jeudi 22 mars 2012

Le bombardement Français - 1939 : Le grand gagnant (?) (Révisé 15 / 03 / 2022 ***)



Le programme : Un bombardier qui serait aussi agile et rapide qu'un chasseur

{Source : Essentiellement le Docavia # 23, LEO 45, Amiot 350 et autres B4, de Jean Cuny et Raymond Danel}


Le programme de Novembre 1934 des bombardiers dits B4 - pour bombardement, 4 places - exigeait des avions les plus rapides possibles. 

Au départ, on voulait une vitesse de 400 km/h, puis, un peu plus tard,  on s'était rallié à 470 km/h, soit 20 km/h plus haut que les chasseurs demandés 4 mois plus tôt, allez donc comprendre !...

Autre exigence : Utiliser un certain moteur défini par l'Etat et non le moteur de son choix. 

Il me faut rappeler quelques données pour expliquer l'aspect ubuesque de cette chose :
  • Les divers constructeurs aéronautiques n'étaient jamais payés bien cher. 
  • L'Etat payait en retard les avions qu'il achetait le moins cher possible pendant qu'il organisait une inflation galopante, donc il fonctionnait en s'endettant, puis en dévaluant la monnaie, air connu, non ? 
Voilà donc pourquoi nos meilleurs constructeurs étaient dans l'impossibilité d'investir pour développer des avions sur leurs fonds propres, d'où un retard permanent sur la livraison des avions au meilleur standard.

En ce temps là, l'équipement le plus coûteux d'un avion était le moteur. 

L'Etat devint donc l'acheteur du moteur, donc la décision sur ce choix était le fait, non de l'avionneur, mais d'une commission de "décideurs" dont la compétence n'avait jamais été réactualisée. 

La fameuse commission était, de plus, soumise aux pressions de divers lobbies. 
Aux USA, ces derniers sont une plaie, mais, au moins, ils sont bien visibles et peuvent ainsi êtres contrés par des lobbies antagonistes.
Rien de tel dans la France de la IIIème République. 

Bien sûr, les citoyens n'entendaient jamais parler des fameuses commissions dont l'opacité feutrée permettait n'importe quelle manipulation. 

Ces commissions étaient-elles au moins constituées de gens compétents ? 

C'était ce que, bien sûr, leurs membres prétendaient, mais seule l'Histoire peut valider, a posteriori et sans appel, la compétence - ou l'incompétence - des décideurs.

On croyait alors qu'avoir passé un concours (ou un examen) apportait une compétence, ce qui est une donnée totalement indépendante. Passer ce genre d'épreuve théorique est très difficile, certes, mais cinq ans après, il n'en reste rien : La réalité a déjà changé.

La défaite de Juin 1940 a amplement démontré leur totale incompétence dans tous les domaines.

C'est que passer brillamment des examens ou des concours définit juste un niveau de connaissances anciennes apprises

Voilà qui n'a rien à voir avec une compétence, mot qui signifie que l'on dispose, en plus de l'indispensable savoir scolaire, de la capacité d'anticiper pour préparer l'avenir, de sortir des sentiers battus, au risque, négligeable, de devoir réinventer la roue.

A ce propos, imagineriez-vous votre merveilleuse voiture rouler avec les roues des chars à bœufs des Rois Fainéants ? 

Pour ceux qui en ignorerait l'existence, l'image qui suit montre une paire de roues très novatrices, puisque totalement dépourvues de moyeux.




Roue orbitale de Franco Sbarro : La roue joliment réinventée !


Comme quoi, il est bon de revisiter les plus vieilles technologies.


Un prototype très innovant ? On va s'en servir pour mettre au point des moteurs prototypes !


En 1936, se fondant sur une vague publicité et des promesses, nos commissionnaires décidèrent de choisir, sur le papier, un gros moteur radial à refroidissement à air  - annoncé initialement pour 1 300 Cv - de chez Hispano-Suiza, par ailleurs excellent spécialiste des moteurs en ligne refroidis par liquide.

Il est vrai que Gnome et Rhône connaissait quelques problèmes avec ses moteurs 14 Kirs / Kjrs et que c'était un bon moyen de mettre ce motoriste sous pression.

Le moteur radial Hispano-Suiza s'inspirait de moteurs américains Wright, firme qui avait fourni à la firme Française des licences de moteurs radiaux à une seule étoile connus pour leur fiabilité. 

J'ai reçu d'Alain Breton des informations intéressantes contredisant ce que j'avais lu précédemment sur le sujet et qui montrent qu'il s'agissait bien d'un moteur Hispano-Suiza original, différent du Wright 2600. 

Il s'agissait d'un 14 cylindres en double étoile d'un diamètre plus faible de 3 cm que le Wright. 
Ce nouveau moteur était aussi plus léger, mais son régime de rotation était, à ce stade en tout cas, plus faible. 

Par ailleurs, probablement parce que Hispano destinait au départ ce moteur aux compagnies aériennes civiles qui utilisaient toutes de l'essence à 100° d'octane, ce moteur tendait à chauffer avec l'essence à 87° d'octane en usage dans nos Armées (voir mon article sur la standardisation à outrance).

La tendance à chauffer de ce moteur était due, outre l'emploi de cette essence de qualité moyenne, à une étude insuffisante des capotages moteur et de la circulation d'air qui devait y être organisée (voir mon article sur les moteurs en étoile). 

Cela provoqua nombre de pannes pendant une bonne année (soit un délai tout à fait normal de mise au point d'un moteur, à cette époque). 

Malheureusement, ce délai bloqua d'une durée équivalente le développement de tous les bombardiers prototypes Français.


Il eut été pourtant facile de demander aux avionneurs de préparer d'avance 2 jeux de supports moteurs et de capotages, ce qui aurait permis de mettre au point aérodynamiquement chaque avion en un temps très rapide. 

C'est bien sûr la démonstration parfaite que les commissions du STAé (Service Technique de l'Aéronautique) étaient totalement incapables de s'adapter aux réalités du moment, ce qui prouve leur absence de compétence.


A force de modifications, Hispano finit, bien sûr, car les ingénieurs y étaient excellents, par faire fonctionner très correctement ce moteur sur les deux derniers prototypes à en avoir été équipés, le Latécoère 570 et le Koolhoven FK 58. 

C'était en 1939 : Il était trop tard, la guerre était imminente. 

Par contre, l'importance des moyens consacrés à la résolution de ces problèmes chez Hispano avait entraîné un gros retard sur les moteurs en ligne de la marque, qui explique pourquoi le 12 Y 51 de 1 000 Cv sortit avec un an de retard...hélas pour  pour nos pilotes de chasse.
 

Le bombardier qui largue les chasseurs : Merci Père Noël !


L'idée majeure du programme était que les nouveaux bombardiers devaient avoir une vitesse de pointe supérieure à celle des chasseurs en projet dans notre pays.

Bien sûr, la vitesse de référence des chasseurs ennemis étant celle du pauvre Morane 405, le "meilleur chasseur du Monde", nos bombardiers seraient donc forcément capables de larguer tous les chasseurs du Monde !

Cette idée grotesque était fondée sur l'effet de mode déclenchée par l'impression somptueuse que l'arrivée du prototype du Heinkel 70 avait déclenchée chez les participants du Salon de l'Aviation de Paris qui avait au lieu à la fin de l'année 1934

Même si je suis le premier à dire que certains chasseurs Français - surtout le Nieuport 161 - étaient vraiment très bien conçus (j'ai presque commencé mon blog par ce sujet), cela  ne pouvait pas, pour autant, signifier que les chasseurs étrangers ne bénéficieraient jamais d'avancées techniques imprévues !

De toute manière, ce concept, en lui-même, était faux. Il suffisait de se poser les bonnes questions pour en prendre conscience :

En partant d'un avion monoplace à la pointe de l'aérodynamisme, comme le Caudron 450 de course qui volait à 450 km/h avec un moteur d'un peu plus de 300 Cv, on pouvait extrapoler un chasseur de 860 Cv (le plus puissant moteur Français disponible à ce moment). 

On aurait alors vu que l'augmentation de puissance (par un facteur de 2.75) permettait d'avoir un avion à la fois nettement plus rapide que le Caudron (disons 500-520 km/h), correctement armé et capable de se projeter à plusieurs centaines de kilomètres. On aurait, par sécurité, rajouté 30 km/h, soit 550 km/h.

De là, on était en droit d'exiger un bombardier volant à 550 km/h ! 

Cela imposait un avion particulièrement puissant et aérodynamique, dont on peut, de nos jours, considérer que le meilleur exemple fut le Boeing B 29 américain (580 km/h), équipé de 4 moteurs de 2 200 Cv en 1944 !

On en était bien loin en 1936, et, cela, où que ce soit dans le monde. 

Et pourtant, en 1944, même le B 29 était à la portée d'un avion de chasse volant au-dessus de lui et qui, en piquant sur lui, pouvait le rattraper et le descendre, ce qui s'est passé quelques fois au dessus du Japon. 


Le plus rapide des bombardiers français, le Farman NC 150, dont le prototype avait été construit sans hâte aucune (hélas), aurait sans aucun doute ridiculisé le Messerschmitt 109 E de 1940 sans difficulté. 

Par contre, c'est la version Bf 109 F qu'il aurait rencontré à sa sortie, début 1941, et les choses eussent été plus difficiles pour lui...

Non, un bombardier ne peut jamais être sûr de revenir à sa base : Une fois en l'air, il est la proie naturelle des chasseurs.

Le général Giulio Douhet, pour obtenir la maîtrise de l'air, raisonnait comme si les avions se comportaient comme des cuirassés

Son raisonnement - sur ce plan - était entièrement faux, mais il existe encore des gens qui continuent dans cette voie.


En réalité, les commissions Françaises étaient dominées par des hommes qui volaient rarement (ou alors dans de vieux Potez XXV) et qui, de ce fait, n'avaient plus le moindre sens tactique du combat aérien

Faute de cette qualité essentielle, ils raisonnaient de manière théorique sans détecter celles de leurs prémisses qui étaient fausses.


La vitesse d'un avion de chasse dépend essentiellement de son aptitude à grimper vite au-dessus des appareils ennemis pour transformer cette différence d'altitude en gain foudroyant de vitesse. 

Bien entendu, il faut, quand même, que ledit avion de chasse grimpe suffisamment vite.




Latécoère 570 : excellent avion, bien pensé par un constructeur compétent dans le domaine des avions lourds. Les échappements perpendiculaires au fuselage, expliquent le petit déficit de vitesse



Et le bombardier tuera le vilain chasseur en tirant droit entre ses deux dérives !


Autre exigence, les avions DEVAIENT obligatoirement être équipés d'un empennage à double dérive pour permettre le tir d'un canon de 20 mm.

Ce type d'empennage était corrélé avec le choix du canon arrière dorsal et avec la prétention de disposer d'avions très rapides.

Cette exigence étonnait les constructeurs eux-mêmes et certains - Amiot en particulier - n'arrivèrent pas à la prendre au sérieux, ce qui leur coûta très cher.

Mais le seul constructeur qui trouva une véritablement bonne solution bi-dérives (Latécoère pour son Laté 570, voir photo ci-dessus) ne remporta aucun marché, parce qu'il avait refusé la nationalisation. 

C'était quand même une incohérence coupable.

Si on regarde les bombardiers de cette guerre, force est de constater que les avions les plus construits furent mono-dérive. 

Il y avait plusieurs excellentes raisons à cela :
  • En vol lent, donc aux grands angles d'incidence de la voilure sur le lit du vent relatif, les deux dérives sont le plus souvent masquées par les fuseaux moteurs ou par les trains d'atterrissage, ce qui rend les avions très délicats à contrôler au décollage et à l'atterrissage, justement les moments les plus délicats du vol.
  • La double dérive se comporte comme un système d'oscillateurs couplés. Des vibrations sont induites par les turbulences émises par les fuseaux moteurs. Il y a donc un risque d'entrée en résonance, puis de rupture de la cellule. On lutte contre cette résonance en rigidifiant les attaches de chaque dérive, ce qui se fait par des renforcements, et cela entraîne une augmentation significative de la masse de l'avion, ce qui diminue obligatoirement sa vitesse et sa maniabilité...
  • Aux grandes vitesses de piqué, l'engin devient très difficile à mettre au point (longues pertes de temps).
  • Alors qu'un empennage mono-dérive induit 1 angle mort, un bi-dérives en induit 2...

Les bombardiers Américains que nous décidâmes d'acheter en 1938 (Douglas DB 7 Boston et Martin 167 Maryland), utilisaient tous, bien sûr, un empennage mono-dérive. 

Et ils volaient plutôt bien. Nos décideurs s'en accommodèrent très bien, mais pour ceux-là seulement. 

Deux poids et deux mesures : L'esprit républicain, comme le respect de la logique, étaient bien loin. 

Par contre, et bien plus grave, nos mêmes décideurs s’accommodèrent très bien de l'absence de réservoirs auto-obturant sur ces avions, équipements qui étaient de règle sur nos bombardiers nationaux. Là, c'était quand même très, très irresponsable...



Et pour finir, je veux un canon !


On avait
 décidé, je l'ai évoqué plus haut, qu'il fallait défendre tous nos bombardiers moyens avec un canon dorsal qui tirait entre les deux fameuses dérives. 

Le canon en question était l'Hispano-Suiza HS 404, qui possédait d'excellentes capacités balistiques et un pouvoir destructeur mortel.

Oui, mais... 

C'était, là encore, une vision de gens qui raisonnaient depuis leur confortable fauteuil en rêvant à l'intérieur d'un monde à deux dimensions.  

C'est la différence de vitesse ascensionnelle instantanée entre le chasseur et le bombardier qui va le plus souvent décider de l'issue d'un combat. 

Or, même un chasseur ancien et "mauvais" grimpeur (style Morane 406) pouvait changer très vite son angle d'attaque sur quelque plan que ce soit par rapport à un avion 5 fois plus lourd. 

Cela était dû à sa faible inertie et à son bien meilleur rapport poids/puissance. 


Par contre, le bombardier, avec sa masse supérieure (et son maître couple à l'avenant), présentait une forte inertie que rien ne lui permettait de combattre.

Si le canon avait eu une vitesse initiale double de celle d'une mitrailleuse (voire, pourquoi pas, un canon laser ;-) ) en même temps qu'un système de visée permettant une très grande précision lorsque les chasseurs étaient encore très loin (à 2 000 m), alors, oui, le bombardier aurait pu se protéger efficacement.

Mais ce n'était pas du tout le cas, la précision ne permettait pas de tirer à plus de 400 m et le canon ne disposait, pour se recharger après avoir mangé son chargeur de 60 obus, que de chargeurs de 30 obus : 3 à 4 secondes de tir. 

Il fallait donc le recharger souvent. 

Le tambour de 30 obus contenant les munitions pesait environ 14 kg, et il n'était pas tout près ! (celui de 60 obus pesait 26 kg).

Comme le bombardier attaqué essayait d'éviter les tirs ennemis en virant aussi serré que possible, les g augmentaient le poids à 30 kg, voire 45 kg. 

Vous arrivez à manipuler de tels poids avec précision d'une seule main et à bout de bras, vous ? 
Moi jamais (même quand j'étais bien plus fringant), alors félicitations, vous êtes vraiment particulièrement costaud, façon Rambo!

Une (ou mieux, deux) mitrailleuse(s) de 12.7 mm auraient permis de disposer un mur de balles lourdes et rapides devant le chasseur attaquant. 

Ce dernier étant un avion léger, il n'aurait pas aimé du tout ce type de réception, je vous le garanti !


Un avion parfait !...?

Cet avion était le Lioré-Olivier 451, enfanté par les ingénieurs Pierre-Etienne Mercier et Jacques Lecarme. 

J'ai vu, de mes yeux, au moins un de ces avions dans le hangar d'un aérodrome (il me semble que c'était à Boufarik, près d'Alger) lorsque j'avais entre 5 et 7 ans (donc entre 1950 et 1952), avec sa haute silhouette caractéristique et ses moteurs bâchés. 

Les adultes autour de moi disaient, en baissant un peu la voix, que c'était "un avion de guerre". 
C'était une marque de respect, mais surtout, la marque de souvenirs qu'ils voulaient oublier.

Moi, évidemment je n'y comprenais rien, mais il me paraissait méchant.

Il me suffit de le revoir dans ma tête pour détecter le soin très raffiné de son étude aérodynamique. 

Les ailes minces (15 % d'épaisseur relative à l'emplanture à 11% à l'extrémité de l'aile d'après Lecarme) et effilées, les capots moteurs très originaux, tout était optimisé pour la vitesse. 

Le fuselage était élégant tout en assurant une bonne visibilité au pilote, au bombardier et au mitrailleur.

Le LéO 451 avait une longueur de 17.170 m.

Sa masse était de 7820 kg à vide et de 11 400 kg au décollage.

La voilure présentait une envergure de 22.520 m et une surface totale de 68 m².

La charge alaire atteignait donc 168 kg/m².


LéO 451 en vol 



Vitesses en fonction de l'altitude (1938), à la masse au décollage de 10 500 kg :
  • 0 m                     388 km/h
  • 1 000 m              410 km/h
  • 2 000 m              432 km/h
  • 3 000 m              453 km/h
  • 4 000 m              476 km/h
  • 5 000 m              502 km/h
  • 6 000 m              490 km/h
  • 7 000 m              476 km/h
  • 8 000 m              457 km/h
  • 9 000 m              434 km/h
Ces qualités de vitesse étaient tout à fait bonnes pour l'époque, puisqu'il fut crédité de 502 km/h à 5 100 m d'altitude.

{Léger bémol cependant : Ces vitesses obtenues n'étaient pas celle d'un avion de série normal, car celui-ci avait vu toute sa surface mastiquée, ce qui lui permettait de gagner une petite dizaine de kilomètres/heures}.




Collection personnelle de l'auteur - Premier point d'une réponse à l'auteur d'un article d'Aviation Magazine (années 60) dans laquelle Jacques Lecarme donnait l'éventail des vitesses des LéO 451 à leur réception. Son interprétation des vitesses mesurées plus basses n'est pas convaincante, la finition des avions variant significativement d'une usine à l'autre.



Pour mémoire, la photo ci-dessus donne une idée de la dispersion des vitesses de pointe des LéO 451 à la meilleure altitude. 

Cette variation de 36 km/h n'était pas négligeable du tout. 

Lecarme avance l'hypothèse, qu'il eut été facile de vérifier, du rodage insuffisant des moteurs. 

Si tel avait été le cas, la distribution des vitesses serait formée de deux populations presque distinctes (bimodale). 

Il me semble qu'il l'aurait dit s'il en avait eu la preuve, mais il ne l'a pas fait.

Par contre, la structure de l'avion étant très complexe, la main-d'œuvre qualifiée étant partie au front à cause de l'incompétence des services de mobilisation, j'ai plutôt l'impression que les différences de finition et de masse entre les exemplaires n'étaient pas négligeables.

On expliquerait ainsi que la moyenne tombe pile au milieu et aussi que les exemplaires sortants d'Ambérieux en Bugey aient eut la réputation d'être plus rapides que ceux sortant de certaines autres usines. 

{En 1941, de nouveaux essais donnèrent des performances nettement moins brillantes qu'en 1938 :
  • 0 m                     362 km/h
  • 1 000 m              392 km/h
  • 2 000 m              403 km/h
  • 3 000 m              421 km/h
  • 4 000 m              440 km/h
  • 5 000 m              459 km/h
  • 6 000 m              442 km/h
  • 7 000 m              431 km/h
  • 8 000 m              423 km/h}

Les temps de montée étaient :
  • 1 000 m -->   3' 01"
  • 3 000 m -->   8' 27"
  • 4 000 m --> 10' 56" 
  • 5 000 m --> 13' 31"  
  • 6 000 m --> 17' 26"  
  • 8 000 m --> 28 minutes   

Le plafond pratique dépassait à peine 9 000 m, indiquant que cet avion était trop lourd pour sa traînée et la puissance installée.

Ces performances furent révisées un peu plus tard pour la série : 
  • Vitesse de pointe :                      495 km/ à 4 800 m,
  • temps de montée à 5 000 m :      14 minutes : L'avion montait moins vite que l'un de ses concurrents (Amiot 340-01) dans le rapport de 1 à 2.
  • Vitesse de croisière :                  360 km/h, permettant une autonomie de 2 300 km avec 500 kg de bombes.

Une première raison de cette lourdeur résidait dans la volonté de disposer d'un avion permettant des manœuvres très brutales, type chasse, certainement à cause des suggestion de Jacques Lecarme, pilote de chasse et de voltige, qui avait participé à la conception et aux essais en vol.

La publicité de la SNCASE dans le numéro du 10 Juin 1938 de l'hebdomadaire Les Ailes annonçait fièrement :


Le O - 4 5
10 Tonnes
 L'Armement et la Charge utile du gros bombardier 
La Vitesse et la Maniabilité de l'avion de chasse


Cela ne suffit cependant pas à expliquer ce sur-poids. 

Comme chacun le sait, les avions sont plus lourds que l'air et chaque kilogramme en excès de leur structure signifie donc soit une perte de charge utile soit une perte de vitesse.

Car, si l'ingénieur Mercier était un spécialiste des structures d'avion, c'est la première fois qu'il concevait un avion entier et qui plus est, un avion de bombardement, donc un avion très spécialisé.

Il a donc réalisé une sorte de chef d'œuvre au sens moyenâgeux du terme, c'est à dire un concentré de tout ce qu'il savait faire de plus sophistiqué.

Et c'est vrai, son "bébé" était à la fois beau et très solide.

Mais cet excès de poids signifiait aussi des performances ascensionnelles très moyennes et un plafond médiocre.

Donc, quitter le sol à pleine charge était moins facile avec le Lioré 451 que sur des avions moins pensés pour la maniabilité.


Un problème très grave - et connexe - apparut dès que l'avion fut intégré au sein des unités opérationnelles : La moindre dissymétrie de puissance au décollage entraînait un crash, mortel lorsque l'avion était à la fois plein d'essence et rempli de bombes. 

Du 3 Septembre 1939 au 10 Mai 1940 inclus il y eut 20 accidents dont une partie très importante causa des décès et des blessures graves (donc handicapantes au moins pour une période longue). 

Cela représentait 20% de pertes, sans la moindre action de l'ennemi !

Les pilotes d'essais n'avaient jamais anticipé ce comportement et ne feront rien pour y remédier, sauf, tardivement (à partir du 18 Mars 1940), lorsque Jacques Lecarme, en personne, ira expliquer aux pilotes la méthode de décollage qui porte son nom et qui consistait à refuser que la roulette de queue quitte le sol (on gardait le manche au ventre) tant qu'une vitesse suffisante n'était pas atteinte. 

C'est assez ironique de la part d'un homme qui écrira avoir lutté toute sa vie pour que tous les avions se pilotent de la même manière !

Puisque la méthode Lecarme aidait à décoller droit, on crut alors que tout allait bien se passer désormais, mais c'était faux. 

Il y eu encore des crashs après le décollage : L'avion payait son excès de masse par des décrochages qui pouvaient aller jusqu'au tonneau déclenché, aboutissant à l'écrasement sur le dos (donc forcément mortel).

Un gros problème d'ergonomie

Tout aussi grave pour la Nation, le LéO 451 était très long à construire malgré le luxe de moyens mis en œuvre pour y parvenir. 

Il fallut 4 mois pour produire les 5 premiers exemplaires du LéO 451, soit un taux de 1.25 avion par mois ! 

Et encore, aucun des avions livrés n'était vraiment opérationnel

J'en profite pour rappeler ce qu'écrivit l'Ingénieur Général Louis Bonte (dans son Histoire des Essais en vol, Docavia 3) sur la famille des bombardiers Bréguet 46x
Le Bréguet 462, qui lui succéda [au Bréguet 460, NDLR], lui était très supérieur à tous les points de vue. (...)
Il ne fut pas construit en série, car il ne répondait pas au programme des bombardiers dont le LéO 45 fut le type. "

Ce texte démontre le blocage par le lobby LéO de la commande en série d'un avion considéré comme excellent. 

A l'entrée en guerre, l'Armée de l'Air ne disposait que de cinq LéO 451 qui n'étaient pas encore au point aérodynamiquement (il ne le fut qu'après la guerre) à la place des 200 ou 300 Bréguet 462 qui, eux, étaient vraiment au point en début 1937 et dont les performances auraient pu être améliorées avec les moteurs de 1939 ou 1940.

Pendant l'hiver 1939-1940, le temps de construction avoué d'un seul exemplaire du LéO 451 était à peine inférieur à 60 000 heures. 




Document de l'auteur - Schéma de structure d'une aile de LéO 451 : on distingue la structure en plis pincés, sorte de tôle ondulée d'épaisseur et de largeur se réduisant vers l'extrémité de l'aile - En l'absence de machine spécialisée inexistante, cela induisait un temps de fabrication considérable pour un avantage quasi nul.


Entre début Septembre 1939 et Mai 1940, une centaine de LéO 451 sortirent, soit une moyenne de 12 avions par mois. 

Alors était-ce le grand succès des nationalisations comme je l'ai lu à satiété ? Sûrement pas. 

Même en Juin 1940, il sera quasiment impossible de descendre en dessous de 45 000 h. 

Jacques Lecarme, à la fois juge et partie, disait, dans une réponse à un article d'Aviation Magazine, que la SNCASE avait livré 450 avions au 24 Juin 1940. 
Mais l'Armée de L'Air en avait réceptionné moins de 350.

A peine plus de la moitié de ces avions ayant été employés par des équipages opérationnels, cela signifie que les avions sortis, même s'ils pouvaient voler, n'étaient pas opérationnels du tout, les sorties d'usines ainsi comptabilisées étaient donc purement administratives.

Une efficacité... tout juste moyenne

Ainsi, sur les 247 LéO sortis d'usine au 1er Mars 1940, seulement 108 furent acceptés

Il leur manquait de nombreux dispositifs nécessaires à l'action armée.

Cela signifie que le 10 Mai 1940, peu de pilotes et d'équipages étaient à même de dominer cet avion.

Optimisé pour la maniabilité en combat aérien, il pouvait passer des boucles (loopings) et des tonneaux, mais, tant pis si je me répète, cela ne servait à rien, ne serait-ce que parce que ces figures n'étaient pas obtenues dans le même temps que c
elui obtenu par les avions de chasse, loin s'en fallait, inertie oblige !

De fait, une fois compris le pilotage de l'avion, et, surtout, une fois qu'il était en l'air, l'engin démontrait effectivement d'excellentes qualités de vol.

Cela permit à quelques pilotes exceptionnels, épaulés par d'excellents mitrailleurs, de se sortir de situations bien compromises, parfois même en descendant des chasseurs.
Mais on devait disposer d'un bombardier, pas d'un chasseur.



Qu'a donc permis de réaliser le bombardier LéO 451 dans son vrai corps de métier ?


Déjà, il subissait de gros problèmes sur le trajet qui menait à l'objectif, puisque dans les 10 premiers jours de combats en Mai 1940, sur 128 décollages réels, 95 vols seulement avaient pu atteindre leur objectif. 

Le taux d'échec sur le trajet aller était donc de 26%, la rançon inévitable d'un avion qui n'était pas encore au point.

Quant au taux de pertes, il était de 31 avions sur les 63 disponibles soit 49%.

C'est un taux de perte équivalent à celui des Bréguet 693 d'assaut, équivalent également à celui des Fairey Battle de la RAF dans leurs meilleurs missions. 

Mais le Lioré 451 ne faisait quand même pas de rase-motte à moins de cent mètres des batteries de Flak ! 

Certes, il exista des décideurs inconscients qui prescrivirent une altitude d'attaque de l'ordre de 1 000 m. 

C'était se priver de l'essentiel de la vitesse de pointe de l'avion (qui diminuait de 80 km/h) !

C'était aussi, entre autre, la traduction directe du fait que personne, parmi les Alliés, ne savait bombarder la Wehrmacht. 

Alors, lorsque vous lisez que tel ou tel avion était mauvais parce qu'il a perdu 50 % de ses effectifs, regardez bien les altitudes de vol exigées et l'escorte de chasse fournie. 

Ironiquement, le CEMA, en favorisant honteusement la commande du Morane 406 plutôt que celle du Nieuport 161 qui était plus rapide d'au moins 50 km/h, a contribué à augmenter les pertes de ce bombardier puisque, avant l'arrivée du Dewoitine 520 en Mai 1940, seul le Nieuport avait la capacité d'escorter le LéO 451 !

Au total, il faut compter environ 80 avions perdus (toutes causes confondues) sur environ 180 engagés dans les unités combattantes, soit un taux de pertes de 44.5%. 

Le taux de pertes global s'était donc progressivement abaissé de 5% pendant la Bataille de France.

Tant mieux.

Les équipages revendiquèrent une douzaine de victoires sur la Chasse Allemande, ce qui est honnête, mais sans plus.

Il faut dire que les bombardiers étaient envoyés par petits paquets, toujours à relativement basse altitude, ce qui leur interdisait toute défense collective mais aidait furieusement la Flak.


Quand à avoir une idée de l'efficacité des bombardements, il n'y a qu'une piste possible, malheureusement : Ces avions ont été employés en Syrie contre les troupes Alliées et les FFL. 

Là, les LéO 451, aux dérives fortement agrandies dès Septembre 1940, avec la bénédiction de l'ennemi (!), étaient plus au point et bien mieux connus. 

Face à une chasse Alliée médiocre (Hurricane Mk I) et à une DCA modeste, les résultats ont été simplement corrects.

On peut extrapoler de ces faits que, face à la Wehrmacht plus organisée de Mai-Juin 1940, les résultats ont probablement été assez inégaux.




LéO 455 d'après la guerre :  Les moteurs sont des GR 14 R de 1350 Cv, les dérives ont, encore, très fortement grandi, les capots moteurs ne ressemblent plus aux capots Merciers. L'avion sert alors dans l'IGN.


Après la guerre, de vraies bonnes dérives furent enfin montées sur l'avion... C'était malheureusement trop tard.

Il est facile de conclure : C'est la dure leçon de la mise en service précipitée d'un avion qui n'était pas encore au point et qui était piloté par des hommes dont la formation sur cet avion était bien trop récente.

Essayer de sauter les étapes dans la mise en service d'un avion est - et sera toujours - criminel.





2 commentaires:

  1. Bonjour je suis heureux de découvrir votre site et particulièrement cet article car mon grand père volait sur Léo 451 jusqu'en avril 1943. Il était d'ailleurs le cousin de Pierre Le Gloan que vous avez cité dans un article sur l’aviation Italienne.
    Merci pour votre travail.
    Loïc Le Gloan

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  2. Je vous remercie pour votre commentaire.
    Si vous voyez dans ce que vous vous souvenez de votre grand père, ou de Pierre Le Gloan, des éléments qui permettraient d'affiner mes articles, il va de soi que je suis très intéressé.

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