultats que les Mureaux 115 et 117 dans la reconnaissance et l'observation !


L'étude et la construction d'un autre biplace de chasse à aile Polonaise fut néanmoins lancé en 1937, le Delanne 10 C2.

On ne peut que se perdre en conjecture sur cette persistance dans deux erreurs pendant environ dix ans : L'aile Polonaise et le monomoteur biplace de chasse.


Une bien meilleure option existait : Transformer le Mureaux 170 en chasseur à aile basse cantilever et hélice à pas variable. 

Cela aurait permis d'éliminer quantité de mâts et de réduire un peu le maître couple, au prix d'une modeste augmentation de masse. 

Une vitesse nettement supérieure à 400 km/h aurait alors été possible. Un tel chasseur aurait été très près du Morane 405, et sans aucun doute plus manœuvrant








4 commentaires:

  1. Juste une demande d'éclaircissement sur le terme de Un "coefficient d'essai statique de 20 !".
    Qu'est ce que donc ? d'autant que cela doit être important puisque vous mettez un !
    La valeur de 20 est-elle exceptionnelle ? qu'implique t'elle ?

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  2. Le coefficient d'essai statique est le facteur de charge maximal que peut supporter un avion sans casser.

    En réalité, les essais étaient conduits sur des parties isolées de l'avion (voilure, fuselage, empennages, volets, ailerons, bâti-moteur) qui n'avaient pas toutes à répondre aux mêmes exigences.

    La norme Française de l'époque exigeait que les avions de transport "tiennent" un coefficient 7, alors que les autres pays se contentaient de 4.4 ou 5.

    Nos avions étaient donc plus lourds que les autres, mais aussi plus solides. Un Mitsubishi A6M2 tenait 10 ou 11 g et pouvait avoir une masse à vide de 1750 kg, soit 340 kg de moins que le Dewoitine 520 pensé au coefficient 17 !

    Cette exigence a plombé les ventes d'avions commerciaux, la charge utile de nos bombardiers et les performance de montée de nos chasseurs.

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  3. Je lis votre blog depuis un petit moment déjà et je dois dire que lorsqu'on se penche sur l'organisation de l'Armée Française avant 1940, on ne peut faire que comme vous et constater l'inénarrable gabegie qui régnait alors, non seulement au sein de l'armée de l'air (cas d'école) mais aussi au sein des autres armes : les tanks légers encore équipé de du SA18, le retards pris dans l'aéronavale (comme vous le montrez bien d'ailleurs), les chicanes et l'incompétance à tout niveaux... La liste et longue. Mais ce qui fait surtout enrager, quand on aime son pays, c'est las liste au moins aussi longue des occasions manquées qui eussent permis de raconter une Histoire différente.

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  4. Comme me disait une historienne, connaître l'Histoire est la seule manière d'éviter de refaire deux fois les mêmes erreurs.

    Vous en soulignez très bien la liste infinie des bêtises de l'Avant-Guerre.

    Mon but, cependant, est de montrer que notre pays avait souvent eu la possibilité de faire les meilleurs choix.

    Ce ne fut pas le cas des Polonais, par exemple, que ce soit dans le domaine des chars, de l'Aviation (volume et types d'avions) ou des alliances. Il ne leur resta que le courage.






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