samedi 3 mars 2012

Le Dewoitine D 520 (IV) : Ses pilotes parlent de sa maniabilité (révisé 10 / 03 / 2014)


La maniabilité ? pas si simple ! 


Ok, si une propriété peut être soumise à controverse, c'est bien la manœuvrabilité. 

Il n’est que de voir les controverses à ce sujet sur les divers forums, non seulement pour les Warbirds de 39-45, mais aussi pour les avions les plus modernes. 

Autrement dit, il y a là quelque chose qui tient de l'affectivité, et que l'on retrouve chez les amateurs d'automobiles à propos de la tenue de route.

Évacuons d'emblée un faux problème. 

Lorsque je suis passé du Morane Rallye au Robin DR 140, j'ai dû m'habituer à des ailerons plus fermes et j'ai pensé d'abord que la maniabilité du second était moins bonne. 

Par la suite, je n'ai plus fait de différence entre les capacités manœuvrières des deux avions.

En 1939, les Français parlaient de maniabilité, les Britanniques séparant l'action sur les commandes de la capacité à tourner serré. 

Après la guerre, ce dernier point de vue a triomphé. 


Sauf que, lorsque vous lisez les rapports Britanniques sur le Messerschmitt 109 (http://www.spitfireperformance.com/spit1vrs109e.html), vous apprenez que les capacités de roulis de ce chasseur étaient limitées par des ailerons devenus "solides" à grande vitesse.

Donc il est bien difficile de séparer les deux. 

J'emploierai donc indifféremment maniabilité et manœuvrabilité.

Premier élément d’analyse, les pilotes de chasses de différents pays sont formés à partir d'avions-école qui ne partagent pas tout à fait les mêmes caractéristiques. 

Les pilotes sont amenés en conséquence à privilégier certaines manœuvres plutôt que d'autres.


Dans la France des années 30, les avions écoles étaient des Morane-Saulnier 230 ou 315, monoplans parasols, ou des Hanriot 432 biplans. 

L'école de chasse passait par des sesquiplans Nieuport 62 mal vus des pilotes du CEMA pour deux raisons : L'atterrissage en était rarement aisé (train à sandows, donc "rebondisseur") et les premiers essais de piqué à très grande vitesse avaient provoqué la mort d'un pilote à la suite, si j'ai bien compris, d'un  phénomène de flutter (faseillement) qui n'avait encore été décrit nulle part jusque là. 

L'avion avait été modifié efficacement puis régulièrement commandé en petites séries jusqu'au début des années 30 parce qu'il permettait un accès très aisé à la voltige et qu'il ne coûtait vraiment pas cher.

Il servit au début de la guerre d'Espagne, des deux côtés en conflit et, en Numidie - l'Afrique du Nord, si vous préférez - au début de la 2ème Guerre Mondiale.



Interaction pilote / avion


Pour revenir à la maniabilité, je commence par ce rappel : Un véhicule quelconque, animal ou mécanique, n’existe que par son interaction avec l’être humain qui le pilote. 

Dans le cas du cheval, l’accord des personnalités du cavalier et de l'animal constitue un facteur déterminant de leur capacité de manœuvre commune. 

Dans le cas de tous les engins mécaniques, il doit y avoir adéquation des goûts du pilote avec les capacités dynamiques de sa monture : Cette relation est fondée sur l’importance et la pertinence de l’entraînement.

Par ailleurs, l'entraînement structure fortement les habitudes des pilotes et cela explique parfaitement que les jugements soient d'apparence chauvine. 

Un exemple typique de ce cas est le jugement porté sur le Bell P39 Airacobra vilipendé dans tout l'Occident et encensé en URSS ! 

Mais je crois bien que les pilotes US eussent été effarés par le pilotage d'un Polikarpov I 16.

Par ailleurs, un avion de chasse n’est pas jugé de la même façon par ceux qui l’ont employé en fonction de la date de leur expérience.

En 1939, les pilotes d’essai qui découvraient le D 520 le trouvèrent extraordinairement manœuvrant, ce fut notamment le cas de Michel Detroyat, ancien chef pilote de Morane-Saulnier, qui trouvait même le Morane 406 (qu'il avait parfaitement bien mis au point) inférieur sur ce plan.

C'est aussi le cas du major Arendt, pilote d'essai belge, qui devait donc avoir volé sur Hurricane, et dont l'avis fut suffisamment élogieux pour que la Belgique dépose une demande de fabrication sous licence. 


Avis français

Moins d’une année plus tard, les pilotes militaires étaient toujours du même avis. 

Ainsi, le Gal R. Clausse (grp II/3) - dans sa préface de la monographie de R. Danel, Le Dewoitine 520, résume sa perception de l'avion : "Avion de meeting ? Non point. Mais chasseur remarquable, manœuvrier extraordinaire, aussi rapide que quiconque (en Mai 40, bien sûr), excellent grimpeur au plafond élevé, piquant à des vitesses fantastiques, doté d'un armement efficace et équilibré, excellente plate-forme de tir ! etc..."

De même, Joël Pape (grp I/3) raconte :  "les vols de prise en main de l’avion nous permirent de constater qu’il était effectivement très maniable, agréable à piloter ; la transformation des pilotes ne posant pas de problème particulier, nous pensions pouvoir être réengagés assez rapidement [...mais] nous eûmes à subir plus de 100 modifications. 

En fait la conception de l’appareil n’était pas en cause. Il avait de réelles qualités et, une fois mis au point, il se révéla excellent
Malheureusement, il n’avait pas été soumis en temps utile à une véritable expérimentation." 

Cette dernière remarque concerne le CEMA et, je l'ai dit dans un post précédent, ceux qui ont imposé le moteur 12 Y 45 plutôt que le 12 Y 29. 


Un combat particulier

Le récit que Werner Mölders, as des as allemand à l'époque, donna de son duel perdu contre Pomier–Layrargue du II/7 confirme tout à fait la qualité du Dewoitine :

"j'ai attaqué un "Morane" [non, c'est bien un Dewoitine] déjà assailli - sans succès - par trois autres Messerschmitt" [déjà, pour résister seul à trois chasseurs, surtout des pilotes de Mölders, le meilleur entraîneur Allemand de toute la guerre, il faut à la fois un avion agile ET performant et… un super pilote

"Je l'ai vite dans mon collimateur, mais il se met rapidement en piqué afin de m'échapper, mais il ne s'en tirera pas comme ça. Soudain, il redresse et passe sous mon aile. Ça y est, il est en dessous de moi" [cette manœuvre complexe montre à quel point le D 520 est meilleur piqueur, meilleur vireur et plus rapide en changement de cap que le Bf 109, car, à l'époque, Mölders est certainement le meilleur "manieur" du chasseur allemand]

"Tonnerre de Dieu ! ce "Morane", lui aussi, peut tirer, mais, ouf, ça passe nettement à coté. Je dégage aussitôt et monte dans le soleil. Il doit m'avoir perdu, dégageant dans la direction opposée et prenant la direction du Sud." [là, il y a un problème dans le récit ou dans sa traduction, car monter dans le Soleil ne peut pas conférer une direction Nord] 

"Au-dessous de moi, je vois deux Messerschmitt en discussion avec un dernier "Morane". Un coup d'œil circulaire et je vois un ciel encore plein de Messerschmitt. 

Je suis à environ 800 m d'altitude et soudain "bang" et des étincelles voltigent partout dans le cockpit. La manette des gaz est en morceaux et les volets sont descendus. Je pique à la verticale. Vite, il faut sortir ou c'est la fin …"
(ce texte se trouve dans Avions, Hors-Série, Les As français de 1939-1940, n°25 et dans Aéro Journal Hors Série n°8, Le Dewoitine D.520, Déc. 2004)
Ce récit illustre, outre le danger de sous-estimer les performances de l'adversaire (prendre un D 520 pour un MS 406 !) en même temps que les qualités dynamiques du D 520 et les qualités de pilote et de tireur de Pomier-Layrargue.


Avis allemands

Après Novembre 1942 et jusqu'à la libération de la France, les Allemands ont continué à faire construire et utiliseront intensivement cet avion pour former leurs jeunes chasseurs, ce qui semble bien indiquer qu’il leur paraissait relativement facile en vol et particulièrement maniable

C'est le point de vue de l'as Allemand Ernst Schröder, qui se plaint de son pilotage au sol et de problème de fiabilité (pour cause de sabotages), mais qui reconnaît : 

"Mais quel avion ! De très fines pressions sur les commandes suffisaient pour passer toute la voltige et on tournait un looping de deux doigts. 
Aucun chasseur allemand de l'époque n'offrait une telle finesse, une telle élégance de pilotage. 
Après avoir repéré les points délicats de ce pur-sang, il nous restait plus qu'à nous livrer aux joies du pilotage d'un avion fin, aux performances encore très honnêtes.
 D'ailleurs, le Messerschmitt Bf 109 G-6, avec ses blindages et son armement, que j'ai piloté brièvement à la fin du printemps 1944, n'était guère plus performant et, en tous cas, moins maniable. […] 

C'est incontestablement sur Dewoitine D 520 que j'ai connu mes plus grandes joies de pilote

Quelques mois plus tard, alors que j'affrontais les redoutables chasseurs américains à bord d'un FW 190 au-dessus de l'Allemagne, il m'est souvent arrivé de penser avec une certaine nostalgie à cet agile petit chasseur français.


Avis italiens

En 1943, les Italiens ont utilisé plusieurs dizaines de D 520 de récupération pour attaquer les bombardiers quadrimoteurs Américains. 

Leurs roulette de queue fut bloquée pour éviter la tendance au cheval de bois à l'atterrissage (comme quoi il eut été possible de mettre au point cet avion avec des solutions simples). 

Deux opinions sont en présence, l'une rapportée par Raymond Danel, où ils auraient déploré la légèreté de ses commandes. 

Ces pilotes Italiens-là ne l'aimèrent pas du tout, ce qui peut s'expliquer de plusieurs manières : d'abord, aucun Français ne les avait prévenu que les manœuvres de combat ne devaient pas être pratiquée avec de l'essence dans les réservoirs d'ailes (qui ne servaient que pour le convoyage et provoquaient des anomalies sérieuses de comportement en virages brutaux contrariés), d'autre part, il manquait environ 250 Cv à cet avion pour être "dans le coup"au niveau du combat en 1943, enfin, il demandait, comme tout avion de chasse, un temps d'adaptation que les Italiens ne pourront pas acquérir (les premiers D 520 arrivant en avril 1943 et l'armistice intervenant en août de la même année).  

L'as Luigi Gorrini, ancien de la guerre d'Espagne et pilote de Macchi 202, exprime une opinion bien différente

En 1943, alors qu’il fut amené à voler sur D 520 pour en définir les consignes de vol, il fut d'abord prévenu par les Allemands que les Français ne leur fourniront aucune explication ni aucune aide, trop contents s'ils se retrouvent écrasés au sol. 

Il rapporte ensuite son expérience :
"Quand il fut en l'air, il rentra le train d'atterrissage et les volets et commença à monter. Il s'aperçut tout à coup qu'il avait affaire à un "seigneur du ciel" bien équilibré, avec un moteur puissant, des commandes répondant avec douceur et rapidement. Il testa la tenue de l'avion à vitesse minimale et trouva la machine parfaite et extrêmement maniable, comme du reste il avait pu s'en rendre compte lors du combat sur le Cannet des Maures, le 15 juin 1940"combat pendant lequel P. Le Gloan a abattu quatre CR 42 et un BR 20. Dans une autre interview, il expliquera que le rapport entre un Dewoitine et un Fiat CR 42 était de même nature qu’entre un tricycle et une Ferrari. 


Les pilotes de la chasse de nuit Italienne, eux aussi, préféreront le Dewoitine au CR 42. En somme, les pilotes expérimentés et amateurs de voltige, de quelques nationalité qu'ils soient, seront toujours à l'aise dans cet avion et les autres, non.


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