dimanche 12 février 2012

Nieuport 161 et Morane 406 : Analyses des accidents des prototypes (01 et 02) de ces 2 chasseurs (Révisé le 20 / 09 / 2024 *** *** )



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L'accident du Nieuport 02 : Vol au second régime et effet de sol


Il est vrai, également, que le chasseur Nieuport 161 a connu un second accident, uniquement matériel, lors d'essais d'atterrissage très courts effectués en Janvier 1938. 

Ces essais se pratiquaient (et se pratiquent toujours) dans les conditions qui correspondent à ce que l'on appelle maintenant le second régime.
  • Ce régime se caractérise par son côté particulièrement risqué : Vous volez très lentement parce que vous voulez réduire au maximum votre roulement à l'atterrissage. Accessoirement, cela signifie que vous volez à basse altitude, donc toute perte d'altitude brutale peut entraîner un crash qui peut détruire ou endommager gravement l'avion, voire vous tuer, ce qui est bien plus grave.
  • Comme vous êtes à la limite du décrochage, vous restez en vol uniquement parce que vous gardez le moteur presque à fond. 
    • Comme vous volez à forte incidence de l'avion par rapport au lit du vent (relatif), vous voyez très mal devant vous (l'avion est très cabré), ce qui n'arrange rien.
    • Si vous réduisez l'incidence trop vite, vos ailes ne portent plus assez, vous chutez
    • Si vous réduisez trop vite le moteur, vous perdez rapidement de l'altitude, ce qui revient au même.
  • Si, par hasard, le vent de face vient à faiblir, vous décrochez sans rémission, près du sol, et c'est le crash ou, du moins, un atterrissage dur. C'est typique dans un cas de cisaillement de vent.


Comme tout le monde, j'ai été initié à ce type de manœuvre à bord d'un Morane Rallye de 150 Cv, manquant beaucoup de finesse, certes, mais très facile à piloter et disposant d'une hypersustentation surabondante. 


J'ai trouvé l'opération extrêmement délicate, il me semble bien avoir dû faire quelques remises de gaz. C'était l'horreur et je n'ai jamais recommencé seul. 

Il existe des génies du pilotage qui en sont friands, bravo pour eux, mais ce n'est vraiment pas à la portée de tout le monde.


Pourtant, en 1934, lointaine époque, les techniciens qui édictaient les règles d’homologation de l’aéronautique Française, avaient décidé, juste avant que les avions passent à un tout autre niveau de finesse aérodynamique, que tous les avions, quel que soit leur type, devaient réussir exactement les mêmes épreuves pour qualifier l’envol comme l’atterrissage. 


L'épreuve d'atterrissage exigeait la même performance d'un avion de 60 Cv pesant 400 kg en charge, d'un chasseur de 860 Cv et de 2 300 kg ou encore d'un quadrimoteur de 3 800 Cv et 16 000 kg. 


Tous devaient se poser sur une plateforme de même longueur avec 
moins de 2.5 m/s de vent de face.

Ainsi en était-il de la distance maximale de roulage à l’atterrissage fixée à 450 m après avoir passé un obstacle de 8 m de haut.


Bien sûr, le fait d'atterrir sur 450 m après avoir passé un obstacle de 8 m est totalement à la portée d’un avion de tourisme de finesse réduite (avion parasol à moteur en étoile non capoté NACA, par exemple) qui se pose à des vitesses comprises entre 60 et 80 km/h. 


Mais cela n’a plus rien d’évident lorsque la vitesse d’impact à l'atterrissage est de 110-140 km/h, que la masse - donc l'inertie de l’avion - est trois fois plus grande et que l'avion est très fin. 


Justement, le Nieuport 161, avion très fin et très puissant, avait donc beaucoup plus de difficulté à se freiner qu’un avion aussi anti-aérodynamique que le Morane 406. 

D'autant plus que, bénéficiant d'une voilure à fort allongement et grand effilement de plus de 11 m d'envergure, le Nieuport 161, à 8 m de haut, était en plein effet de sol, ce qui l'entraînait à cavaler longtemps.  

Le seul moyen de se poser court, j'imagine, était d'effectuer une glissade presque jusqu'au sol avant de sortir les pleins volets.

Mais, même ainsi, l'existence d'une roulette de queue à la place de la traditionnelle béquille (présente sur les Morane 405 ou 406) réduisait la qualité du freinage.

Je ne résiste pas à vous recopier in extenso ce que Louis Bonte et Jacques Lecarme écrivaient à la page 228 de leur ouvrage déjà cité sur ce sujet :


"Si, pour le pilote, l'essai de décollage était relativement facile à exécuter, il n'en était pas de même pour l'essai d'atterrissage, car la présence de l'obstacle fictif, dans un certain volume d'espace, devait être appréciée à vue d'œil  par le pilote, et l'avion, à la charge maximale, devait être présenté à la vitesse minimale, ce qui rendait certains atterrissages assez "spectaculaires".

Un Caudron Simoun cassa son caisson d'aile droite, entre la jambe de train et le fuselage, et prit feu, le réservoir d'essence ayant été rompu, et le deuxième prototype du Nieuport de chasse 161 C1 eut toute son aile basse (sic) remontée dans le fuselage de plus de 30 cm...

Ces deux incidents ne causèrent heureusement que des dégâts matériels."

Ce texte a l'intérêt de bien montrer que les deux avions cités ici, qui ont éprouvé le plus de difficulté pour réussir cette épreuve, étaient deux avions très fins. 

Je rappelle que le Simoun a démontré une remarquable régularité dans les pires conditions de vol de nuit (avec Air Bleu) ou en vol de guerre.

Le ton badin, plutôt goguenard, même, du texte, démontre l'irresponsabilité coupable (et imbécile) de ces personnes qui ont privé mon pays du seul chasseur qui eut pu réduire significativement la marge de supériorité de la chasse Allemande.



Les aérofreins qui auraient été utiles dans un tel cas de figure sont courants depuis les années 1950, mais, avant la guerre, ils n'existaient que sur quelques bombardiers en piqué. 

Le choix d’un chasseur terrestre ne doit en aucun cas passer par une épreuve de ce style. 


Je verse à ce dossier ce que le Spitfire Mk I a donné dans une épreuve de même nature. 

La distance parcourue au sol après passage de l’obstacle de 15 m dépendait entièrement du type d’hélice employé. 

Elle culminait à 725 m si le Spit était équipé d’une hélice à pas fixe, elle se réduisait à 200 m avec l’hélice Rotol à changement de pas continu et automatique employée lors de la Bataille d'Angleterre. 


Dans ce dernier cas, la masse à vide de l’avion testé était inférieure à la masse normale d’environ 500 livres (220 kg), ce qui l'aidait vraiment à réussir l’épreuve. 



Cette même épreuve, faite en France dans les conditions que j'ai dénoncées, bloqua la certification des quadrimoteurs Farman 224 et empêcha Air France de les utiliser. 


Ils portaient facilement 40 passagers quand la plupart des autres avions en portaient difficilement plus de 20. 

Le dogme des avions tous égaux devant la loi a fort heureusement disparu, tué par son ridicule, et par une saine concurrence, sous l'influence, pour une fois bénéfique, de la Fédération Américaine de l'Aviation Civile.



Le pilote Fernand Lefèvre (homonyme de Marcel Lefèvre du Normandie-Niemen, mais également résistant qui passa en Grande-Bretagne en 1942) pilotait le Nieuport 161-02 pour cette stupide corvée administrative. 

Très certainement fatigué ou gêné par un autre avion ou encore par une rafale de vent, il rata son atterrissage et l'aile de l’avion s’est retrouvée gravement abîmée. 

On en a profité pour réformer cet avion - qui dérangeait - puis on a associé les deux accidents du Nieuport pour justifier a posteriori son élimination. 


Comment un décideur de 1934, c'est à dire un gars qui avait peut-être seulement piloté un Farman MF 40 en 1916 ou un Spad VII en 1917 - avions qui devaient se poser entre 40 et 60 km/h - aurait-il pu comprendre ce qu'était l'atterrissage d'un Nieuport 161 : Ce chasseur pesait deux fois plus lourd et sa vitesse d'approche, voire d'impact à l'atterrissage, était du même ordre de grandeur que la vitesse de pointe de son avion chéri de la guerre précédente !

En toute logique, c’était particulièrement malhonnête.
Comme pour le premier accident du Nieuport, je me permets de blâmer et le type d'épreuve et ses décideurs puérils, mais personne d'autre, car le cisaillement de vent est chose fréquente et ne pouvait pas être prévu avec les moyens de l'époque. 

Au second régime, il est presque toujours fatal.

En toute rigueur, un décrochage à très basse altitude pendant un vol au second régime n'a pas grand chose à voir avec un accident lié à un retard d'inflexion de trajectoire pendant une ressource à très grande vitesse. 


A moins que dans ce dernier cas, le pilote Coffinet ait tiré trop brutalement sur le manche - mais dans ce cas, l'exercice demandé aurait dû être fait par un professionnel de ce genre de manœuvre, donc un pur pilote de chasse, et encore, après nombre d'approches bien plus prudentes.



Les accidents du Morane-Saulnier 405


Puisque le chapitre des accidents est ouvert, justement, revoyons un peu le "casier judiciaire" du Morane 405 sur ce plan dramatique.


En 1937, les deux prototypes 01 et 02 du Morane 405 disparurent coup sur coup dans des accidents. 


Le premier accident arriva lors de l'atterrissage après évaluation du 01 par le Capitaine Lithuanien Mikenas. L'avion fut détruit.


Suivant deux sources différentes (G. Botquin dans l'Album de Fanatique de l'Aviation, en 1978 puis d'après le site Wikipedia en langue Allemande en 2012), l'accident fut mortel. 

Suivant la monographie de Lela Presse sur le MS 406, il ne fut pas mortel.

Mais, bien sûr, la faute  en fut attribuée au pilote (!).


Le second accident concerna le pilote Raoul Ribière qui y perdit la vie. 


Le journal Les Ailes du 5 Août 1937 donne de ce compte rendu très clair:

"... Ribière s'est tué le 28 juillet dernier, au cours d'une épreuve de montée. 
Le coup est dur. 

Ribière était parti sur le Morane-Saulnier 405-N° 2 de l'aérodrome de Villacoublay. 

Il volait depuis une demi-heure environ quand l'accident se produisit. 

On vit l'avion descendre presque verticalement à une allure vertigineuse et venir s'écraser au sol où il s'éparpilla littéralement, prenant feu aussitôt. 

Le pauvre Ribière fut carbonisé.

L'enquête qui suivit semble bien établir que l'avion n'est pour rien dans ce douloureux événement. 

On l'attribue à une défaillance physique du pilote qui, en cours de montée aurait eu une
syncope. 

Il s'agissait, en effet, pour lui d'effectuer une montée au plafond et, à cet effet, il avait été équipé des inhalateurs nécessaires. 

Est-ce le mauvais fonctionnement de ceux-ci qu'il convient d'incriminer ? Ils avaient été cependant éprouvés.

En tout cas, on a retrouvé, intacte, la feuille du barographe et elle indique une brusque interruption de la montée suivie d'un piqué à la verticale.

D'autre part, ce piqué s'est poursuivi jusqu'au sol plein gaz, ce qui montre qu'il n'y a
eu aucune réaction du pilote. 

On est donc amené à penser qu'il était hors d'état d'intervenir, qu'il avait perdu connaissance." 


L'histoire officielle assure donc que Raoul Ribière, pilote réellement très expérimenté, était mort d'une panne d'inhalateur d'oxygène à très haute altitude, qui avait entraîné un piqué et  l'écrasement au sol de l'avion et du pilote. 

Pourtant, une telle panne ne peut en aucun cas être imputée au pilote, mais nécessairement quelque part du côté du constructeur. 

Je rappelle que le Morane montait très mal
plus mal même que le Caudron CR 714 Cyclone (je persiste), mais pas pour les mêmes raisons (il ne manquait pas de puissance, loin de là, mais juste de finesse aérodynamique). 

Or, si on monte lentement, il va de soi que l'on consomme plus longtemps l'oxygène et les défauts de l'installation ont plus de chances d'apparaître (bouchons de glace dans les tuyaux, par exemple). 

Il se trouve justement que le Morane 406 avait beaucoup de mal à voler à plus de 8 000 m, atteints en environ 25 minutes (ce qui conduit à penser que Ribière devait à peine avoir dépassé cette altitude).

Ajout 2015 : En relisant soigneusement la notice de préparation des missions du Curtiss H 75, je suis tombé sur une information qui m'avait échappé car située immédiatement après les instructions pour l'utilisation de la radio : Il s'agit de la gestion de la bouteille d'oxygène de 1000 litres.

Il y est clairement indiqué que la consommation d'oxygène par un pilote volant sans manœuvrer pendant une heure à 7 000 m atteint 60 kg (il y a là un problème de transcription car 1000 litres d'O2 = 1.354 kg), quantité qui peut doubler en manœuvrant, ce qui limite la durée du vol à haute altitude à 1 heure. 

Si on tient compte de cet avertissement donné en 1939, on comprend que le pilote d'un Morane 406 ne pouvait pas vivre longtemps près de son plafond et que, malgré toute sa classe, Mr Ribière n'a pas réussi à sortir du piège respiratoire que représentait son avion.

Les essayeurs ultérieurs du MS 406 ne l'avaient donc pas beaucoup poussé, sans cela, je ne doute pas qu'ils eussent pu identifier à temps le gel des armes, ce qui aurait sauvé beaucoup de pilotes en 1940.

Par contre, le Nieuport 161 était validé jusqu'à 11 250 m où il démontrait encore une vitesse de 328 km/h en 1936 . Il n'effrayait donc aucun de ses pilotes sur ce plan.


Il est vrai que la société Nieuport avait tenu plusieurs fois le record mondial d'altitude et que les difficultés de l'expérience devaient avoir été soigneusement notées.


Après la guerre (1947), ironie de l'Histoire, le syndrome qu'a décrit l'ingénieur Bonte (dans l'Histoire des Essais en Vol) à l'encontre du chasseur Nieuport 161 pour expliquer le premier accident d’une chute à 15-20 m/s sera décrit à l'identique au sujet du Morane-Saulnier 470 Vanneau d'entraînement avancé. 


On évoqua à son propos de la "succion d'aileron" et Morane-Saulnier devra travailler longtemps pour valider son MS 472 Vanneau dont un des instructeurs de mon aéro-club me faisait pourtant de grands éloges, le jugeant aussi manœuvrable qu'un Dewoitine 520 (il l'avait piloté au sein d'une patrouille de voltige de l'Armée de l'Air). 


Le fait que les combats aient totalement démenti les conclusions du CEMA sur le Morane 406 semble avoir entraîné une sévérité extrême du CEV envers ce constructeur. 

Mais le Vanneau n'était qu'un avion d'entraînement avancé.


Le travail des essais en vol est effectivement fondamental pour voir tout ce qui ne va pas et pour œuvrer afin que tout rentre dans l'ordre. 


Par contre, il exige une rigueur totale et une égalité absolue des traitements des différents constructeurs.


Bien avant 1939, il eut été profitable que le Ministre de l'Air soit stable (comme Georges Leygues l'avait été pour la Marine) et qu'il ait introduit des pilotes opérationnels normaux et indépendants 
  • dans les commissions de programme, 
  • dans celles créant les règlements, 
  • dans celles choisissant les avions.
Mais la France de cette époque ne validait pas encore les acquis de l'expérience.





La première partie de cet article, tel qu'il était depuis le 12 Février 2012, a disparue à cause de ce que j'ai pu réunir comme informations dans mes travaux de 2016.

En réalité, les performances du Nieuport 161 de 1936 (478 km/h à 4000 m et 8000 m atteints en 12 minutes, puis, en 1938, la vitesse de 496 km/h), comme je l'ai expliqué dans mon article du 28 Juin 2016, ne doivent rien à un moteur spécial, elles proviennent simplement de la finesse native de ce remarquable chasseur puis de l'amélioration de son profilage...








cliquer ici pour lire la conclusion de mon étude sur ce chasseur.



















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