vendredi 24 février 2012

Morane 406 et Bloch 152 : L'opinion de leurs pilotes (Révisé 14 / 05 / 2023 ** ***)


Ce qui va suivre est un ensemble de témoignages de pilotes sur les chasseurs Français de la Seconde Guerre Mondiale. 

La plupart sont parus dans la revue Icare lors de la série extraordinaire des numéros spéciaux (qui commencent au n° 53) consacrés à la Drôle de Guerre, à la Bataille de France (Chasse, Bombardement, Reconnaissance, Aéronavale), aux Forces Françaises Libres et au régiment Normandie-Niemen pendant les années 70 et 80.



Le Morane-Saulnier 405 / 406, inefficace dans le cadre tactique exigé


Lorsqu'il apparût, entre la fin de l'été 1935 et Juillet 1936, le chasseur Morane fit sensation : Fiable, maniable, très facile à piloter, bien plus rapide que le Dewoitine 510 à train fixe auquel il était comparé (ils partageaient tous deux le même moteur Hispano 12 Y crs), il fut admiré. 

Son concurrent Allemand opérationnel, le Bf 109 B, grimpait un peu
 plus vite mais pas beaucoup - 6 000 m en environ 12 minutes - plafonnait moins haut - 8 000 m au lieu de 9500 m - et son armement n'était pas au point (soit 3 mitrailleuses de 7.92 mm soit 2 mitrailleuses identiques plus 1 canon de 20 mm Oerlikon MG FF peu fiable et ballistiquement médiocre (V0 = 585 m/s)). 

Si l'industrialisation de Morane 405 avait été rapidement mis en route, cet avion aurait probablement joué un rôle moins catastrophique.


Le MS 406 fut considéré par tous ses pilotes comme un avion doté de très bonnes qualités de vol. 
Le CEMA souligna sa maniabilité en escamotant à la fois les performances et nombres d'autres insuffisances

Le rapport du CEMA signé du Capitaine Vernhol qui dit les choses de la manière suivante (repris in Gaston Botquin, l'épopée du Morane Saulnier 406, 1, l'Album du Fanatique de l'Aviation N°100, p. 29) :


"le MS 405, 
  • par ses qualités de vol,
  • la puissance de son armement,
  • la bonne réalisation de ses installations,
  • la rapidité de sa mise en oeuvre,
  • la facilité de son emploi et entretien,
possède les qualités exigées par les avions C1 du programme de 1934 ; Sa valeur est fonction uniquement de la qualité de ses performances". 


On peut résumer cela en disant que : par ses qualités de vol, il ferait un chasseur parfait, à condition toutefois que ses performances soient au rendez-vous

Cela montre parfaitement que les rédacteurs de ce rapport étaient parfaitement conscients que le Morane, tel qu'il était, n'était pas acceptable du tout comme chasseur.

Cette "nuance" fut enfin clairement exprimé, bien plus tard, par Pierre Boillot, lorsqu'il annonçait que cet avion était inutilisable pour la Chasse d'Armée.

Par contre, le MS 406 était déjà perçu comme un avion lent :
"les performances officielles n'ont pas été exécutées, mais...". 


Le Morane 406 : Pilotage facile, avion trop lent...


A partir de là, dans ce même rapport, Vernhol et Bonte nous racontent une anecdote qui n'a strictement aucune place dans un tel rapport.
Ce bavardage démontre que, bien avant tout essai du Nieuport, le CEMA était déjà bien décidé à favoriser l'achat du Morane 405. 

Le chasseur de Morane-Saulnier avait relié deux bases en 55 minutes, à 400 km/h de moyenne. Comme rien n'indiquait la vitesse du vent arrière, cela ne préjugeait en rien des performances du Morane. 

Pour mémoire, le squadron leader Gillan, 
pilote du premier squadron de Hurricane I en 1938avait relié l'Ecosse à Londres à plus de 640 km/h de moyenne. 
Mais aucun Hurricane I (pas plus qu'aucun de ses dérivés) n'a jamais volé en pointe à plus de 540 km/h... Le vent avait apporté un sacré coup de main ! 
Par contre, chapeau pour le pilote qui se trouvait porté par une vraie tempête (et en pleine nuit) ! 


L'escroquerie - il n'y a pas d'autre terme pour ce genre de chose - des chefs du CEMA consista ensuite à faire croire que les performances du Morane avaient brusquement progressé de 50 km/h en jouant sur divers moteurs et hélices. 

A propos de sa maniabilité, le seul bémol concernait son taux de roulis, honorable, certes, mais nettement inférieur à celui du Bloch 152.

Il lui était impossible de rattraper la plupart des bombardiers Allemands et aucun témoin opérationnel n'évoque ni une bonne capacité ascensionnelle - bien au contraire - ni de bonnes accélérations en piqué.


André Lansoy (grp III / 2) le décrit ainsi : "Nous étions appelés à voler sur Morane, un appareil très agréable à piloter, classique, dans la lignée de ses prédécesseurs pour les qualités de pilotage pur. 


Excellent en voltige, il l’était moins en tir car ses mitrailleuses ne fonctionnaient que très rarement au-dessus de 6 000 m. 

Son plus gros défaut était bien sûr sa vitesse, 400 km/h, c’était trop peu."

Ce témoignage, comme le suivant, confirme parfaitement les récits Finlandais en ce qui concerne les performances. 
Il met en cause le CEMA qui n'a pas su essayer l'avion à haute altitude pour déceler les divers problèmes de givrage et qui n'a pas consacré le temps indispensable pour y remédier.  


André Deniau (grp II / 6) confirme :  "C’était un avion épatant, de conception très moderne, pas très rapide, mais vraiment agréable à piloter." ...  "Le Morane est un bon taxi, pas vicieux pour deux sous".

Mais cet engin fut très mal employé ainsi que cela ressort de l'analyse vraiment remarquable de Pierre Boillot qui dit, après un combat victorieux contre deux Messerschmitt Bf 109 en Avril 1940 : 

"je m'efforce de montrer deux choses :
- La facilité avec laquelle j'ai manœuvré le Morane après qu'il eut acquis une vitesse confortable au cours d'une descente rapide plein gaz ;

- La façon dont j'ai conduit le moteur avec le changement de pas manuel de l'hélice pour conserver le régime moteur maximum autorisé. Ce combat (2 victoires sur Bf 109) est plein d'enseignements.

-  Le Morane, bien que ses performances soient largement dépassées par celles de ses adversaires, peut garder une efficacité certaine s'il est mis en œuvre de telle sorte qu'il aborde le secteur opérationnel à moyenne altitude et grande vitesse, c'est à dire en vol en descente, à fort régime moteur et en faisant un minimum d'évolutions.

Cette capacité d'évolution est sans aucun doute accrue s'il est muni d'une hélice automatique.

Le Commandement pourrait-il tirer des enseignements d'un combat isolé mené par un sergent-pilote ? Ce serait trop demander. 
Nous continuerons de voir les Morane 406 employés en chasse d'Armée ils exécuteront des missions pour lesquelles ils n'ont pas les qualités requises. 

Leur emploi étant essentiellement basé sur le maintien d'une présence, sans autre idée tactique, nous les verrons se faire surprendre par des 109 opérant en mission de chasse libre, toujours plus rapides et venant toujours de plus haut. 
Leurs pertes seront alors sévères dans cette guerre à outrance qui va commencer le 10 Mai."

Le MS 406 aurait probablement pu tenir, dans l'Armée de l'Air, une place utile de chasseur de seconde ligne, pour protéger les sites sensibles de l'arrière. 

Cela aurait permis de faire maturer les jeunes chasseurs et de remettre dans le bain les réservistes. 

Mais, pour cela, il aurait déjà fallu disposer à l'avant d'une Chasse digne de ce nom et d'un système de contrôle au sol efficace.


Le Bloch 152 : Pour ses pilotes, un chasseur maniable, solide et bien armé


Il a pourtant été très mal jugé par deux commandants d'escadrilles. 

Victor Véniel, vétéran de la guerre d'Espagne où il avait revendiqué plusieurs victoires aériennes, sera choisi pour escorter le Gal Weygand lorsque celui-ci fut amené à reprendre le commandement suprême des mains de Gamelin, relevé de son commandement par le Président du Conseil Paul Raynaud. 

Tout ceci démontre que Victor Véniel était vraiment très bien noté par sa hiérarchie.

Il annonce d'emblée la couleur de son opinion sur le Bloch 152 : 
"On a dit que c'était un bon cheval de bataille, je ne le pense pas. 
Il était robuste et c'était sa seule qualité. 
Ses principaux défaut étaient son rayon d'action limité et sa maniabilité médiocre en altitude"

Le Cdt Véniel raconte plus loin qu'étant attaqué par un groupe d'une douzaine de Bf 109, il en descend un et ramène son avion au terrain criblé de 360 impacts !

Si son récit est véridique, il faut se rappeler qu'un combat de ce type n'est jamais gagné d'avance, il est même normalement perdu d'avance. 

Bien des années plus tard, en 1989, un pilote de Chasse de l'Armée de l'Air, formé dans mon Aéroclub par le même instructeur que moi, me confiait qu'avec son équipier, chacun aux commandes d'un Mirage III, il se sentait absolument sûr de battre un Mirage 2000


Véniel faisant face, non à 2, mais à 12 chasseurs, était non seulement resté en vie, mais, bien plus, il avait alors décroché sa seul victoire de toute la campagne ! 

L'aigreur du Cdt Véniel à l'égard de cet avion me paraît donc plus que bizarre. 
Eut-il seulement survécu s'il avait piloté un Bf 109 ?

Germain Coutaud émet un avis très proche : 

"Nous savions que le Bloch 152 était surclassé par le Bf 109  : 
(…)

La supériorité des performances, vitesse de pointe, puissance ascensionnelle, manœuvrabilité, donnait à l'ennemi un avantage considérable, et lui permettait de prendre l'initiative d'engager ou de rompre le combat à sa guise. 

Reconnaissons-lui cependant l'avantage d'une excellente visibilité, d'une solidité indéniable et d'un armement relativement puissant".

Ce commentaire est un peu moins acerbe que le précédent. 
Comme celui de Véniel, il met cependant en cause la maniabilité du Bloch 152. 
Voilà qui ne peut se comprendre que par l'opinion des pilotes qui - comme Michel Détroyat - ont évalué en même temps le Nieuport 161-03 et le Bloch vers l'Eté 1938
Cela montre, en tout cas, que ces pilotes connaissaient la supériorité de performances et de maniabilité du Nieuport 161 sur les Bloch 150.

La différence de maniabilité était telle que Bloch fit augmenter la surface de voilure de 2 m².

Germain Coutaud terminera cette campagne en tant qu'as. 

Il est à noter que sa manière de commander en vol lui assure un bon palmarès mais ne permettait pas d'aller plus loin : Toute son escadrille le suivait pour attaquer le même avion que lui, ce qui favorisait d'autant la concentration des feux des mitrailleurs ennemis sur les chasseurs français et permettait aux autres bombardiers de rester en vie (voir ce post).
La solidité du Bloch était sûrement prodigieuse puisque, pendant la Bataille de France, un pilote, Louveau, aura le réflexe d'éperonner son adversaire, "abattant" ainsi un Bf 109 (et qu'il pourra le raconter 30 ans plus tard dans Icare). 
Le pilote français put même poser tant bien que mal son avion fortement endommagé. 
Sacrée référence en terme de qualités de vol ! 


Les marins Français revendiquent un cas identique pour le Maître Le Bihan. 

Les cas similaires mettant en cause d'autres avions, comme en particulier les attaques "taran" soviétiques, se sont souvent soldés par la mort du pilote abordeur.

Les avis exprimés par Alain Deniau, Pierre Courteville, Henri Gille et par des aviateurs de l'aéronavale semblent totalement opposés à ceux des chefs

Ces pilotes "de base" aimaient ce chasseur. 


Ainsi André Deniau (grp II / 6) - qui sortait du MS 406 - raconte : 


"Le Bloch 152 nous changeait évidemment du Morane 406 : lourd au sol, mais, en altitude, excellent, agréable à piloter, très maniable.

Son seul défaut, à mon avis, était les vibrations de ses canons. 

Mieux armé que le Morane, il avait deux canons d’aile et deux mitrailleuses."

Son avis est diamétralement opposé à celui de Véniel : 
  • Il trouve que la maniabilité du MS 406 était supérieure à  celle du MB 152 à basse altitude - "lourd au sol" - 
  • Mais que, à plus haute altitude - au dessus de 5 000 m - la vitesse supérieure du Bloch lui assurait une capacité de manœuvre bien supérieure à celle du Morane.

Il est intéressant de noter que le Bloch sera opposé en dog-fight au Morane 406 qu'il surclassera complètement : Il sera capable de suivre chaque manœuvre du Morane, même en virage très serré.

Ce fut pourtant le seul cas où il ne put pas se placer en position de tirer sur le Morane car il fallait déraper pour augmenter l'angle de l'avion sur sa trajectoire et dans ce cas, il décrochait.

Le témoignage de Pierre Courteville (grp 2/9) rejoint celui d'André Deniau : 


"Après notre arrivée à Châteauroux, où se trouvait la chaîne de montage des Bloch 152, nous avons eu la chance d'assister à quelque chose d'exceptionnel.
Un pilote d'essai, l'adjudant-chef Goussin, détaché à la réception des Bloch 152, était un pilote de voltige exceptionnel, un petit bonhomme très modeste, avec son cuir Lemercier comme tous les pilotes de l'époque et son petit béret basque ; on était loin de se douter que c'était un pilote extraordinaire. 

Nous avons donc assisté à une démonstration sensationnelle de voltige avec des passages dos, des remontées dos, des chandelles époustouflantes et alors nous avons réalisé que le Bloch 152 était quand même une sacrée machine."

Ce récit montre que la médiocre réputation de ce chasseur était essentiellement due à son aspect lourdaud ou à sa mise au point pénible (due, entre autres, au refus d'employer l'essence à 100° d'octane) : Ses pilotes n'avaient pas envie de le piloter, mais la démonstration qui leur fut faite confirmait que ses qualités de vol, en tous cas à basse altitude, étaient plus que convenables.

Notons, à cette occasion que le système d'alimentation en essence du Bloch interdisait les coupures-moteur lors des manœuvres en g négatifs


Henri Gille (grp 2/10) va encore plus loin dans son éloge du Bloch 152, et en particulier de sa maniabilité à basse altitude : 

"Les Messerschmitt 109 avaient une méthode : ils savaient qu'en combat tournoyant, on pouvait les avoir. 

Ils étaient très longs à virer et avec nos Bloch, on virait très fort et on pouvait arriver à se mettre derrière eux et, si on pouvait, on descendait presque au ras des maisons. 

Alors là, ils ne pouvaient pas nous avoir. 

Le Bloch 152 était un très bon avion, nous en étions tous très contents et le trouvions bien mieux que le MS 406. 

Il était très solide et une fois j'ai vu rentrer Diétrich avec son avion complètement criblé de balles."

Ce témoignage-là, qui souligne la bonne maniabilité du Bloch, n'est, en fait, pas en totale contradiction avec celui de Véniel déplorant un manque de maniabilité en altitude. 

Ce dernier sous-entend par là-même que la maniabilité à basse altitude était suffisante, ce que nous pouvons traduire en disant qu'à basse altitude le Bloch pouvait surpasser les Bf 109. 


(Notons cette sale manie des ingénieurs Français qui soulignent les défauts du matériel sans discuter des qualités ou des équivalences. 

Ils n'ont jamais été capables de créer une grille d'évaluation précise et chiffrée. 

C'est la trace indélébile des méthodes de notation des professeurs de classes préparatoires pérennisée depuis plus de deux siècles.)

Le manque de maniabilité en altitude - complètement niée par Jean Nollet, pilote d'essai, dans le Fanatique de l'Aviation - pourrait être attribuée à une vitesse sur trajectoire insuffisante (compresseur médiocre combiné à une forte traînée), vu que l'aile restait la même, c'est à dire très fine pour l'époque.

Par contre, les essais menés par le groupe 1/I sont en contradiction avec l'opinion de Véniel, au moins lorsqu'ils montrent que le Bloch est bien plus à l'aise en altitude que le Morane. 

Mais Véniel n'a pas donné son avis sur le Morane... 
Connaissant la masse des témoignages qui se plaignent de la quasi incapacité de ce dernier avion à voler au dessus de 5 000 m, nul doute qu'il eut été encore plus méchant.

Aucun de ces témoignages ne met en cause précisément l'emploi tactique fait du Bloch 152 qui, à l'évidence, aurait donné d'excellents résultats en chasse lourde et en appui au sol. 

La spécialisation des rôles n'était pas encore comprise en France.


Une manière comme une autre de ne pas tirer partie de ses atouts. Mais il est possible que c'est été incompréhensible à cette époque.






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