jeudi 15 mars 2012

Bases du bombardement en 1939 et le Bloch 210 : Tant de capacités inexploitées (Augmenté 29 / 08 / 2021)

Affaiblir l'ennemi : Cibles, méthodes, matériels aériens


Le bombardement aérien est, depuis 1914,  une arme très importante dans toute guerre. 

Au tout début de cette forme de guerre, les premiers équipages de bombardiers lançaient - à la main - des fléchettes d'acier sur les troupes en mouvement. 

Bien sûr, cela se faisait au jugé, sans le moindre viseur de bombardement.

Mais, en 1939, tout avait beaucoup progressé.

Que fallait-il bombarder ? 

Prenons le cas d'un pays qui se défend contre l'agression d'un autre : Son aviation de bombardement va devoir faire tout son possible pour affaiblir l'agresseur.

Bien sûr, dans la France de 1940, on se refusait à imaginer que l'ennemi Allemand ait pu disposer de radars comme les Britanniques en avaient installés le long de leurs côtes.

Pourtant, ce n'était pas vrai car les Allemands disposaient bien d'une chaîne de stations Freya d'excellente qualité.

On imaginait pas non plus l'existence d'une Chasse tout temps (ce qui fut vrai partout dans le Monde jusqu'en 1942 au moins).




Document personnel de l'auteur - L'ennemi (flèches rouges) attaque depuis sa frontière Sud-Ouest
cible I : troupes et engins sur le front ;  cible II : centres industriels ; cible III : les ponts  ... cible non standard : les aérodromes.



  • La première cible à laquelle on doit penser est la pointe même des armées ennemies
    • L'avantage : On dispose plus facilement de l'effet de surprise. 
    • La défense antiaérienne ennemie est dans sa zone de moindre efficacité parce que : 
      • L'alerte n'y est pas facile à donner (en 1939, les alertes aériennes erronées auront des conséquences tragiques,  
      • La DCA adverse n'est pas encore disposée aux meilleurs endroits
    • La difficulté : Etre bien sûr que l'on tape bien sur l'ennemi et non sur nos propres troupes. car des tirs fratricides seraient catastrophiques.      
  • Tout aérodrome contrôlé par l'ennemi doit être détruit de même que les avions qui s'y trouvent. 
    • Les difficultés sont multiples : Déjà, si l'ennemi a un minimum de compétence, ces cibles sont à l'intérieur du dispositif ennemi, donc il a fallu traverser des zones hostiles et bien défendues avant d'y parvenir. 
    • Ensuite, ce sont - théoriquement - des cibles très bien protégées par l'artillerie antiaérienne, voire par la Chasse. 
    • Enfin, un aérodrome, surtout militaire, est, par définition une zone d'envol : C'est donc une très vaste surface sur laquelle les avions, les pilotes, les mécaniciens et les bâtiments sont très "dilués". 

Aérodrome d'Abbeville repris par moi sur Google Earth - Les pistes en plaque de ciment furent construites vers la fin de 1940 par les Allemands - On distingue très bien les impacts de bombes Alliées sur les 2 pistes. Si vous vous aventurez sur le même logiciel un peu au Sud , vous verrez que les bombes ont frappé aussi la vallée de la Somme !  

      • Pour être efficace, l'attaque implique de nombreuses bombes de "faible" puissance (50 kg à l'époque). 
      • Bien sûr, dès lors que les pistes d'aérodromes ont été durcies, il fallut employer de grosses bombes pour les tronçonner de manière à interdire leur emploi (On utilise maintenant des missiles).

  • Une autre cible est constituée par les réseaux et voies qui assurent la logistique de cette même armée. 
    • En général, les ponts constituent des cibles de choix. Mais, à la différence des aérodromes, ce sont de petites cibles extrêmement solides en elles-mêmes. En plus, elles sont très bien défendues, essentiellement par la DCA, et la Chasse  n'en est jamais très éloignée.
  • Les usines fabriquant les armes et le matériel des armées (y compris les aliments) sont des cibles pour lesquelles l'action destructive ne pourra se voir qu'à plus long terme. 
    • Mais comme ces cibles sont près de villes, les attaquer va entraîner des pertes civiles collatérales qui peuvent avoir des répercussions politiques.
    • En plus, la zone à attaquer est située plus profondément à l'intérieur du dispositif ennemi, les chances de rencontre avec toutes les formes de défenses antiaériennes sont maximales et la surprise est très difficile à obtenir.
  • La dernière cible possible est la population elle-même du pays ennemi
    • Cette option, qui apparaît sous le terme de "bombardement stratégique" ne semble avoir été envisagée à aucun moment par les stratèges Français avant 1957. 
    • Ceci est très différent des choix que j'appellerais Saxons de nos alliés Britanniques puis Américains ou de nos ennemis nazis. 
    • Les Allemands, pendant la Première Guerre Mondiale, avaient employé ce type d'action contre Londres (action des Zeppelin puis des avions Gotha) et contre Paris (avec le Paris-Geschütz de 1918 que les poilus appelaient, à tort, Grosse Bertha) et n'en avaient rien obtenu. 
    • Quand ils essayèrent d'en faire autant contre Londres, puis contre Coventry, certes, ils blessèrent les Britanniques, mais cela ajouté à l'orientation guerrière donnée par Churchill, renforça la détermination de ces derniers. 
    • La même chose se produisit quand les rôles furent inversés. 
    • Ce type de travail n'était pas dans notre mentalité.


Comment attaquer : Choix des cibles, avions et heures employés


Hitler a donné une excellente leçon au monde entier lorsque ses premières cibles furent les aérodromes attaqués dès l'aube du 10 Mai. 

Pourquoi à l'aube ? Parce que les bombardiers, partis de nuit, avaient volé sans lumière jusqu'à quelques minutes de leurs cibles, ce qui annulait totalement les réactions de la Chasse Alliée qui n'avait même pas encore décollé. 

Agissant ainsi, il avait affaibli considérablement la capacité de réaction des Alliés. Il a recommencé 13 mois plus tard pour l'opération Barbarossa avec le même succès (ou, plutôt, avec un succès encore plus grand).

Depuis, on peut constater que les offensives commencent toujours ainsi. La détection est devenue très importante, mais la physiologie nocturne de l'homme (animal essentiellement diurne) reste la même.

Quels avions sa Luftwaffe avait-elle employé ? Des bombardiers moyens (traduire par : bimoteurs bombardant en vol horizontal).

Était-ce le mieux ? Oui, parce que cela a très bien fonctionné, parce que la France était à sa porte et que, en plus, la Luftwaffe disposait de suffisamment de bombardiers pour le faire.

Les bombes employées étaient majoritairement de deux types :
  • La bombe de 250 kg visait à empêcher d'utiliser la piste pendant au moins quelques heures.
  • La bombe de 60 kg, quant à elle, était mortellement dangereuse par ses éclats à 150 m de la zone de détonation. En plus, si un avion Allié était stationné suffisamment près de l'explosion, il était détruit ou endommagé, donc indisponible. Même s'il était intact, il devait être entièrement vérifié.

Si un aérodrome faisait une trentaine d'hectares "utiles", une dizaine d'avions suffisaient à le neutraliser.

Il est vrai que les Américains utilisèrent des moyens bien plus sophistiqués. 

Mais ce fut 3 années plus tard et ils y ont perdu plus d'avions car ils ont pratiqué cela en plein jour.


Pour guider les bombardiers vers leur objectif, les Allemands utilisèrent une forme de radio-guidage très simple qui consistait en deux émetteurs radio de fréquences différentes et placés en des points différents de leur territoire national. 

Lorsque les relèvements goniométriques des deux postes étaient simultanément corrects, l'avion était très près du but.

Cela préfigurait - en moins sophistiqué - les systèmes VOR d'avant le GPS.

La Luftwaffe a utilisé ce système pour tous les objectifs s'étalant sur une surface importante, donc aussi sur les objectifs de type I et II.

Pour les objectifs durs de taille réduite, ils ont utilisé les Junkers 87 Stuka, particulièrement précis.



Le bombardement Français en 1939


Notre Armée de l'Air était bien moins claire que la Luftwaffe dans sa doctrine, mise à part celle de l'Assaut qui venait d'être définie (voir cet article). 

Il faut dire que les errements dus à la croyance dans l'efficacité des "croiseurs aériens" annoncés par Douhet avaient bloqué les capacités de raisonnement de nos décideurs, bien trop âgés.

Notre matériel au moment de l'entrée en guerre était, en gros, de même nature que celui de 1938, lors de la crise de Munich. 

Il comportait quelques centaines de bombardiers qui volaient à des vitesses maximales proches ou un peu supérieures à 300 km/h. 

Les cellules de ces avions étaient très solides, les qualités de vol très convenables mais c'étaient tous des engins dont la conception était antérieure à 1934. 

Bien sûr, les constructeurs avaient proposés des bombardiers bien plus modernes, plus rapides de 100 à 180 km/h, mais ils n'avaient pas été commandés, ou alors tellement tard qu'aucun n'était encore au point.

Un défaut de presque tous nos bombardiers résidait dans un viseur de bombardement archaïque (conçu en 1917) que l'on avait même pas pensé à modifier !

Le pire fut que les ordres de bombardement semblent avoir été donnés par les généraux de l'Armée de Terre qui n'avaient strictement aucune compétence pour cela.

Bien sûr, cette compétence, ils eussent pu l'acquérir avec un peu de travail (des stages d'un mois dans les unités de l'Armée de l'Air, par exemple), mais ce ne fut jamais ou pas souvent le cas.

Cette incompétence fut à l'origine d'un excès de pertes d'autant plus imbéciles que le nombre de nos avions ne fut jamais très important.



Le Bloch 210, principal matériel disponible à l'entrée en guerre


{Les données techniques viennent du site Dassault-Passion}

Les Bloch 210 étaient les avions de bombardement les plus nombreux - 238 exemplaires - en formation dans l'Armée de l'Air au 3 Septembre 1939.  

Ce bombardier était long de 18.90 m.

La voilure avait une envergure de 22.81 m² et une surface totale de 72.00 m².

Il avait une masse de 5 800 kg à vide et de 10 200 kg au décollage.

La charge alaire était donc de 141 kg par m².

Il fut initialement motorisé avec des Gnome et Rhône 14 K de 860 Cv.

La vitesse maximale en était de 335 km/h dans la version motorisée par des Gnome et Rhône 14 N de 910 Cv. 

Cet avion aurait encore pu être remotorisé avec des GR 48/49 de 1060 Cv.

A 240 km/h de croisière, le MB 210  pouvait parcourir 1 700 km.

Son plafond pratique était de 10 200 m

La charge de bombes, normalement de 1 000 kg, pouvait passer à 1 600 kg moyennant une réduction d'autonomie.



Cet avion était aussi rapide que le Junkers 86 contemporain, emportait une charge offensive plus lourde et pouvait voler 4 000 m plus haut.

Dans les années 1937 et 1938, trois bombardiers MB 210 furent victimes d'accidents mortels au décollage. 

Une campagne de dénigrement contre Marcel Bloch fut organisée par deux journaux ouvertement pronazis (Gringoire et Je suis partout). 

Une enquête fut organisée et montra que ces accidents concernait une seule base, celle de Bordeaux-Mérignac.   {source : Henri Deplante : A la conquête du ciel)

En grattant un peu plus, on s’aperçut que les pilotes avaient pris leur envol par temps très chaud et après un simulacre de point fixe

Très logiquement, les MB 210 de la base de Reims, où les procédure étaient correctement suivies, ne subirent aucun problème !


Nous en avions plus de 200 et tous étaient parfaitement capables de voler de nuit.




Document personnel de l'auteur -  Bloch 210 en vol - Les raidisseurs disposés à l'extérieur sont caractéristiques.




Leur défense contre la chasse était médiocre (juste 3 mitrailleuses de 7.5 mm, une arme juste antipersonnel), mais, la nuit, cela n'avait, jusqu'à la mi-1941, aucune importance.

On doit regretter la présence de la ridicule tourelle de nez équipée d'une mitrailleuse de 7.5 mm : Elle gênait considérablement la visibilité du pilote et mangeait pas mal de kilomètres/heure. 

Elle ne permettait pas une défense correcte de l'avion parce qu'un avion, cela bouge et cela crée alors un facteur de charge de plusieurs g, très préjudiciable à la précision du tir. 

Quatre mitrailleuses de 7.5 sous capot, actionnées par le pilote, eussent permis de garder le centrage et rendu bien risquée toute attaque de face en plein jour.



Bloch 210 en vol - sur le site Japonais sakura






De même, les fuseaux moteurs de section plus ou moins carrée, étaient bien peu aérodynamiques. Il eut été facile de les échanger contre ceux du Bloch 131.

Cela, plus toutes les petites améliorations possibles à peu de frais aurait permis d'augmenter la vitesse de l'engin d'environ 50 km/h. 

 Cela eut été fort utile.



Document personnel de l'auteur - Ce qui était facilement réalisable pour améliorer la finesse des Bloch 210 : suppression de la tourelle avant, réduction de celle, ventrale, du radio, fuseaux moteurs revus  et échappements propulsifs


Dans les pays qui construisaient des avions comparables, les bombardiers de la même période étaient nettement plus légers que les nôtres.

Le meilleur exemple en est le Martin B 10 Américain contemporain qui pesait environ 1400 kg de moins à vide (4400 kg contre 5800 kg) !


On en trouve l'explication dans le Docavia "les avions Dewoitine" : Comme il y avait encore beaucoup d'accidents d'avion dans les années 30, les commissions d'enquête, constatant que des avions s'étaient disloqués en vol, préconisèrent un renforcement de la structure de tous les avions de transport et de bombardement pour un facteur de charge de 7 (voir mon article sur le Dewoitine 33 et ses dérivés).

Une excellente et très claire analyse de l'accident du Dewoitine 332 de transport - premier visé par ce renforcement - a été donnée par Jacques Lecarme dans "Histoire des essais en vol", Docavia #3

Il y démontre que cet avion ne s'était pas disloqué à cause d'une supposée fragilité liée à sa conception mais parce qu'il avait dépassé la vitesse limite de résistance de la cellule à cause d'un mauvais ou d'une absence totale d'entraînement au pilotage sans visibilité.

Nos bombardiers étaient donc beaucoup trop solidesdonc trop lourds - et cela leur coûtait de la vitesse. 

{Conséquences : Seul avantage, aucun de nos bombardiers ne s'est brisé en deux à l'atterrissage comme cela était si fréquent pour le Focke-Wulf 200 Condor, pourtant tellement admiré maintenant encore !

Le même défaut exista pour les avions de transport et perdura bien après la guerre jusqu'à ce que nous adoptions enfin les normes américaines. 

Autre avantage - non négligeable - cela sauva, vers 1952-53 la plupart des passagers d'un Armagnac des liaisons militaires entre la France et l'Indochine lorsqu'une bombe explosa à bord. 


Lorsque les commandes de vol sont devenues électroniques et qu'elles transitèrent par un ordinateur, Airbus a jeté un pavé dans la mare en construisant ses avions non plus au coefficient arbitraire de résistance mais à un coefficient moins élevé correspondant au facteur de charge limite qu'un commandant de bord à le droit d'infliger à ses passagers. 


Cela a permis un nouveau gain de masse à vide.}


Un bilan bien meilleur qu'attendu


Les MB 210 ont parfaitement fait le travail pour lequel ils avaient été commandés au prix de pertes considérablement plus faibles que celles que l'on aurait pu craindre (et qui avaient été théâtralement annoncées par tous "les experts").

Cinq avions seulement ont été descendus, 9 ont été endommagés mais sont revenus à leur base, 2 furent perdus dans le mauvais temps et 3 détruits dans le bombardement de leur aérodrome. 

Soit 19 avions sur 200, donc 9.5 % de pertes, dont 4% seulement du fait de l'ennemi.

Vous aviez dit périmés, ces MB 210 ? 

Les LéO 451 dits "modernes", bien que plus rapide de 150 km/h, ne s'en sortirent pas si bien, avec plus de 40% de pertes !

Par contre, je l'ai dit, les systèmes de visée (conçus pour la plupart en 1916-1917) étaient bien trop imprécis.


Maintenant, si on revient aux types de cibles que j'ai définies au départ, les Bloch 210 étaient parfaitement adaptés à l'attaque nocturne des sites industriels (type II du schéma) et à celle des aérodromes.

Par contre, il paraissait délicat de les utiliser pour l'attaque des cibles de type I et III, à moins de les employer comme élément de diversion en prologue sub-instantané (c'est à dire de l'ordre d'une minute avant) d'une attaque par des avions d'assaut  beaucoup plus maniables, histoire de désorienter la Flak.


Si certaines expériences avaient été conduites en temps et en heures, ces avions auraient pu faire un travail bien plus précis.


Par exemple, il eut été possible d'utiliser l'excellent plafond de ces avions (10 000 m, le record pour un bombardier de l'époque) pour leur permettre une pénétration nocturne importante dans les lignes adverses avec un retour en piqué léger sur leurs véritables cibles au début du jour.

Ce n'est pas une pensée anachronique, c'est exactement ce qu'ont fait les pilotes d'Amiot 143 sur Sedan le 14 Mai 1940, malheureusement en plein jour et en partant de bien moins haut. 

Ce fut également la tactique des bombardiers Japonais Mitsubishi G3M1 lorsque, au premier semestre de 1942, ils attaquaient l'Australie depuis une altitude de 8000 m, ce qui explique que les Curtiss P 40 étaient incapables de les intercepter et qu'ils devaient essayer de les retrouver quelque part sur le trajet de retour...

Si nous avions travaillé de la sorte bien des choses eussent été possibles, à condition bien sûr d'un entraînement drastique à ce genre de manœuvres et de disposer d'une protection de chasse pour sécuriser le recueil de nos attaquants à leur retour

Il me semble que le Bloch 210 s'y serait parfaitement prêté. 

Encore fallait-il oser y penser.


Je traite d'autres bombardiers dans le post suivant.














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