mercredi 15 février 2012

La Chasse Française enchaînée ou comment s'interdire toute maîtrise de l'air (Révisé 06 / 06 /2022 ***)

(If you prefer, you may read an English version of this post: Click there)




Je veux traiter d'un des problèmes bizarres qui ont contribué fortement à réduire l'efficacité de l'aviation Française en général et de la Chasse en particulier.



L'Aviation doit pouvoir manœuvrer face aux menaces qu'elle seule perçoit à temps 


Il s'agit du découpage territorial de l'Armée de l'Air. 

Cela commence par des Zones Aériennes. 

Bien sûr, chacune de ces zones est découpée - pour la chasse tout du moins - en groupements qui sont constitués de plusieurs Groupes de Chasse, eux-mêmes constitués de 2 ou 3 escadrilles de 12 avions en moyenne. 

Les plus importants groupements sont dirigés par des généraux, les autres par des colonels.

Le raisonnement ayant abouti à cette structure doit avoir son origine dans la vie des forces aériennes Françaises pendant les 44 mois de la partie statique de la guerre précédente.






Collection personnelle de l'auteur - 2 des zones aériennes au 10 Mai 1940 : la ZOAN qui est face à la Belgique, la ZOAE qui fait face au Luxembourg et à l'Allemagne.  Notez la position des Britanniques (BEF) entre le Z et le O de la ZOAN - Publiées dans Icare - 1939-40/ la Bataille de France, vol IV, la Reconnaissance, article de R. Danel  - p 80/81


Mais tout ce qui vole, comme tout ce qui flotte, en tout cas pendant une guerre, ne devrait jamais être "accroché" à quelque bout de terrain que ce soit.

Par son essence même, une unité aérienne doit pouvoir se déplacer à tout moment, sauf pour le repos des hommes et l'entretien du matériel, bien sûr. C'est du simple bon sens.

En me fondant sur les effectifs (données dans l'ouvrage de J. Cuny et R. Danel l'Aviation de Chasse Française 1918-1940, Docavia n°2), on peut voir que parmi les 4 Zones Aériennes (Nord, Est, Sud, Alpes), deux vont subir la totalité du choc de la Luftwaffe. 

Même si elles étaient mieux dotées que les autres zones, le compte n'y était absolument pas.



Le 10 Mai 1940, à 00:00, la zone Nord (ZOAN) comptait 3 groupements : Le groupement 21 avec 152 chasseurs, le groupement 25 avec 50 avions et le groupement 23 avec 183 avions.

La ZOAN comptait donc 385 monomoteurs de chasse auxquels devaient être ajoutés 47 bimoteurs Potez 631 pour la chasse de nuit, quasi absente des autres zones (!).

Je n'ai pas compté dans ce total les 24 Potez 631 de l'Aéronavale qui ont pourtant, eux aussi, joué un rôle significatif à partir du Pas de Calais.

La zone Est (ZOAE) comptait 2 groupements : Le groupement 22 avec 168 avions et le groupements 24 avec 77 avions, soit un total de 245 monomoteurs.

Ces deux zones aériennes totalisaient ensemble donc 630 monomoteurs.


Au même moment, la zone des Alpes (ZOAA) disposait de 143 monomoteurs de chasse et de 5 Potez pour la chasse de nuit. C'était pour dissuader l'ItalieMais l'Italie n'était pas agressive du tout, elle nous fournissait même des avions et des moteurs !

Tout aussi stupidement, il existait 135 Morane 406 hors de métropole, dont une très bonne unité (le GC I/7) au Liban. 


A l'évidence, ces chasseurs eussent été vraiment à leur place en protection dans le Nord plutôt qu'à 1500 ou 3000 km du territoire attaqué par les armées hitlériennes


Cela nous aurait donné un total de 900 chasseurs, 200 de plus que les Allemands pour les monomoteurs, auxquels il convenait d'ajouter les chasseurs Britanniques.


Cela signifie que l'Etat Major de l'Armée de l'Air avait dispersé ses avions n'importe où.


De là sortirent deux conséquences : La Chasse, mais aussi le Bombardement appartenaient à une multiplicité de petits commandements qui ne recevaient aucun renseignement réel sur la situation générale.

Le théâtre des opérations leur était forcément incompréhensible et ils ne pouvaient réagir qu'après coup, perdant de ce fait toute influence tactique efficace.


Je reste très étonné que les historiens de notre Aviation se soient passionnés au sujet des fameuses 1 000 victoires revendiquées par D'Harcourt : Elles n'ont pas un grand intérêt vu le résultat brut de notre défaite.


Il me semble, par contre, beaucoup plus instructif de comprendre que l'organisation territoriale de notre Aviation en temps de guerre a été paralysante, et a donc constitué un facteur aggravant dans la conduite de la guerre.

Ce fut donc une des causes de la défaite Alliée, et cela fait partie de ce que tout citoyen devrait savoir.


Cette dispersion était le résultat automatique de la division en zones et en sous-zones ancrées dans les habitudes des Armées terrestres. 

Edison disait - paraît-il - que le spectre d'un cheval tirait chaque locomotive. 

Eh bien, dans notre Aviation de 1940, les spectres des batteries d'artillerie de la guerre précédente ancraient tous nos avions.

Cela était à la rigueur compréhensible pour l'aviation d'observation, mais c'était totalement inacceptable pour la Chasse comme pour le Bombardement.



Les conséquences du morcellement territorial


Je n'ai pas l'impression - les acteurs nous l'ont clairement fait comprendre - que les informations recueillies par les avions de reconnaissance aient été transmises immédiatement au GQG du Général Vuillemin. 

Si elles l'avaient été, peut-être aurait-il eu l'idée d'envoyer la Chasse et le Bombardement taper un grand coup dans les Ardennes dès le 12 Mai 1940. 


Nous aurions pu, alors, faire très mal aux troupes d'élites de Hitler...

Soyons réaliste et impitoyable : Le seul intérêt de ce système semble n'avoir été que de donner des places à des officiers généraux dont on ne savait pas quoi faire.

Du coup, bien sûr, les empiétements autoritaires du patron d'un groupement sur les prérogatives d'un de ses collègues ne manquèrent pas de se produire, car, dans tout groupe humain, l'ambition personnelle peut faire oublier le but fondamental.

Cela provoqua des tensions préjudiciables à l'efficacité de l'ensemble.

Il y avait pourtant beaucoup de tâches vraiment indispensables à réaliser, comme  :
  • organiser et "durcir" (= rendre moins vulnérables) les bases aériennes ;
  • organiser des séances de tir sur cibles mobiles à fort défilement ;
  • organiser les communications radio en phonie ;
  • organiser l'entraînement en masse de jeunes pilotes ;
  • créer un système de communication rapide entre les diverses constituantes de l'Armée de l'Air ;
  • créer une communication rapide entre l'Armée de l'Air et l'Armée de Terre ;
  • organiser pratiquement les communications interarmes ;
  • veiller à développer les systèmes de détections et l'analyse de leurs informations ;
  • organiser le recueil des informations du guet aérien et répercuter les synthèses sur les groupes concernés ;
  • répercuter les synthèses d'informations des groupes de reconnaissance sur les groupes de bombardement ;
  • organiser un système de livraison des avions neufs aux groupes, sur des bases plus proches du front ;
  • organiser une véritable aviation de transport.

Evidemment, j'en ai oublié, mais,
 déjà, ce que j'ai indiqué ci-dessus aurait pu donner du travail vraiment indispensable à 12 officiers généraux.

Si nous avions joué un jeu de ce type, qu'il eut été possible d'améliorer encore qualitativement puisque 140 Dewoitine 520 étaient sortis d'usine au 1er avril 1940, ce qui aurait permis d'en armer 5 groupes, donc 10 escadrilles, les conditions de travail de la chasse Française eussent été bien différentes. 

OK, ces avions ne disposaient pas de pipes à réaction, mais ils volaient quand même 70 km/h plus vite que les Morane 406 et montaient également incomparablement mieux

C'est une des raisons qui entretiennent mon ressentiment contre ceux qui ont voulu faire croire que le Morane 406 était significativement plus rapide que le Morane 405-01 alors qu'il n'en était rien.


Cela me permet aussi de revenir sur un des arguments du Colonel F. Kirkland (Kirkland, Lt. Col. Faris R. “The French Air Force in 1940,” Vol. XXXVI, No. 6 (September-October 1985): 101-118). 

Il s'y étonnait que l'Armée de l'Air ait gardé en réserve l'essentiel des avions produits.

J'ai, comme lui, beaucoup de mal à comprendre nos généraux : Si ces avions avaient été mis en l'air, nos chasseurs eussent été majoritaires.

Nos pilotes eussent eu, mathématiquement, plus de chance de rencontrer l'ennemi dès le 10 Mai (moment où, par ailleurs, les escortes de chasse Allemandes étaient rares). 

Ainsi, ayant de bonnes chances d'infliger des pertes considérables à la Luftwaffe, ils eussent mécaniquement réduit leurs propres pertes.

C'eut été autant d'ennemis aériens en moins pour les futures batailles...


Cliquez ici pour passer à l'analyse de l'alerte aérienne en France entre 1939 et 1940











4 commentaires:

  1. C'est vraiment incroyable cette incompétence des généraux Français, sur terre aussi on ne savait pas utiliser le matériel tel Degaulle qui jette ses chars en masse droit devant pour se faire massacrer par l'artillerie ennemi.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis d'accord avec vous sur l'étonnante incompétence des décideurs.

      Je suis plus réservé sur votre vision de De Gaulle, parce que, d'abord,on ne lui a pas donné des unités aguerries : Elles se sont formées sur le terrain pour l'essentiel d'entre elles.

      Si vous voulez mon avis, nos grands chefs voulaient que De Gaulle se plante à Montcornet comme à Abbeville.

      Si on lui avait donné de vrais moyens, Guderian aurait eu beaucoup de soucis, comme il l'explique dans ses "mémoires d'un soldat".

      Mais les généraux Britanniques ne furent pas meilleurs du tout, les Belges ou les Néerlandais pas davantage. Comme je l'explique dans un autre post, les soviétiques furent encore pires.

      Il faudra que Joukov arrive, disciple seulement par la lecture de Mikaïl Toukhchevsky pour bloquer l'armée de Guderian puis, deux ans plus tard, que Krouchtchev intervienne à Stalinegrad pour que la Wehrmacht soit aux abois sur le Front de l'Est.

      Cette incompétence est, dans chacun de ces pays, la rançon des choix politiciens faits pour obtenir à tout prix, des généraux dociles.

      Supprimer
  2. Bonjour, Je tombe sur votre blog avec joie, car il me permet d'affiner mes recherches avec des détails techniques essentiels pour mieux comprendre un grand nombre de nos déconvenues.

    Une question cependant, concernant les appareils restés dans les parcs ou en réserve au lieu d'êtres mis en ligne.
    Il me semble que la France manquait de pilotes, Clostermann indique qu'il n'y en avait que 800 en mai 40. A quoi auraient bien pu servir ces appareils supplémentaires s'il n'y avait, quoi qu'il arrive, pas assez de pilotes pour les faire voler ?
    Les appareils gardés en réserve mentionnés par Kirkland étaient-ils simplement "sortis d'usines" ou prêts au combat, c'est à dire, avec les équipements de guerre montés dans les ateliers de l'Armée de l'Air ?
    Merci d'avance pour votre réponse, et merci pour votre travail !
    Raphael

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour RM. Après 10 ans de pacifisme béat, les effectifs de l'AdA avaient eu tendance à diminuer. A cela s'ajoutaient les rapports médicaux fondés sur une analyse "sérieuse" des risques.
    Ces rapports expliquent pourquoi le taux de sorties put rester longtemps proche de 1 par jour.
    Par contre, je suis persuadé que les effectifs de Pierre Clostermann sont un peu sous- estimés. Mais il me paraît évident qu'il s'agissait des seuls pilotes de chasse.
    Disons que nous ne savions plus faire de la guerre de haute intensité.

    Maintenant, il faut se souvenir que le refus du commandement pour alerter les escadrille en phonie comme l'absence de radar avant le 3 Juin 1940 (etc) ralentissaient notre défense aérienne.

    Les parkings bourrés d'avions se trouvèrent presque uniquement sur nos bases après un retour mouvementé de combat ou après l'armistice : C'est ce que William L Shirer a préféré raconter, pour aider FD Roosevelt à tenter de détruire notre pays.

    RépondreSupprimer